Retraites : le gouvernement perd la bataille de l’opinion mais personne n’en retirera vraiment le bénéfice politique <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Elisabeth Borne lors d'une cérémonie officielle. Le chef de l'Etat et la Première ministre sont confrontés à un fort mouvement social lié à leur projet de réforme des retraites.
Emmanuel Macron et Elisabeth Borne lors d'une cérémonie officielle. Le chef de l'Etat et la Première ministre sont confrontés à un fort mouvement social lié à leur projet de réforme des retraites.
©GONZALO FUENTES / POOL / AFP

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Et si la vie politique française était plombée par le symptôme Nescafé / George Clooney : Macron déçoit mais personne d’autre ne s’impose pour une majorité alternative.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Les sondages d’opinion se multiplient sur la réforme des retraites. Les Français interrogés et l’écrasante majorité des actifs ont exprimé leur hostilité vis-à-vis du projet défendu par le gouvernement. Pourtant personne ne semble en retirer le moindre bénéfice politique… Comment expliquer ce paradoxe ?  

Arnaud Benedetti : Il y a depuis longtemps un hiatus entre le mécontentement global, plus ou moins diffus et des offres d'oppositions politiques qui ne parviennent que partiellement à capter les insatisfactions et les colères. Certes le RN par exemple pour ne citer que ce dernier métabolise électoralement dans certains territoires une partie des exaspérations, mais il n'y a pas à proprement parler un leadership d'opposition qui soit parvenu à s'imposer sur ce grand trend colérique ou déceptif (c'est selon) qui souffle sur la vie politique depuis plusieurs années. Toute la question est de savoir où vont ces colères qui semblent comme gagnées alternativement par des formes d'évaporation. Ceci dit, la constante des histoires sociales n'est-elle pas de ne jamais être dominée autrement que par des minorités agissantes? 

Il n'en demeure pas moins qu'il existe une séquence au travers de cette opposition massive au projet de réforme des retraites qui pourrait générer une redistribution des cartes politiques si jamais la situation socio-politique en venait à se gripper : accentuation des fracturations ? Reconstruction autour d'une force d'alternance ? Consolidation du macronisme ? Le jeu reste ouvert, d'autant plus que tout résultera de la solution institutionnelle qui pourrait être apportée à un éventuel blocage...

Emmanuel Macron déçoit mais personne d’autre ne s’impose pour une majorité alternative... Est-ce lié aux conséquences du macronisme ou à la faiblesse intrinsèque des oppositions ?

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Force est de constater que la crise que nous traversons est une crise de la foi dans le politique. Dans un pays comme la France qui s'est construit et projeté plus que tout autre par l'impulsion du politique, il s'agit d'abord et principalement d'une crise de nature existentielle. Depuis des décennies, nos gouvernants ne sont plus perçus comme étant en mesure de protéger et de maîtriser. Cette crise de l'efficience est la racine de deux autres crises : la crise de la représentation et la crise du recrutement. 

La crise de la représentation est indexée sur cette crise de l'efficience, les offres politiques n'étant plus en capacité d'incarner, prises séparément les unes des autres, des alternatives crédibles : d'où l'abstention et la défiance croissante. Il s'en suit une dégradation générale de l'image du politique et des politiques qui explique désormais la faible attractivité pour la chose publique, son commandement; d'où cette perception de déclassement du personnel politique qui ne serait plus qu'un composé de petites ambitions et de profils dont le niveau général se serait effondré comparativement aux classes dirigeantes antérieures. Tout s'emboîte comme un jeu de poupées russes. Ce phénomène n'est pas le résultat de la seule impuissance de la majorité et des oppositions du moment mais le produit d'une lente corrosion du fait politique commencée voici plusieurs décennies. 

Le piège tendu par Emmanuel Macron avec la réforme des retraites va-t-il se refermer sur la Nupes et Les Républicains lors des débats à l’Assemblée nationale ?

"Le résultat de l'action correspond rarement à l'intention initiale de l'acteur" écrit Max Weber. Fort de cet enseignement, il nous faut rester prudent. La position de LFI et des Républicains ne peut être pensée de manière identique : LFI a la cohérence pour elle ; elle peut s'opposer de toutes ses forces à la réforme car sa doctrine le lui permet; pour les Républicains c'est bien plus compliqué sur un plan doctrinal à partir du moment où Emmanuel Macron a triangulé d'une telle manière sur leurs positions qu'ils ne peuvent donner le sentiment que de se renier s'ils s'opposent à un dispositif dont ils partagent les grandes lignes. Pour autant, il faut s'interroger sur la précipitation avec laquelle les instances dirigeantes de LR ont apporté leur soutien à cette réforme, ne laissant même pas le temps à la discussion parlementaire pour préciser leurs positions. Reste à savoir néanmoins si ce soutien perdurera en cas d'une mobilisation amplifiée et soutenue sur la durée par l'opinion, ce d'autant plus que l'exigence de cohérence à laquelle tente de répondre les LR pourrait avoir un coût électoral non négligeable vis-à-vis des classes populaires et moyennes. Par ailleurs, le piège macroniste que vous évoquez est parfaitement réversible. On peut douter de l'opportunité d'une initiative visant à allonger l'âge de départ à la retraite au moment où les potentiels de colères et de protestations s'accumulent dans un même agenda. Rarement le cumul d'une telle intensité de mécontentements n'a été autant observable. L'alignement des planètes de la colère est visible à l'œil nu, inflation notamment oblige... À moins que le dépôt de ce texte obéisse à une prise de risque consenti, côté Élyséen...

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La dissolution de l’Assemblée nationale, suivie de nouvelles élections, ou l’organisation d’un référendum sur la réforme des retraites, pourraient-elles permettre d’insuffler un réel changement politique pour la démocratie française ? 

Ce ne sont pas les mêmes solutions : la première est une option pour rebondir, la seconde serait un quitte ou double, avec le risque que le référendum se transforme en référendum anti-Macron. De Gaulle qui disposait d'une toute autre épaisseur en matière de légitimité est tombé pour moins que cela. On peut imaginer qu'Emmanuel Macron, si blocage il y a, notamment sur un plan parlementaire - ce qu'il ne faut plus exclure aujourd'hui compte tenu de la pression de la rue et de l'opinion - tente le poker de la dissolution en pensant à 1968 qui permit au pouvoir d'alors de récupérer une majorité absolue ; toute la question est de savoir si ce n'est pas alors l'hypothèse de 1997 qui puisse se dessiner, mais en mode dégradée et avec une Assemblée ingouvernable, sauf à créer les conditions d'un gouvernement de coalition, entre autres avec les Républicains. Tout ceci à ce stade n'est que conjectures... Il n'y a jamais un même mode de sortie d'une crise : cela s'appelle l'histoire. L'hypothèse de la dissolution n'est bien évidemment pas à exclure.

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