Retour de la crise migratoire : une fatalité pour l’Europe, vraiment ?<!-- --> | Atlantico.fr
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En 2022, 924 000 demandes d'asile ont été déposées dans des pays membres de l’UE, principalement en France, en Allemagne, en Espagne et en Autriche.
En 2022, 924 000 demandes d'asile ont été déposées dans des pays membres de l’UE, principalement en France, en Allemagne, en Espagne et en Autriche.
©FADEL SENNA / AFP

Crise migratoire

Alors que les arrivées de migrants atteignent des niveaux qu’on n’avait pas vus depuis la grande crise de 2015, les ministres de l’intérieur de l’UE se retrouvent en Suède pour tenter pour la énième fois d’élaborer des réponses communes.

Patrick Stefanini

Patrick Stefanini

Patrick Stefanini est un haut fonctionnaire français, membre du Conseil d'État et ancien directeur général des services de la région Île-de-France. Sa carrière se situe entre l'administration et la politique. Diplômé de l'ENA en 1979, il soutient Chirac avant de devenir un proche conseiller d'Alain Juppé lorsque ce dernier est entré à Matignon en 1995. Il s'est démarqué notamment lors de batailles électorales réputées difficiles ; il fut ainsi l'artisan de la victoire de Jacques Chirac à la présidentielle en 1995, de celle de Valérie Pécresse aux élections régionales de 2015, avant donc de conduire François Fillon à la victoire de la primaire, fin 2016. En mars 2017, il renonce à ses fonctions de directeur de campagne de François Fillon. Patrick Stefanini est directeur de campagne de Valérie Pécresse dans le cadre de l'élection présidentielle de 2022.

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Atlantico : Un sommet informel des ministres de l’Intérieur européen va se tenir les 26 et 27 janvier en Suède. Selon l’agenda officiel, les ministres de l’Intérieur discuteront « de la politique de retour, y compris la coopération avec les pays tiers. Ils discuteront également de la manière de garantir une approche pangouvernementale efficace pour relever les défis migratoires ». Est-ce les bons enjeux ?

Patrick Stefanini : C’est la première réunion des ministres de l’Intérieur sous cette nouvelle présidence suédoise. Celle-ci a fait connaître ses priorités et n’y a pas inscrit les sujets migratoires, réaffirmant uniquement les objectifs du Pacte européen sur la migration et l’asile. Elle a également affirmé qu’il n’y aurait pas d’avancées décisives sous cette nouvelle présidence. On ne s’attend donc pas à des progrès décisifs. De plus, la question des retours est importante mais mobilise assez peu les enjeux européens. En somme, il ne faut pas s’attendre à de réelles avancées sur les principaux sujets européens en ce qui concerne l’immigration, à savoir le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne ou encore la réforme de Dublin. 

En 2022, 924 000 demandes d'asile ont été déposées dans des pays membres de l’UE, principalement en France, en Allemagne, en Espagne et en Autriche. La Commission européenne s'inquiète de cette hausse de 50% des demandes par rapport à l’année précédente. Ce phénomène migratoire est-il une fatalité ? 

Il y deux phénomènes : l’un est conjoncturel puisque les candidats à la migration n’ont pas pu se déplacer en 2020 ou en 2021 en raison de la fermeture des frontières liées à la pandémie. Il y a donc eu un rattrapage en 2022. L’autre est structurel puisque la situation économique et sociale reste difficile dans un certain nombre de pays source de l’immigration vers l'Europe, à savoir les pays du Maghreb ou d’Afrique sub-saharienne. 

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Face à ces phénomènes, l’Union Européenne présente deux faiblesses : la route de la Méditerranée centrale, à quelques centaines de miles de l’Italie et la route des Balkans où plusieurs pays n’ont pas d’incitation forte à contrôler les migrants en provenance de Turquie ou de Syrie qui souhaitent s’installer au sein de l’Union Européenne. 

En outre, certains pays, au sein même de l’Union Européenne, se pensent comme des pays de transit. C’est le cas de l’Espagne ou de l’Italie, qui sont proches du Maghreb. Il faut aussi noter que les situations démographiques des États de l’Union Européenne sont très différentes. En Allemagne, mais également dans d’autres pays, il y a un affaissement de la fécondité qui pousse à accueillir des migrants pour soutenir l’économie. Il y a donc, au sein des États de l’Union Européenne, des visions différentes sur ce que l’immigration peut apporter. Les intérêts divergent, ce qui aboutit à une absence de politique commune.

Aurait-on justement intérêt à développer une stratégie européenne commune sur la question des visas ou du renvoi dans le pays d’origine ?

Pour les États membres, la première priorité doit être de contrôler leurs frontières extérieures, ce qui n’est pas facile. C’est très complexe, pour les frontières maritimes notamment. Par exemple, les patrouilles de Gendarmerie présentes sur les côtes françaises de la Manche ont beaucoup de difficultés à empêcher des migrants présents sur le sol français de rejoindre le Royaume-Uni. Il faut renforcer ce contrôle des frontières maritimes en augmentant la présence des forces de l’ordre. C’est le rôle de chaque État membre et les pays les plus exposés doivent faire plus d’efforts. 

Il faut également réformer la procédure Dublin, qui fut créée pour éviter que les demandeurs d’asile passent d’un pays à un autre. On se rend compte que cette procédure fonctionne mal, en partie parce que ses règles ne sont plus acceptées par un certain nombre d’États membres. Quand un demandeur d’asile est débouté en Allemagne, elle en est responsable pendant un an. Mais à l’issue de cette période, le demandeur se rend bien souvent dans un autre État membre. C’est ce qu’on nomme les mouvements secondaires. Ces derniers alimentent beaucoup la demande d’asile, notamment en France. Il faut donc corriger les défauts de la procédure de Dublin, ou signer un nouvel accord. Sans cela, l’Union Européenne apparaîtra toujours comme un territoire où les demandeurs d’asile peuvent passer d'un pays à un autre sans que le rejet de leur demande d'asile ne s'accompagne d'un éloignement effectif. 

Est-il préférable d’inventer de nouvelles règles ou faut-il plutôt commencer par appliquer plus de détermination dans celles qui existent déjà ?

La directive retour prévoit que les étrangers qui font l’objet d’une OQTF disposent d’un délai, défini par une fourchette, pour quitter spontanément le territoire de l’Union Européenne. Ce n’est qu’au terme de ce délai que les États peuvent prendre des mesures coercitives. La France a choisi la fourchette haute du délais : elle pourrait pour commencer faire le choix de la fourchette baisse. Mais encore une fois, il faut fixer nos priorités. La première doit être de mieux contrôler nos frontières extérieures, terrestres notamment. Il faut aider certains États membres à mettre en place des frontières physiques, comme c’est le cas entre la Pologne et la Biélorussie. Il s'agit d'une question de moyens humains et matériels. Il faudrait aussi coopérer plus activement et fermement avec l’Italie et l’Espagne, qui continuent à se penser comme des pays de transit. Nous devons être prêts à les aider pour éviter que des clandestins franchissent les Alpes ou les Pyrénées. Cette coopération est très faible puisque de nombreux migrants qu’on retourne à Calais sont passés par l’Espagne ou l’Italie. 

Le problème de l’Union Européenne est-il d’être coincé dans une sorte d’entre-deux qui nous mène à l’impuissance, avec d’un côté une volonté de préserver notre souveraineté et de l’autre celle de coopérer ?

Je pense qu’aucun État membre n’est prêt à accepter un bond dans le fédéralisme qui consisterait à confier à Bruxelles le contrôle des frontières extérieures. Les pays de l’Union doivent être attentifs à la situation des États les plus exposés à la pression migratoire, notamment l’Italie, qu'il faut soutenir dans son effort pour contrôler l'activité des associations de sauvetage en mer. Et il faut aussi prendre en compte la situation de la Grèce ou des pays d’Europe centrale en les aidant à construire des barrières physiques sur leurs frontières terrestres.

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