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La reconnaissance d'un État palestinien par l'ONU ne mènerait qu'à un cul-de-sac politique
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Dure réalité

L'autorité palestinienne va demander le statut d'Etat, avec pour capitale Jérusalem-Est, au prochain sommet de l'ONU. Au- delà du veto probable des Etats-Unis, rien ne se prête à l'émergence réelle d'une telle entité.

Fabio Rafael Fiallo

Fabio Rafael Fiallo

Fabio Rafael Fiallo est économiste et écrivain, ancien fonctionnaire à la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement). Il est diplômé d’économie politique de l’université Johns Hopkins (Baltimore).  Son dernier ouvrage, Ternes Eclats - Dans les coulisses de la Genève internationale (L'Harmattan) présente une critique de la diplomatie multilatérale.

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Les États-Unis viennent d'annoncer qu'ils opposeraient leur véto à la demande de la reconnaissance à l'ONU d'un état palestinien. Pour évaluer les implications à long terme de la démarche palestinienne, il convient de rappeler quelques leçons pertinentes que l'Histoire a donnés.

Lors d’une conversation avec le sociologue Max Weber à la fin des années 10 du siècle dernier, l’économiste et philosophe Joseph Schumpeter se dit ravi de voir le communisme s’installer en Russie. Car, selon lui, cela permettrait enfin de tester cette utopie et de réaliser combien absurde et tragique elle était.[1] L’utopie fut testée. Elle se transforma vite en béhémoth totalitaire. Et les gens finirent par comprendre : après avoir créé la désolation partout où il passa, le système communiste ne put tenir face à la détermination d’hommes et de femmes qui, au péril de leurs vies, et après de multiples revers, réussirent à le mettre à bas.

L’Histoire aura réservé un sort semblable à l’idéologie du tiers-mondisme avec son principe phare, celui de la « non-ingérence », idéologie en vogue à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à l’époque de la décolonisation et des révolutions d’inspiration marxiste dans plusieurs pays en développement. La non-ingérence devint un subterfuge utilisé par nombre de despotes pour obliger la communauté internationale à fermer les yeux sur leurs agissements criminels. Ceux qui ont vécu sous la férule des Mao, Castro, Mugabe ou Kadhafi en savent quelque chose des ravages humains et matériels que le principe de la non-ingérence a permis de faire accepter. 

Les récentes vagues de protestation au Moyen-Orient et au Maghreb ont fait voler en éclats l’usage illégitime du principe en question. Ce à quoi on assiste aujourd’hui dans ces régions, ce n’est pas à un mouvement quelconque contre l’ingérence étrangère mais, au contraire, à des clameurs de peuples opprimés demandant au monde extérieur de venir à leur secours. Pendant les manifestations de 2009 en Iran, des centaines de milliers d’hommes et de femmes scandaient « Obama ! Obama ! Es-tu avec eux ? Ou es-tu avec nous ? ». Les rebelles libyens, eux, ont recherché ouvertement l’appui militaire de pays occidentaux. Puis, en Côte d’Ivoire, le président élu Alassane Ouattara n’a pas hésité à faire appel aux forces des Nations unies, et notamment à celles de l’ancienne puissance coloniale, la France, afin de déloger un Laurent Gbagbo qui, invoquant le principe de la non-ingérence, refusait de rendre le pouvoir.

Par un mécanisme de déception et de révolte non différent de celui qui a conduit à la chute du communisme et au discrédit du tiers-mondisme, un autre mythe donne des signes d’être sur le point de s’essouffler, à savoir le mythe d’un État palestinien construit en confrontation avec et aux dépens d’Israël. Il faut dire d’emblée que les deux branches de l’actuel leadership palestinien – le Hamas et le Fatah – font tout pour créer les conditions d’une révolte populaire à leur encontre. Le Hamas utilisant les Gazaouis comme boucliers humains pour lancer ses attaques terroristes contre Israël. Des dirigeants du Fatah affichant un train de vie que seule la corruption permet de financer. Des élections présidentielles et parlementaires à chaque fois repoussées. Une répartition géographique du pouvoir entre le Hamas et le Fatah, la population n’ayant pas voix au chapitre à ce sujet. La liste des griefs des Palestiniens à l’égard de la diarchie en place ne cesse de s’allonger.

Rien d’étonnant que, inspirées par les évènements qui se déroulent dans la région, des manifestations de mécontentement à l’égard des dirigeants palestiniens aient eu lieu depuis mars en Cisjordanie et à Gaza, celles de Gaza se voyant réprimées par le Hamas. C’est dans ce contexte en mutation que l’éventuelle reconnaissance d’un État palestinien par l’Assemblée générale des Nations Unies doit être analysée.

Passons sur le fait qu’une telle reconnaissance n’aurait aucune valeur juridique puisqu’elle ne saurait être entérinée par un Conseil de Sécurité où les Etats-Unis poseraient à coup sûr leur veto. Ce qui intéresse ici, c’est que, en plus d’être juridiquement nulle, une décision de cette nature mènerait à un cul-de-sac politique. L’Assemblée générale accorderait en effet le statut d’État à un territoire sans frontières clairement définies et géré par un gouvernement bicéphale engagé dans des luttes intestines et ne jouissant pas de la légitimité que seul le suffrage populaire saurait offrir.  

On voit mal comment un État palestinien créé dans pareilles conditions pourrait remplir les attentes des habitants de la Cisjordanie et de Gaza. Aussi la dégradation des relations entre les Palestiniens et leurs dirigeants risque-t-elle de s’accentuer, les premiers reprochant aux seconds d’avoir suivi une méthode, celle de la déclaration unilatérale d’indépendance, qui se serait avérée incapable de donner forme à leur rêve de bâtir un État viable et prospère.

Après une déception de ce genre, les convictions sont chamboulées, les priorités se renversent, les héros deviennent coupables, et les ennemis d’hier sont perçus comme des alliés potentiels. On l’a déjà vu avec le communisme et le tiers-mondisme. C’est pourquoi il ne faudra pas s’étonner d’entendre scander d’ici à quelques années, dans les rues de Cisjordanie et de Gaza, un chant inédit jusqu’ici : « Israël ! Israël ! Es-tu avec eux ? Ou es-tu avec nous ? » Entendre les Palestiniens faire appel à Israël face à leurs gouvernants paraît aujourd’hui insensé. Et pourtant, cela ne serait pas plus insensé que ne l’étaient, il y a quelques années, les images que nous voyons maintenant de peuples d’Afrique et du Moyen-Orient demandant aux grandes puissances de leur venir en aide dans leur lutte pour la démocratie et la liberté.




[1] Cf. Karl Jaspers, Three Essays: Leonardo, Descartes, Max Weber, New York, Harcourt, Brace and World, 1964, p.222.

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