Réseaux sociaux, dangereux ou pas et comment ? Les éléments de preuves totalement… contradictoires s’accumulent <!-- --> | Atlantico.fr
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Une jeune femme consulte l'application TikTok sur son smartphone.
Une jeune femme consulte l'application TikTok sur son smartphone.
©Manjunath Kiran / AFP

Effets néfastes ?

Les études menées sur l’impact des réseaux sociaux aboutissent à des conclusions parfois très contradictoires. Pourquoi les scientifiques ne parviennent pas à trouver de consensus en la matière ?

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico : Plusieurs études, relatives à l’impact des réseaux sociaux, tiennent des propos parfois très contradictoires. Ainsi, certaines soulignent que l’usage de Facebook, Twitter & compagnie pourrait être responsable d’un accroissement de la solitude chez les Américains, comme l’explique la newsletter NPR sur son site. D’autres pointent, souligne ProPublica, font des applications de réseaux sociaux l’une des raisons qui poussent les jeunes américains à tuer leur prochain. Enfin, rapporte la BBC sur la base des données de l’Oxford Internet Institute (OII), d’aucuns assurent l’exact inverse. Quels sont les arguments à retenir ?

Rédaction Atlantico : De son côté, l’OOI suggère que l’émergence de Facebook et son expansion sur l’essentiel de la planète n’a pas eu d’impact néfaste sur la population, sur le plan psychologique. Les conclusions de cette étude, font d’ailleurs valoir les chercheurs, vont dans le sens inverse des idées généralement entretenues sur les réseaux sociaux. En tout pour tout, les chercheurs se sont basés sur des données émanant de 72 nations différentes… mais qui ne concernent que la plateforme de Mark Zuckerberg (ainsi qu’Instagram, par extension). Les chercheurs s’appuient sur le fait que la crise supposée en matière de bien-être psychologique ne peut être reliée à la consommation et à l’usage de la plateforme Facebook. Les deux événements ne seraient donc pas corrélés selon les chercheurs, note la BBC. "On pense généralement que c'est une mauvaise chose pour le bien-être. Or, les données que nous avons rassemblées et analysées n'ont pas montré que c'était le cas", a ainsi déclaré Andrew Przybylski, de l’OOI.

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La psychologue Jean M. Twenge, qui s’est penchée sur la question en 2017, est arrivée à d’autres conclusions, informe NPR. Ses recherches portent sur la propension à la dépression, à l’anxiété et à la solitude observée aux Etats-Unis. Elle n'hésite pas à parler d’une crise de la santé mentale en approche, concernant les jeunes générations. "Les smartphones ont été utilisés par la majorité des Américains vers 2012, et c'est à ce moment-là que la solitude augmente. C'est très suspect", note-t-elle par exemple. Son hypothèse est d’ailleurs reprise par d’autres études depuis. Et la chercheuse de faire valoir : "Aujourd'hui, selon les données les plus récentes, 22 % des filles de 10e année passent sept heures ou plus par jour sur les médias sociaux.” Pour beaucoup d’entre elles, c’est le temps de sommeil qui serait sacrifié au profit du temps d’écran. Or, "le sommeil est absolument crucial pour la santé physique et mentale””, rappelle la chercheuse. “Le manque de sommeil est un facteur de risque majeur pour l'anxiété, la dépression et l'automutilation". D’autres chercheurs soulignent aussi que se tenir éloigné de plateformes telles que Facebook tend à améliorer le bien-être. "Le fait de ne pas utiliser Facebook a eu des effets positifs sur le bien-être. On constate une augmentation du bonheur et de la satisfaction de vivre, ainsi qu'une diminution de la dépression et de l'anxiété, et peut-être un peu moins de solitude", déclare de son côté l’économiste Matthew Gentzkow, de l’université de Stanford, après une autre enquête menée en 2017.

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Enfin, comme le rappelle ProPublica, les comportements sur les réseaux sociaux ont parfois pu causer des violences physiques allant jusqu’au meurtre d’individus alors inconnus du tueur. Ce c’est ce qui est arrivé à l’issue d’une bataille menée sur Instagram. Les criminologues américains interrogés par le journaliste évoquaient les réseaux sociaux comme “accélérateur” de la violence aux Etats-Unis. "Lorsque j'étais jeune et que je me disputais avec quelqu'un à l'école, les seules personnes qui le savaient étaient moi et les autres élèves", a déclaré James Timpson, un agent de prévention de la violence à Baltimore. "Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Cinq cents personnes sont au courant avant même que vous ne quittiez l'école. Et puis il y a cette grande guerre qui se déroule". Cette fois-ci, il s’agit de pointer les réseaux sociaux comme la cause du problème mais bien comme un facteur aggravant de la situation. 

Les réseaux sociaux sont-ils dangereux ? C’est la conclusion d’une récente enquête publiée co-publiée notamment par The Atlantic et ProPublica, qui souligne la corrélation entre la mesure de la violence et l’utilisation régulière de réseaux sociaux. Selon le journaliste, les réseaux sociaux pourraient faire office "d’accélérateur" vers la violence. Comment l’expliquer ?

Fabrice Epelboin : Le plus souvent, ce qui permet d’expliquer ce genre de conclusions (laquelle est peut-être anticipée avant la réalisation de l’étude, sinon proprement désirée), c’est une corrélation et un raisonnement spécifique. Force est de constater que, aux Etats-Unis comme ailleurs, on constate aujourd’hui une montée de la violence et de la haine, mais aussi des taux de suicides qui augmentent tout particulièrement chez les jeunes, l’émergence de comportements très radicaux chez une partie d’entre eux. Il apparaît donc logique de chercher un coupable. Les réseaux sociaux, tout comme une multitude d’autres éléments (on pourrait citer le changement climatique, par exemple, qui contribue à l’angoisse des jeunes générations) peuvent faire office de coupables idéaux.

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Il apparaît évident que les réseaux sociaux jouent un rôle mais nous sommes bien en peine de l’identifier avec précision. La situation est multifactorielle et l’on sait que les réseaux sociaux constituent l’un des facteurs. 

Attention, toutefois : les réseaux sociaux constituent, aujourd’hui, un sujet difficile à analyser. Un certain nombre d’études (il n’est pas nécessairement questions de celles évoquées ici) émanent de lobby et il faut donc se montrer vigilants. La valeur scientifique de ces documents est alors quasi-nulle. Difficile d’oublier, ainsi, les “Twitter files” : les autorités américaines, en connivence avec certaines ONG, ont multiplié des études surestimant massivement l’influence russe sur les utilisateurs du réseau social, de sorte à pouvoir mettre la pression sur l’entreprise. In fine, ils cherchaient alors à censurer leur opposition politique. 

C’est un problème d’autant plus important que, sur la question des réseaux sociaux notamment, nous faisons face à une importante pollution de la recherche universitaire par ces lobbys (d’un bord comme de l’autre, par ailleurs). 

La situation dans laquelle nous nous retrouvons aujourd’hui n’est pas sans rappeler celle du tabac, dans les années 1950-1960 : nous avons besoin de prendre du recul sur ces questions, de régulation aussi. Pour autant, compte tenu des enjeux financiers, il n’est pas certain que nous puissions y arriver rapidement. Le flou peut être entretenu de façon artificielle pendant très longtemps. 

D’autres études, comme l’illustre notamment le document publié par l’Oxford Internet Institute, suggèrent au contraire que les réseaux sociaux ne sont pas responsables de la croissance des violences psychologiques. Faut-il en déduire que les réseaux sociaux ne rendent pas violent ? Comment expliquer, dans ce cas, certaines des idées qui persistent à ce propos ?

Fabrice Epelboin : C’est une question que nous avons déjà un peu abordé précédemment. Bien souvent, cela résulte d’une grille de lecture différente, surtout quand l’enquête est menée (ou poussée) par un lobby. 

Ce que l’on observe aujourd’hui, c’est une rupture très nette du comportement des jeunes équipés de smartphones connectés aux réseaux sociaux avec ce que nous observions auparavant. La génération adolescente en 2010 n’a pas du tout le même rapport avec internet de façon générale. L’usage d’internet y est très intime, à un âge où l'intimité se développe et à une période qui correspond à l’essor des réseaux sociaux. C’est une transformation très contemporaine : d’une génération à l’autre on est passés de l’ordinateur au smartphone, d’un internet qui servait à se renseigner à un internet qui permet de faire société sur un laps de temps très court. 

C’est à ce moment-là qu'on observe un décrochage dans la jeunesse : les activités sociales apparaissent beaucoup moins importantes, en volume de temps occupé. C’est tout l’inverse pour les interactions sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’un shift sur la façon dont les jeunes font société : ils débattent, ils se draguent, ils développent leurs personnalités différemment. Il y a, de facto, un schisme générationnel. Ce dernier a donné naissance à des gens qui sont beaucoup plus angoissés, beaucoup plus dépressifs et potentiellement beaucoup plus violents. 

Notons cependant que tout cela concorde aussi avec la période : les perspectives d’avenir de cette génération ne sont pas les mêmes que celles de leurs aînés. Nous avons passé une partie conséquente de nos vies dans l’insouciance, notamment au regard des évolutions climatiques qu’envisageaient les scientifiques alors que nous étions jeunes. Ce n’est pas le cas pour les jeunes d’aujourd’hui.  Sans parler du retour des conflits dans certaines parties du monde. 

Se faisant, il est difficile de conclure que les réseaux sociaux sont responsables de la montée des violences. Ils peuvent agir comme un catalyseur, c’est certain, mais ils ne sont pas la raison initiale. Sans de telles angoisses déjà présentes, l’impact des réseaux sociaux serait probablement très différent. 

Les scientifiques ne semblent pas avoir su trouver de consensus en la matière. Pourquoi ? Comment l'interpréter, vu de l’extérieur ?

Fabrice Epelboin : Arriver à un consensus n’est pas chose aisée. Cela du temps et des moyens, hors ceux-ci manquent à la recherche sur la question des réseaux sociaux et de leur impact. Les réseaux sociaux ne constituent pas un objet d’étude particulièrement conséquent aujourd’hui, bien qu’il s’avère particulièrement complexe à appréhender : il évolue considérablement d’une année sur l’autre. L’internet d’il y a quinze ans (et par extension, les réseaux sociaux qui existaient à l’époque) n’a plus rien à voir avec celui d’aujourd’hui. Il n’est pas inintéressant (sur le plan historique, au moins, à analyser) mais il faut bien le dire : c’est un sujet d’étude à la fois très jeune et très fluctuant. Cela n’aide pas à dégager un consensus rapidement. 

En outre, les réseaux sociaux constituent un domaine d’étude où la pollution par les lobbys est particulièrement prononcée. C’est un problème qui concerne l’ensemble des domaines scientifiques, mais force est de reconnaître que la question se pose tout particulièrement ici. Bon nombre des enquêtes sont commandées par des personnes qui ont un réel conflit d’intérêt avec les résultats obtenus. 

En l’absence de données plus poussées, quelle attitude faut-il avoir à l’égard des réseaux sociaux, selon vous ?

Fabrice Epelboin : La couverture que fait la presse de ce sujet est plus que problématique. Je recommande donc, dans la majorité des cas, de se tourner vers les analyses d’experts et d’universitaires.  

Ceci étant dit, il importe tout d’abord de comprendre ces outils : Facebook et Twitter, par exemple, sont deux réseaux sociaux très différents. Ils doivent donc être appréhendés de façon différente. De la même façon, il faut aussi comprendre comment ils opèrent sur la psychologie de tout un chacun. Les contenus courts et très chargés émotionnellement que proposent des médias tels que TikTok ou YouTube Short conditionnent les utilisateurs. Au bout d’un moment, les utilisateurs fonctionnent différemment : il y a un phénomène de mise en condition psychologique induite par ces produits qu’il faut pouvoir identifier, ne serait-ce que pour être en mesure de remarquer quand on est sous l’emprise de ces derniers. Ce n’est pas catastrophique, mais il faut en être conscient : à cet égard, c’est comparable à l’alcool en cela qu’il ne vaut mieux pas conduire quand on a bu. Ici, il faut éviter de publier quand on est sous l’emprise de tels contenus. La réaction qu’on injecte dans ces réseaux sociaux n’est pas toujours très saine : elle est induite par la mécanique que ces médias donnent à voir. 

Là où l’on s’éloigne de l’alcool, pour rester sur la même image, c’est que la “conduite” engendre ici “l’ivresse”. Heureusement, il n’y a pas besoin de s’arrêter sur le bas-côté pour éviter tout accident, il suffit de s’arrêter. A condition d’identifier le problème initial, comme expliqué précédemment.

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