Réforme ou pas d’ici 2017, le gâchis socialiste sur les retraites<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Le ministre du Travail François Rebsamen a assuré mardi 16 décembre que le gouvernement allongerait, si nécessaire, la durée de cotisation requise pour toucher une retraite à taux plein.
Le ministre du Travail François Rebsamen a assuré mardi 16 décembre que le gouvernement allongerait, si nécessaire, la durée de cotisation requise pour toucher une retraite à taux plein.
©RTL

Réalité économique

Le ministre du Travail François Rebsamen a assuré mardi 16 décembre que le gouvernement allongerait, si nécessaire, la durée de cotisation requise pour toucher une retraite à taux plein, ce que la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine, a aussitôt démenti. Une proposition désastreuse pour les entreprises, dont les conséquences bénéfiques tarderaient à se faire sentir.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

Voir la bio »

Atlantico : Les promesses de campagne électorale qui assuraient une retraite à taux plein à 60 ans pour celles et ceux qui auraient cotisé 41 ans se sont-elles finalement heurté à la réalité économique ? Du bon sens que la proposition de la Cour des comptes ou celle de François Rebsamen ?

Jacques Bichot : L’article 2 de la loi retraite du 20 janvier 2014 a pour objet de porter en six étapes la durée de cotisation requise pour le taux plein au premier âge légal de 166 trimestres à 172 trimestres. Je ne sais pas ce que F. Rebsamen entend faire de plus.

Les promesses de campagne, dans notre pays, se heurtent assez souvent à la réalité économique. Ce fut déjà le cas de la promesse de retraite à 60 ans faite durant la campagne de 1981 : une fois au pouvoir, l’union de la Gauche l’a vidée en partie de sa substance en introduisant des conditions de durée d’assurance, qui ont peu touché les hommes, mais très fortement impacté les femmes. L’augmentation de cette durée est une mesure franchement antiféministe, mais comme il faut regarder un peu attentivement pour s’en rendre compte, les machos de gauche comme de droite peuvent y avoir recours impunément.

La durée de cotisation est le pire des outils disponibles. Il est injuste : une année à mi-temps compte autant qu’une année passée à travailler 60 heures par semaine. Il pénalise gravement les femmes, comme nous l’avons vu plus haut.

Et, cerise sur le gâteau, son usage rend particulièrement difficile la réforme systémique qui serait indispensable, comportant notamment un passage aux points. Rebsamen, comme la plupart des hommes politiques, ne semble pas avoir conscience du fait que le système actuel est complètement vermoulu et qu’il faut donc le rénover complètement en faisant une réforme systémique.

La réforme socialiste des retraites ne date toutefois pas d'aujourd'hui, puisqu'une première version avait été proposée par la gauche et définitivement adoptée par le Parlement fin 2013. Qu'est-il advenu depuis ? Le rappel à l'ordre de la Cour des comptes sonne-t-elle pour le gouvernement le tocsin de réformes inutiles ?

Le compte pénibilité, qui tient une place importante dans la loi du 20 janvier 2014 (la promulgation est arrivée nettement après le vote du 16 décembre 2013, il fallait que le Conseil constitutionnel se prononce), est une complication désastreuse pour les entreprises, mais les conséquences financières pour l’équilibre financier des retraites ne se feront sentir que dans longtemps. C’est d’ailleurs la raison d’être de cette mesure : la générosité sociale est au crédit de l’équipe actuelle, le prix à payer sera au débit des successeurs. C’est un procédé typiquement "normal" !

L’inquiétude manifestée par la Cour des comptes est surtout relative aux régimes complémentaires ARRCO et AGIRC. En théorie ces régimes ont un moyen infaillible d’équilibrer leurs comptes, et cela de façon très rapide : il suffit de diminuer la valeur de service du point. Bien entendu, pour ce faire il faut avoir du courage, qualité assez rare chez les partenaires sociaux comme dans le monde politique. L’ARRCO-AGIRC a donc les outils requis, le seul problème est la volonté nécessaire pour en faire un usage franc et massif (voir ici).

Augmentation des cotisations retraite, gel des pensions des retraités jusqu’au 1er octobre 2015 et augmentation de leurs impôts... Sans réels effets bénéfiques non plus ? L'absence d'inflation a-t-elle joué ?

L’effet fiscal est loin d’être nul, mais l’augmentation des impôts va dans la poche de l’État, pas dans celle de la CNAV et de l’ARRCO-AGIRC.

Quant au gel des pensions, limité à 6 mois, il aurait eu de l’effet en période de hausse des prix ; malheureusement pour le gouvernement et pour l’équilibre financier des retraites, l’inflation fait défaut.

Pareils allers-retours sur la question des retraites ont-ils aussi semé dans les esprits une confusion quant à la nécessité de pousser plus loin les réformes engagées ?

Certes oui ! Les Français savent que la situation est grave, mais ils n’y comprennent rien de précis, et ils ont l’impression (assez fondée hélas) qu’il n’y a pas de pilote dans l’avion – ou un pilote amateur.

Cela accroît leur inquiétude au-delà de ce qu’elle serait si la situation était moins confuse.

Confusion également avec la mise en place du compte pénibilité ? L'idée selon laquelle tout un chacun pourrait bénéficier de plus de revenus a-t-elle été faussement instiguée ? 

Le compte pénibilité répond à une préoccupation raisonnable en employant des moyens de type paternalisme étatique complètement surannés. Il est exact que la pénibilité doit faire l’objet d’une compensation, et que le salaire direct n’est pas forcément la meilleure compensation possible.

Mais une fois ce principe acté par le législateur, à chaque entreprise de se débrouiller, en effectuant des versements à un organisme capable de fournir une rente temporaire permettant de cesser le travail un peu plus tôt, ou de financer une formation pour se reconvertir, ou un autre avantage encore. L’étatisme ambiant a transformé ce juste principe en un cauchemar de bureaucratie, qui plombera les comptes de la branche vieillesse dans quelques décennies.

Balladur serrait la vis en 1993. En 2003, Fillon s'attaquait au secteur public. En 2008, les régimes spéciaux étaient visés. En 2010, l'âge du départ à la retraite reculait, principe encore appliqué aujourd'hui. Quels enseignements pourraient en tirer le gouvernement et les partenaires sociaux ? 

La réforme Balladur a été puissante, mais réservée au régime général. La réforme Fillon a surtout servi à faire monter la retraite des fonctionnaires dans le train des ajustements paramétriques que l’on appelle réformes sans qu’ils le méritent vraiment. Pour le reste, elle a d’abord servi à aggraver le déficit, avant de produire de modestes effets. La réforme 2010, en touchant aux âges légaux, a enfreint le tabou qui pesait depuis 1982 sur ce paramètre, bravo, mais c’est encore une fois un simple ajustement, une mesure de gestion courante, dont le Législateur n’aurait pas dû avoir à s’occuper.

En effet, l’un des vices fondamentaux de nos retraites par répartition est la confusion des rôles de législateur et de gestionnaire. Il faudrait que le Parlement arrête de voter des textes qui relèvent en fait du directeur de la CNAV, qu’il fasse son travail en créant un cadre législatif cohérent comportant une stricte obligation d’équilibre budgétaire, et qu’il laisse les gestionnaires se débrouiller pour atteindre cet objectif. L’introduction en 1996 des lois de financement de la sécurité sociale est une erreur à peu près aussi grave que la réforme des retraites de 1982 : Alain Juppé a parachevé l’étatisation de la sécurité sociale, étatisation qui a transposé à la Sécurité sociale, et donc à notre système de retraites par répartition, tous les vices de la gestion de l’État. L’État ne sait pas gérer, il l’a démontré en long, en large et en travers, et en voyant que la sécurité sociale avait des problèmes Juppé a dit en quelque sorte : "confions sa gestion à l’État". Autant confier la tutelle d’une belle jeune fille à un obsédé sexuel !

Reste donc à réformer nos retraites par répartition, c’est-à-dire à fusionner les trois douzaines de régimes qui le composent actuellement en un régime unique, par points, où les points seraient attribués au prorata de la contribution de chacun à l’investissement dans la jeunesse (et non plus au prorata des cotisations vieillesse, qui ne préparent pas l’avenir), dont les recettes viendraient exclusivement des cotisations sur les revenus professionnels, et qui serait dirigé sans aucune interférence de l’État par un Conseil d’administration et une direction ayant pour devoir impératif de ne pas dépenser plus que ne rapportent les cotisations.

Propos recueillis par Franck Michel / sur Twitter

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !