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Réduction des inégalités : l'Etat providence français redistribue deux fois plus que ce que disent les statistiques habituelles
©Aurore MESENGE / AFP

État providence

C'est ce que montrent des économistes qui se sont plongés dans les données de l'Insee en prenant en compte la totalité des transferts, monétaires directs comme c’est le cas usuellement, mais aussi indirects (transferts en nature ou utilisation des services publics notamment). Avec cette approche élargie, ce ne sont plus le tiers des ménages français qui bénéficient de transferts nets (qui reçoivent plus qu'ils ne paient d'impôts ou de taxes) mais les deux tiers

Michaël Sicsic

Michaël Sicsic est chercheur associé au CRED (TEPP), il est spécialiste des questions d'inégalité et de mobilité.

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Mathias André

Mathias André est chargé d'études sur la redistribution au Département des Études économiques (Insee)
Docteur en économie diplômé de l'École Polytechnique, il travaille sur la redistribution et les inégalités au département des études de l'INSEE.

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Vous avez publié une étude pour l’Insee intitulée réduction des inégalités : la redistribution est deux fois plus ample en intégrant les services publics. Quel était l’objectif de cette étude et quels sont ses résultats ?

Michaël Sicsic et Mathias André: Ce dossier donne un nouvel éclairage sur la redistribution en prenant en compte tous les types de transferts. Les transferts monétaires, comme on le fait usuellement à l’INSEE ou dans la récente publication de l’IPP, mais aussi les transferts non monétaires et les services publics. Ce dossier propose ainsi notamment une valorisation de ces services publics. Ce qui est nouveau, c’est vraiment l’exhaustivité des transferts pris en compte. En effet, tout ce qui est prélevé directement ou indirectement bénéficie, in fine, directement aux contribuables, à nouveau de manière directe ou indirecte. Selon cette redistribution élargie, deux tiers des ménages gagnent davantage en prestations et services publics qu’ils ne versent en impôts, taxes et cotisations sociales.  Dans les calculs usuels, cela se situait autour d’un tiers. La réduction des inégalités liée à la redistribution est donc deux fois plus importante dans cette approche élargie. Le caractère redistributif provient surtout des transferts en nature : l’éducation, la santé, le logement. Ils contribuent pour 50% à la réduction des inégalités. Viennent ensuite les prestations sociales monétaires et les dépenses de consommation collectives. En revanche, les prélèvements dans leur ensemble sont légèrement anti-redistributifs du fait des taxes sur les produits, comme pour la TVA. 

Cela signifie-t-il que la méthode utilisée jusqu’à présent était trop partielle ?

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Non, elle est différente et donc complémentaire. Car l’approche usuelle est monétaire ; elle correspond à une réalité vis-à-vis des ménages. Elle s’arrête au revenu disponible, après avoir reçu les prestations monétaires et versé les impôts directs. C’est ce qui permet aux ménages d’arbitrer leur consommation et une réalité directe pour les ménages. L’Insee calcule ainsi tous les ans les inégalités de revenus monétaires ; ici nous proposons une nouvelle approche pour appréhender la redistribution au sens large. Cela nous permet de savoir qui sont les gagnants et les perdants en intégrant tous les transferts, reçus comme versés par les ménages.

Qui sont, justement, ces gagnants et ces perdants. Qui est cette frange qui normalement n’est pas considérée comme bénéficiaire mais l’est dans votre méthode de calcul ? 

Les services publics collectifs et non collectifs (comme l’éducation ou les remboursements de santé), en moyenne, tout le monde en reçoit. Cela a un effet de réduction des inégalités car les montants sont conséquents. Cela augmente donc le revenu après redistribution de tout le monde. Les dépenses collectives sont en moyenne les mêmes pour tous, et les dépenses de santé et d’éducation, elles, sont un peu plus concentrées sur les 20% les plus modestes mais demeurent relativement uniformes. Si tout le monde touche la même chose, cela réduit les inégalités, d’autant plus par leur ampleur car ce sont plusieurs points du revenu national qui sont redistribués. Il y a des individus des déciles du milieu qui étaient perdants et par ces ajouts deviennent gagnants. Il faut toutefois noter que c’est une moyenne. Concernant l’éducation, nos données permettent d’identifier qui a des enfants et dans quelles filières ils sont. Cela permet de calculer la dépense moyenne par enfant effectuée par le ministère de l’Éducation nationale qui inclut la construction de l’école, le versement des salaires des professeurs, etc. Pour la santé, on connaît le montant des remboursements et les dépenses hospitalières notamment. Cette méthode estime donc avec précision les bénéficiaires de ces transferts. Néanmoins, ce sont des effets en moyenne que nous représentons. Quelqu’un gagnant des revenus médians qui n’aurait pas d’enfants, pas de problèmes de santé et vivrait en campagne pourrait potentiellement être perdant alors qu’en moyenne, les gens qui ont son niveau de vie sont gagnants. Ces transferts en nature couvrent des risques et des investissements. Notre travail futur va consister à affiner qui sont les gagnants et les perdants selon d’autres catégories de ménages. 

Vous avez mentionné l’étude de l'Institut des politiques publiques (IPP) sur les gagnants et les perdants du quinquennat Macron. Est-ce que votre approche doit nous inciter à relativiser ce genre de chiffres ?

Les exercices sont très différents. L’IPP analyse un effet de réforme là où nous nous interrogeons sur la situation à l’instant T en 2018. L’étude de l’IPP, comme le font aussi l’Insee et l’OFCE chaque année, mesure la variation du revenu disponible, c’est-à-dire la différence au niveau monétaire, et non élargi. Ce calcul de l’effet de réforme ne prend pas en compte les transferts en nature mais les travaux sur la redistribution élargie ne permettent pas de nuancer ou de critiquer les travaux classiques car ils sont complémentaires. Une telle méthode pourrait être appliquée mais elle nécessite plus de temps de calcul et s’appuie sur davantage de données. Ce n’est donc pas mesuré pour l’instant. Cependant, des évolutions des dépenses de santé, d’éducation, de police et de justice auraient par exemple des effets marqués sur les inégalités.

Qu’est ce qui explique que votre méthode soit peu utilisée ?

Encore une fois, la nouveauté, c’est l’exhaustivité. Il y avait déjà eu des études de l’Insee qui faisaient une grande partie de ce travail en intégrant par exemple l’éducation, le logement ou la santé mais jamais dans un cadre unifié. Ces calculs demandent beaucoup de données et un important travail méthodologique. Les travaux récents de certains chercheurs (Saez, Zucman et Piketty notamment) ont également aidé à poser les bases conceptuelles de l’exercice. Certains ministères ont également communiqué de nouvelles données. Et enfin ce travail a été initié par le directeur général de l’Insee par l’organisation d’un groupe d’experts, regroupant des universitaires et des statisticiens de différentes institutions. Celui-ci a débouché en 2021 sur des recommandations pour mesurer la redistribution et duquel notre travail découle. Cette démarche est amenée à se pérenniser. Nous allons remonter dans le temps et chercher à classer différemment les ménages (selon l’âge, le lieu de vie, etc.).

L'étude mentionée est visible sur le site de l'Insee: https://www.insee.fr/fr/statistiques/5371275?sommaire=5371304

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