Roi de l’escroquerie : comment Bernard Madoff a éclipsé le nom de Charles Ponzi<!-- --> | Atlantico.fr
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Charles Laval publie "Le grand livre de l’escroquerie" chez Le Passeur éditeur.
Charles Laval publie "Le grand livre de l’escroquerie" chez Le Passeur éditeur.
©HIROKO MASUIKE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Bonnes feuilles

Charles Laval publie "Le grand livre de l’escroquerie" chez Le Passeur éditeur. Au fil des pages se dévoile l'incroyable ingéniosité des escrocs autant que la naïveté et la cupidité de certaines de leurs proies... Cet ouvrage est aussi un guide, car nous sommes tous des victimes en puissance. Extrait 1/2.

Charles Laval

Charles Laval

Après des études de droit, Charles Laval a été inspecteur d'assurances. Il a longtemps oeuvré dans des organismes de formation en assurance et intervient aujourd'hui en tant que bénévole dans des associations humanitaires. Il a publié Le grand livre de l'escroquerie chez Le Passeur éditeur.

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Bernard Madoff est certainement le plus grand escroc de la fin du XXe siècle. Utilisant à la perfection la méthode développée par Ponzi, l’élève a très nettement surpassé le maître, tant par le montant des sommes en jeu que par la durée de son arnaque, qui s’est étalée sur plusieurs décennies, contre quelques mois, voire, au pire, quelques années pour les entourloupes classiques de ce genre. Désormais, il est devenu une référence et son nom éclipse même celui de Ponzi. Confronté à de tels montages, on aura, en effet, tendance à parler, comme nous venons de le voir, de « nouveau Madoff », ou de « Madoff des pauvres », ou de « Madoff chinois ».

Au départ, rien ne le prédestine à une telle célébrité. Il naît en 1938 à New  York, d’un père plombier puis agent de change. Abandonnant ses études de droit, il commence sa vie professionnelle comme maître-nageur sur les plages de Long Island. En 1960, à l’âge de 22 ans, il se lance dans les affaires en fondant avec son épouse sa propre société d’investissement, la Bernard L. Madoff Investment Securities LLC, dans laquelle il investit toutes ses économies, soit 5 000 dollars. Jusqu’à son terme, il restera président de cette société dont feront partie de nombreux membres de sa famille : frère, enfants, neveux… Il est fortement aidé dans ses premiers pas par son beau-père, comptable, qui l’introduit auprès de clients importants.

Il débute en s’intéressant aux penny stocks, c’est-à-dire aux actions de très faible valeur dont les variations amplifiées sont source de bénéfices, mais aussi de pertes. Il justifie ses résultats par la mise au point de modèles mathématiques financiers et l’utilisation de l’électronique facilitant les allers-retours. Il est considéré comme innovateur dans le monde de la finance électronique. Une fois sa société lancée, il s’oriente vers les hedge funds, c’est-à-dire des fonds d’investissement non cotés à vocation spéculative utilisant des produits dérivés, notamment les options. Garantissant des rendements de l’ordre de 10 %, son affaire se développe d’une façon continue, de sorte qu’en 1980, elle contrôle environ 5 % du marché de la Bourse de New  York. Il acquiert une réputation prestigieuse et sa société devient l’une des cinq sociétés les plus actives dans le développement du Nasdaq, deuxième plus important marché boursier des États-Unis, qu’il préside d’ailleurs de 1990 à 1991. Il joue également un rôle très actif à la NASD, association nationale américaine des agents de change. Sa notoriété et la confiance qu’il inspire rassurent les investisseurs qui ne s’inquiètent guère ni ne cherchent à savoir comment il s’y prend pour obtenir des rendements réguliers et toujours supérieurs à ceux du marché. Ces investisseurs sont d’une part des personnes fortunées, flattées que Madoff les accepte en tant que clientes malgré un ticket d’entrée élevé, et d’autre part de multiples fonds de pension et fonds d’investissement dits « fonds nourriciers », dont l’unique objectif est de collecter de l’argent pour le placer chez Madoff, si bien que de nombreux petits investisseurs de par le monde se trouvent acheter et détenir du « Madoff » sans le savoir. Ces fonds nourriciers sont d’autant plus demandeurs qu’ils bénéficient de rétrocessions de commissions plus importantes qu’ailleurs et que les rendements du fonds Madoff surpassent d’une façon constante ceux des autres placements.

Mondain, jovial, fréquentant les cercles huppés, aidant les associations caritatives et culturelles, notamment auprès de la communauté juive dont il est issu, il devient incontournable et une légende à Wall Street, incarnant le rêve américain de la réussite. On le considère comme un « génial » financier, et son fonds comme un placement entièrement sécurisé et de « bon père de famille ».

Or la Bourse est fluctuante, soumise à de nombreux aléas. Malgré ces fluctuations, plutôt que de diminuer les rendements, il continue de distribuer les intérêts annoncés. Certes, cela tranquillise les épargnants, mais pour tenir ses objectifs, il utilise les versements des nouveaux investisseurs pour régler les intérêts dus aux anciens investisseurs, dilapidant progressivement l’argent confié. La machine infernale se met en marche, la situation ne pouvant qu’empirer au fil des années. « Heureusement », si l’on peut dire, que les épargnants, ignorant cette menace, ne retirent guère leur argent, trop contents de bénéficier d’un excellent placement. Et puis, la réputation de Madoff est telle qu’il ne leur viendrait pas à l’idée que leur argent soit en de mauvaises mains.

Cela explique pourquoi le pot aux roses a mis tant d’années avant d’être dévoilé.

Cependant, dès 1999, Harry Markopolos, analyste financier, rendu suspicieux par les rendements constants du fonds de Madoff, entreprend une enquête à son sujet. Très vite, il s’aperçoit qu’il y a quelque chose d’anormal et que les résultats du fonds ne peuvent résulter que soit d’un délit d’initié – c’est-à-dire que Madoff, de par ses relations et les mouvements demandés par ses clients importants, est au courant avant tous les autres boursicoteurs et peut ainsi acheter ou vendre à bon escient –, soit d’opérations de cavalerie – c’est-à-dire que les sommes versées aux uns proviennent des versements effectués par les autres. Il ne relève, en effet, que trois mois de pertes sur une période de quatre-vingt-sept mois, alors que l’indice boursier de référence laissait apparaître vingt-huit mois de perte sur la même période. En outre, les titres sur lesquels il déclare investir, notamment les options sur indices, ne sont pas assez liquides pour « absorber » les volumes engendrés par son fonds. Il transmet ses conclusions à la SEC, l’organisme de contrôle des marchés financiers américains, et les réitère en 2001 et 2005. Il intitule d’ailleurs son dernier rapport : « Le plus grand hedge fund du monde est une arnaque. » La SEC diligente plusieurs contrôles et, bizarrement, ne trouve rien de répréhensible, concluant que « rien ne méritait d’être sanctionné chez Madoff », ce qui ne fait que renforcer sa crédibilité.

Il est vrai que la gestion de Madoff est plutôt opaque. D’une part, son fonds n’est géré que par lui. Son entourage, y compris ses propres enfants, n’a pas accès à toutes les données. Ensuite, les comptes sont audités par un petit cabinet local comprenant trois personnes, y compris la secrétaire, ce qui est anormalement insuffisant pour analyser une entreprise d’une telle importance ; d’où un doute inévitable quant au sérieux de son travail et de ses conclusions. D’autre part, à la clôture de chaque exercice mensuel, il déclare que tous les avoirs sont « liquides », de sorte qu’il ne publie jamais d’état de titres financiers, brouillant ainsi toute tentative de contrôle. De plus, il ne se fait pas rémunérer, comme un gérant traditionnel, en fonction du rendement, mais ne perçoit que des frais de gestion. De ce fait, il n’a pas à justifier sa stratégie qui est supposée produire ses performances. De même, il interdit à quiconque de rencontrer son personnel ou de rentrer dans la salle des traders. Enfin, il concentre dans sa société les fonctions de conservation des titres, de compensation et d’exécution d’ordres, ce qui lui permet de cacher ses activités et de laisser croire à des performances mirobolantes. Et si quelqu’un lui demande comment il s’y prend pour obtenir de tels rendements, il reste toujours évasif, se retranchant derrière son expérience et son instinct, et l’on n’insiste pas, car ce ne doit pas être pour rien qu’il est surnommé le « magicien » de la finance. Et puis, ses résultats confortant ses promesses, il fait preuve d’une telle assurance et bénéficie d’un tel engouement qu’il serait indécent de douter de lui. D’ailleurs, n’a-t-il pas déclaré, lors d’une émission télévisée en 2007 : « Il est aujourd’hui impossible de violer les règles du régulateur financier. Il est impossible de frauder sans être démasqué, surtout sur une longue période » ?

Malheureusement, quand la crise financière des subprimes survint en 2008, de nombreux clients s’affolent, n’ont plus confiance dans les placements financiers et veulent retirer leur argent tous en même temps. Mais il n’y a pas assez d’argent pour les rembourser. Madoff fait part de cette situation catastrophique à ses fils, qui le dénoncent aux autorités. Le 11 décembre, il est arrêté. Le 29 juin 2009, ruiné, il est condamné à la peine maximale de cent cinquante ans de prison. Il décède le 14 avril 2021.

On estime l’arnaque à la somme phénoménale d’environ 65  milliards de dollars (17 milliards « partis en fumée » et 48 milliards de prétendues plus-values n’ayant jamais existé, alors que les épargnants croyaient les avoir en compte), faisant trente-sept mille victimes dans cent trente-six pays. Parmi ceux-ci, on trouve des grandes fortunes qui du jour au lendemain constatent la perte d’une partie plus ou moins grande de leurs avoirs, plusieurs banques américaines, européennes et asiatiques qui avaient investi non seulement pour leur propre compte, mais aussi pour le compte de leurs clients, quelques associations caritatives et surtout de nombreux fonds d’investissement entraînant dans leurs déboires des milliers de petits épargnants répartis dans le monde entier.

L’argent disparu a servi principalement à continuer à distribuer les intérêts promis, mais aussi à verser les importantes commissions dues aux « rabatteurs », à arroser de nombreux organismes et associations, tandis que Madoff achetait plusieurs propriétés de grand standing, notamment en France, yacht…

L’onde de choc est énorme. Le monde financier est ébranlé. La SEC est pointée du doigt et contrainte de revoir ses méthodes de travail. Plusieurs personnes se suicident, notamment l’un des fils de Madoff, ainsi que Thierry de La Villehuchet, gestionnaire de fonds Access International, qui avait levé 1,5 milliard d’euros en Europe pour les investir auprès de Madoff. Plusieurs procès sont intentés par des épargnants contre certaines banques et fonds d’investissement, avec plus ou moins de succès.

Il ne faut surtout pas penser que les États-Unis ont le monopole des escroqueries à la « Madoff ». Nous trouvons des apprentis Madoff dans tous les pays, et la France n’est pas épargnée, signe que cette arnaque est universelle et éternelle. Chaque année déroule malheureusement son lot de surprises, et des centaines d’épargnants voient leurs économies disparaître au lieu de progresser, comme leur avaient laissé espérer de beaux parleurs.

Extrait du livre de Charles Laval, « Le grand livre de l’escroquerie », publié chez Le Passeur éditeur

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