Retraites complémentaires : les négociations s’enlisent sur le manque d’ambition du patronat et des syndicats<!-- --> | Atlantico.fr
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Le problème est-il un manque d'ambition ?
Le problème est-il un manque d'ambition  ?
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Faillite de la gouvernance

Syndicats et patronats doivent s'entretenir mardi pour trouver une solution aux faillites budgétaires qui les menacent. Augmentation des cotisations, décote pour les actifs partant plus tôt à la retraites… De nombreuses pistes sont évoquées dans une attitude principalement comptable, et passant à côté de réformes de fond pourtant tout aussi nécessaires.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Mais d’abord, quelle est la fiabilité des projections utilisées ?

Jacques Bichot : De fait, les annonces de déficit pour les années à venir reposent sur des hypothèses relatives à la croissance économique, à l’emploi, à la progression des salaires, à l’âge moyen de départ à la retraite, etc. Les modèles qui servent à réaliser ces projections ne sont pas mauvais, ils sont assez bien rodés car le COR (le Conseil d’orientation des retraites) les utilise beaucoup – mais les résultats varient énormément selon les hypothèses que l’on fait, et certains partenaires sociaux, imités parfois par des pouvoirs publics "volontaristes", refusent d’utiliser des hypothèses franchement pessimistes.

La Cour des comptes a récemment donné une leçon en la matière. L’Arrco-Agirc avait fait étudier trois scénarios ; la Cour a demandé à ce qu’on en étudie un quatrième, avec une progression de la masse salariale de 1,19 % par an au lieu de 1,44 % dans le scénario "pessimiste" des partenaires sociaux. Et voilà que la situation nette cumulée des deux régimes à l’horizon 2030 devient un trou de 132 milliards ! Pourtant, 1,19 % d’augmentation de la masse salariale ne constitue pas le scénario le pire que l’on puisse imaginer. La Cour a été excellente pédagogue pour montrer qu’on ne sait pas ce qui va arriver à moyen et long terme, et que, par conséquent, il faut se préparer au pire comme au meilleur, c’est-à-dire avoir des capacités manœuvrières. En somme, pas de plan rigide à la soviétique, mais de l’adaptabilité aux circonstances économiques.

En quoi la question du mode de gouvernance, comme prôné par la Cour des comptes, devra-t-elle être abordée ?

Pour être réactif, flexible, il faut que les ajustements paramétriques soient décidés rapidement, chaque année, voire chaque semestre si nécessaire. Or ce ne sont pas les négociations entre partenaires sociaux qui peuvent "faire le job" : les palabres durent trop longtemps, les accords sont trop difficiles à trouver au coup par coup. Il faut qu’un comité de direction soit mandaté par les syndicats et les organisations patronales pour modifier rapidement la valeur de service du point et son prix d’achat quand la nécessité s’en fait sentir. En revanche, les partenaires sociaux doivent réaliser des réformes structurelles.

Quel diagnostic peut-on faire de ces modes de gouvernance aujourd'hui ? A quelles dérives a-t-on pu être confronté ?

Premièrement, la dualité Arrco / Agirc rend la gouvernance difficile. L’Arrco accorde des compensations à l’Agirc parce que le plafond de la sécurité sociale progresse plus vite que les salaires, augmentant les montants sur lesquels sont calculés les cotisations Arrco et réduisant la base des cotisations Agirc. L’unification des deux régimes, pour laquelle d’importants travaux préparatoires ont déjà été menés à bien, devrait donc être rapidement réalisée. Non seulement la gouvernance sera plus facile, mais aussi les frais de gestion seront moindres.

Deuxièmement, la Cour des comptes a été assez sévère avec l’État : le recours préférentiel, pour la retraite de la sécu, à la durée d’assurance, notion étrangère aux régimes complémentaires, ne permet pas de coordonner correctement ces deux composantes de la retraite de 70 % des Français, ce qui est pourtant indispensable. Quand deux navires doivent naviguer de concert, mieux vaut qu’ils aient des instruments de pilotage sinon identiques, du moins bien coordonnés ! Il faudrait donc que le législateur (en fait, le gouvernement) s’entende avec les partenaires sociaux pour que régime général et régime complémentaire soient vraiment harmonisés. Et à titre personnel je dirai : il n’est pas trop tôt pour préparer une fusion de la CNAVTS et de l’Agirc-Arrco, en commençant par la conversion de la première au système des points en vigueur dans les régimes complémentaires, ce système étant bien meilleur que celui des annuités.

Sur quels points précis les tenants des négociations pourraient-ils ne pas s'entendre ? Et quel serait le risque d'une reprise des négociations par l'Etat ?

Les syndicats vont vouloir augmenter les cotisations, et le patronat va freiner des quatre fers, essayer de jouer au maximum sur la valeur de service du point. C’est pourquoi il serait bien plus efficace que les partenaires sociaux se consacrent à la réforme structurelle et délèguent ces décisions "qui fâchent" au directeur de l’Agirc-Arrco et à son comité de direction, comme indiqué plus haut.

Quant au rôle de l’État, il pourrait être très positif s’il disait aux partenaires sociaux, en substance : "vous avez construit un régime plus astucieux que celui que je bricole depuis des décennies ; je suis prêt à construire avec vous un régime unique reprenant à 80 % ce que vous avez fait." Hélas, ceci est mon rêve, je ne le prends pas pour une réalité ; j’ai plutôt le sentiment que le mélange d’orgueil et d’incompétence qui caractérise la plupart des gouvernements et des Présidents amènera le pouvoir politique à mettre les pieds dans le plat, provoquant des troubles sociaux dont nous n’avons nul besoin.  

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