Redressement 2014 : François Hollande fixe le cap, mais ne se donne absolument pas les moyens de l'atteindre<!-- --> | Atlantico.fr
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Le chef de l'Etat s'est donné deux ans pour «redresser la France» et a détaillé plusieurs mesures fiscales lors du JT de 20h de TF1, dimanche soir...
Le chef de l'Etat s'est donné deux ans pour «redresser la France» et a détaillé plusieurs mesures fiscales lors du JT de 20h de TF1, dimanche soir...
©Reuters

Iceberg droit devant

Dimanche soir sur TF1, François Hollande a présenté un agenda de redressement de la France sur 2 ans. En plus des 20 milliards d'euros de nouvelles hausses d'impôts l'an prochain, le président a confirmé 10 milliards d'économies dans les dépenses de l'Etat.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Il parait qu’il faut trouver une trentaine de milliards d’euros pour l’année prochaine, tout en visant un redressement de l’emploi à l’horizon d’un an. Il parait que les efforts doivent être répartis en trois tiers : un tiers pour les ménages (« riches »), un tiers pour les entreprises (hors PME), un tiers pour les réductions de coûts dans la fonction publique. Essayons, chers lecteurs, de faire quelque chose qui n’a pas été tenté en France depuis quelques années : essayons de réfléchir, juste quelques minutes, sans trop d’a priori partisans.

1/ La répartition des efforts en trois tiers ne tient pas la route

Quand admettra-t-on enfin que la création d’un impôt sur les vaches ne conduit pas à ce que les vaches payent des impôts ? Je prends cet exemple parce que le Général avait dit que les Français sont des veaux. Au risque de le contredire, moi pauvre mortel, je dirais plutôt que les Français sont, en matière de culture générale de la fiscalité, des moutons, et la vocation des moutons est de se faire tondre. Notre opinion publique a en effet un sérieux problème avec une notion de base de la science économique qui est l’invariance de l’incidence. Les entreprises ne sont que des nœuds de contrats, des fictions juridiques : l’impôt sur les sociétés (IS) est toujours payé, in fine, par des personnes physiques, en chaire et en os, parce qu’il ne peut pas en aller autrement, du moins tant que nous n’aurons pas trouvé une autre race dans la galaxie pour payer les impôts à notre place (des extraterrestres riches et naïfs, c’est douteux). Disons pour résumer des centaines de travaux empiriques : environ 50% de l’IS sera payé par des actionnaires, et 50% par les salariés. L’utilisation du vocable idiot « impôt sur les sociétés » n’a jamais eu qu’un seul but (et Hollande ne fait là que perpétuer une longue tradition qu’un étrange unanimisme entretien) : cacher aux masses qu’elles payeront une bonne partie de cet impôt, directement ou indirectement. Cela devrait aller sans le dire, mais ça va mieux en le disant.

Le tiers sur les ménages est encore plus trompeur, mais là, l’arnaque est mieux connue. A ce niveau « d’effort », on se doute en effet que les classes moyennes vont être très mobilisées. Car il n’y a pas assez de riches. La fameuse taxation marginale à 75% ne rapportera rien (500 millions ? c’est quelques semaines d’activité pour le dossier Dexia…), du pur affichage. Quant au dernier tiers (les efforts dans la fonction publique française, un oxymoron ?), il est bien mal engagé. C’est la base politique du parti au pouvoir qui serait visée. Et ce serait contradictoire avec tous les signaux envoyés jusqu’ici (enterrement de la RGPP, clins d’œil aux syndicats, choix de ministres très liés aux collectivités locales). Wait and see. Mais si le tiers des entreprises est une pure abstraction, si le tiers des ménages riches est un mythe et si le tiers des efforts administratifs relève probablement du mirage ou du vœu pieux, il sera bien délicat de respecter nos engagements auprès de Bruxelles… à moins de matraquer les classes moyennes, le seul vrai tiers qui existe en l’absence de gains de productivité dans les services publics. Mais ce matraquage tuerait le peu de croissance qui reste. Ce qui nous conduit à la question de la possibilité de la croissance en 2013.    

2/ Il faudrait trouver bien plus que 30 milliards… et donc nous n’y arriverons pas… et en plus ce n’est pas un drame avec un OAT 5 ans à 1%

Aux 33 milliards initiaux doivent s’ajouter les coûts de ce qui a déjà été détricoté ou versé ou promis au cours des 3 derniers mois. Le calcul se base en outre sur une croissance du PIB 2013 autour de 1% (1,2% estimés précédemment, 0,8% depuis hier soir par Hollande). Or ce n’est pas possible. Tous les conjoncturistes (de droite ou de gauche, keynésiens ou néo-classiques) s’accordent sur une croissance française comprise entre 0,2% et 0,4% en 2013. Bien sûr à ce stade, il existe de nombreuses incertitudes. Mais il y a des choses que nous savons. Nous savons en particulier que du fait de ce que nous appelons les effets de base et les effets d'accélération, la croissance d’une année se fait essentiellement (sur le plan statistique) au cours du dernier trimestre de l’année précédente et au cours du premier trimestre de l’année (hors événement massif), et sachant que nous savons désormais à peu près à quoi nous en tenir sur la conjoncture de l’hiver prochain grâce au faisceau d’indices des indicateurs avancés… bref, la croissance 2013 sera connue quasiment à la décimale près autour de février.

Avec un baril et un euro chers, avec le peu de croissance de nos partenaires européens, avec le ralentissement immobilier en cours, avec l’absence de multiplicateur budgétaire et une très faible confiance des entreprises et des ménages, on ne voit pas pourquoi 2013 serait un bien meilleur cru que 2012. Les seuls éléments qui nous soutiennent (baisse antérieure de l’euro, résilience de certains pays émergents) se renversent actuellement. Donc non seulement nous ferons un demi point de moins que la nouvelle prévision officielle, mais en plus il faut prier pour que rien de grave n’arrive ; car je vois au moins 3 points qui pourraient nous causer chacun un demi point de croissance en moins dans les mois à venir :

a/ une recrudescence de la crise à la périphérie, en particulier en Espagne (les marchés pourraient perdre patience);

b/ un choc géopolitique qui propulserait le baril à 150 dollars ou plus (Iran…); 

c/ un « double dip » aux Etats-Unis (thématique du « fiscal cliff » ou falaise budgétaire, dès janvier 2013).

Mais même en retirant seulement 5 dixièmes à la croissance officielle, on a 5 milliards à trouver en plus (puisque 0,1 point de croissance en moins c’est environ 1 milliard de rentrées fiscales en moins). Oups.

Dieu merci, nous ne tiendrons pas nos engagements européens, une fois de plus. Ce qui sera sacrifié dans cette équation budgétaire impossible, très probablement, c’est l’objectif de 3% de déficits publics fin 2013. Et, franchement, j’ai beau être sceptique sur la « stratégie » gouvernementale comme tous les économistes, ce n’est pas ce point qui me choque : quand on peut se financer à moins de 1% sur les marchés, et dans un contexte de politique monétaire restrictive en zone euro, franchement, il y a d’autres urgences que de réduire le déficit.   

3/ L’emploi : une équation impossible à court et moyen terme

L’emploi a toujours été une variable « laggée » (en retard du cycle), surtout en France où le marché du travail est dramatiquement peu flexible et où la crise a été l’occasion d’une sacrée rétention de main d’œuvre. C’est donc le chiffre qui repartira en dernier. Or en dépit d’un effort d’enrichissement du contenu de la croissance en emplois, il faut toujours environ 1,5% de croissance du PIB sur un an pour créer des emplois en net en France. 2013 sera donc une année de destructions d’emplois, à moins de créer des emplois publics en masse (mais, dans ce cas, comment respecter la programmation budgétaire ?). Pour combler une partie de la contradiction, ce gouvernement a fait comme ses prédécesseurs : des magouilles sur les emplois jeunes. Mais ça ne suffira pas. Le taux de chômage ne peut donc pas baisser, au mieux il augmentera lentement en 2013. Et rien ne permet à ce stade d’être très optimiste pour 2014.

Résumons. Nous sommes foutus. Ni croissance ni emploi ni respect de nos engagements. C’était prévisible et prévu. Hollande vient de fixer un cap, mais ce n’est pas une péninsule. De plus, une occasion en or a encore été ratée de faire un peu de pédagogie sur les questions fiscales et budgétaires, en attendant d’en faire sur le vrai sujet qui est plus technique (les questions monétaires). Cela fait des décennies que les économistes le disent : « Soyez socialiste ou soyez libéral, mais ne soyez pas menteur » [Jacques Rueff]. 

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