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Record à la baisse pour le chômage outre-Rhin : mais quand les Allemands se décideront-ils enfin à augmenter leurs salaires (et à soulager le reste de l’Europe) ?
©Reuters

Deutsche Qualität

Le taux de chômage allemand atteint des records avec seulement 5,5%. Reste la question des salaires outre-Rhin, point noir de la réussite allemande.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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​Atlantico : Le taux de chômage allemand vient d'atteindre un plus bas, ​à 5.5%. Dans le même temps, l'optimisme des entreprises locales aurait atteint un plus haut, mais tout en s'inquiétant des problèmes rencontrés pour l'embauche de travailleurs qualifiés. Dans quelle mesure ce climat économique pourrait-il aboutir à d'importantes hausses de salaire en Allemagne ? Comment expliquer cette modération encore en vigueur actuellement alors que le pays est proche du plein emploi depuis maintenant deux ans ? 

Rémy Bourgeot : On voit en Europe une tendance à renvoyer toutes les évolutions économiques à une forme de mystère. Il en est ainsi de l’inflation anémique en vigueur depuis 2013 et de l’évolution des salaires allemands, malgré la baisse continue du chômage. L’évolution salariale allemande résulte pourtant en bonne partie de la politique gouvernementale suivie depuis Gerhardt Schröder, qui a justement visé à comprimer les salaires dans la durée en changeant en profondeur le cadre des négociations. Il s’est agi en particulier de décentraliser autant que possible les négociations salariales et d’agir sur les incitations des représentants des salariés par un jeu de nomination. Ces changements ont eu lieu dans le cadre des réformes Hartz et avant même leur mise en place par un ensemble de dispositions plus ou moins formelles qui visaient justement à produire cette modération salariale. Notons qu’il ne s’agissait pas de réformes visant à comprimer les salaires à un moment donné mais, de façon bien plus « ambitieuse », à peser dans la durée sur la dynamique salariale allemande pour que le pays gagne durablement en compétitivité. Par ailleurs, la compression salariale a accompagné le mouvement massif d’intégration des voisins d’Europe centrale aux chaînes de production allemandes pour y bénéficier des bas salaires ; ce qui constitue par le jeu de la concurrence des sites de production un poids considérable sur les salaires allemands, et par diffusion, de l’ensemble de l’Europe de l’Ouest.

Autant le monde politique et économique disposait d’outils pour comprimer durablement les salaires, autant il est compliqué d’enclencher une dynamique inverse. C’est ce qui fait que la convergence européenne post-crise se fait essentiellement par le bas, par la compression salariale, des investissements conservateurs et, en France en particulier, en ignorant la révolution industrielle qui a lieu dans le monde sur la base des technologies robotiques en particulier.

Le manque de soutien à la demande intérieure en Allemagne est régulièrement critiquée par les partenaires économiques de Berlin, notamment lors des G20. Comment expliquer cette volonté de faire perdurer la modération salariale dans le pays ? 

Les politiques de compression salariale représentent une tendance de fond. Non seulement elles ne sont pas inversées en Allemagne, là où elles ont été mises en place avant les autres, mais surtout les autres pays, du fait de la perte de compétitivité qu’ils ont subi (ce qui s’est traduit par d’importantes dérives financières), suivent ce modèle économique, en faisant en plus l’impasse sur la question du progrès technologique.

En plus de la politique de compression salariale inaugurée par les sociaux-démocrates au début des années 2000, le gouvernement allemand et les autorités régionales se sont engagés dans un long cycle de désinvestissement visant à supprimer le déficit budgétaire et, plus récemment, à maximiser les excédents. Cette politique a évidemment été problématique pour l’économie européenne alors qu’une demande plus forte était justement nécessaire mais aussi pour l’Allemagne elle-même puisque cette compression des investissements a nui aux infrastructures, à tel point qu’un certain nombre de ponts ont dû être fermés au transport routier au cœur même du réseau industriel allemand. Angela Merkel parle désormais de politiques économiques plus inclusives dans la perspective des négociations pour une nouvelle grande coalition avec les sociaux-démocrates. Cela devrait se traduire par un certain nombre de mesures sociales et une prise de conscience accrue de la question des investissements, mais cela ne signale pas une volonté de remettre en cause l’équation économique, déséquilibrée, sur laquelle repose le quasi plein emploi du pays.

La question du gigantesque excédent commercial allemand alimente une importante controverse dans le monde, mais la plupart des gouvernements européens semblent s’interdire toute critique de fond sur ce point, alors que cet excédent résulte notamment de politiques économiques tout à fait problématiques. Elles sont, d’ailleurs, d’autant plus problématiques, qu’elles entraînent les gouvernements européens à vouloir imiter un modèle dont ils ne comprennent que le strict pendant financier, en faisant l’impasse sur les questions technologiques et d’organisation industrielle.

En l'absence de hausses de salaires en Allemagne, la convergence économique européenne est-elle réalisable ? 

La convergence européenne a lieu, par le bas, du fait de politiques de compression tous azimuts qui voient notamment en France et en Europe du sud une génération entière transformée en une armée de saisonniers, interdits de contribuer au véritable développement économique de leur pays. L’Europe est confrontée à un problème de compréhension économique qui ne fait que s’aggraver avec la focalisation sur les questions budgétaires, au détriment des questions technologiques de fond. En lieu d’un libéralisme qu’on revendique à tort et à travers, on voit surtout une bureaucratisation inexorable et une relégation de la création technologique, malgré un vernis de technophilie.

L’Allemagne a mis en place la compression des salaires et des investissements, l’offshoring industriel à une échelle inégalée vers l’Europe centrale et, de plus en plus, vers le reste du monde. Le pays a néanmoins aussi préservé les conditions d’une organisation industrielle qui repose notamment sur le travail d’ingénieur, au contraire du cas français, où l’on cherche à appliquer les recettes fiscales allemandes tout en ignorant la réalité humaine qui pourrait permettre de sauver l’appareil industriel français après quatre décennies chaotiques.

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