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Recherche trois milliards désespérément : ces économies que le gouvernement pourrait (pourtant) faire sans s’enfermer dans une logique du rabot
©ERIC FEFERBERG / AFP

Réformes structurelles

Il manquerait 3 milliards pour boucler le projet de budget 2020. L'objectif serait de tomber à 2,1% de déficit public, après un déficit qui approchera les 110 milliards en 2019. Malgré une réunion marathon vendredi à Bercy, l'affaire n'est pas encore bouclée. Seule certitude, et la plus gênante: l'Etat ne taillera pas dans ses effectifs pléthoriques, alors même que la réforme de la fonction publique le permettrait. Une fois de plus, la technostructure préserve son mode de vie dispendieux et échappe aux efforts demandés au pays.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Le budget 2020 peine à être bouclé. Selon les fuites dans la presse, il manquerait encore 3 milliards pour réduire le déficit à 2,1%, ce qui est un chiffre en soi mauvais. La France devrait avoir, depuis longtemps, rejoint le peloton des pays à l'équilibre budgétaire. Reste que pour parvenir à cet objectif modeste, le gouvernement est à la peine et cherche comment trouver le 0,15% de PIB qui lui manque encore pour y parvenir. 

Un budget 2020 anti-classes moyennes et anti-entreprises

Les premières pistes avancées puiseraient dans le registre quasi-habituel de Bercy: cibler les classes moyennes et les entreprises par des mesures de derrière les fagots. Il semblerait que la suppression des allocations familiales pour les plus aisés soit remise sur la table, alors même que les politiques savent le danger de cette mesure, qui exclut de la solidarité nationale, in fine, les familles indigènes au profit des familles immigrées.

Parallèlement, l'avantage fiscal sur le gazole non routier qui profite largement au secteur du bâtiment pourrait disparaître. On retrouve ici le recours commode aux thèmes de l'écologie pour récupérer de l'argent partout où cela est possible. En l'espèce, la mesure rapporterait entre 750 et 800 millions d'euros dans un secteur déjà lourdement frappé par la baisse de la construction. Mais qu'importe, il ne s'agit que de maçons, d'artisans, de petites gens aux mains sales qui fument des clopes et roulent au diesel, loin des beaux quartiers et des bonnes manières du 7è arrondissement. 

Bercy a également rabâché son antienne sur les allègements de cotisations sociales au-dessus de 1,6 SMIC, réputées inutiles et coûteuses. Ce mantra superstitieux du ministère des Finances cache une conviction taboue qui structure la "pensée" de la haute fonction publique: 1,6 SMIC constitue la borne haute des salaires français, au-delà de laquelle tout impétrant doit payer le prix fort pour le défi qu'il lance aux lois de l'égalité républicaine. Que cela soit dit: au-delà de 1,6 SMIC, le salaire est susceptible d'être prélevé pour financer la "solidarité" nationale, celle qui permet de transformer le pays en une masse roturière indifférenciée où tous les sujets sont, de manière interchangeable, soumis au bon plaisir de l'aristocratie. 

Le train de vie de l'Etat précieusement protégé contre les économies

Pendant que les crânes d'œuf bercyens se grattent la tête pour savoir comment ratiboiser un peu plus un pays aux abois, une seule certitude s'impose: aucune économie ne sera demandée aux services de l'Etat, auto-proclamés victimes de coupes sombres totalement injustes. 

Sur ce point, la haute fonction publique s'embarrasse de moins en moins de discrétion ou de précaution pour dévoiler son jeu, fondé sur l'idée simple selon laquelle être fonctionnaire régalien est créateur de privilèges. Les observateurs auront par exemple remarqué que la réforme des retraites devrait préserver le privilège du départ à 52 ans pour les policiers, et le supprimer pour les aides soignantes ou les infirmières. Selon une étrange logique, il serait donc plus pénible de porter un uniforme de policier qu'une blouse d'aide-soignante...

Ce deux poids deux mesures décidé unilatéralement par ceux qui font les règlements vaut pour l'ensemble des interventions publiques. Ainsi, les dépenses de fonctionnement (c'est-à-dire le coût des services de l'Etat hors masse salariale) ne cesse d'augmenter. Il devrait approcher les 55 milliards d'euros en fin d'année, soit l'équivalent du budget de l'Education Nationale. L'Etat est le seul agent économique de ce pays qui, malgré la digitalisation, fonctionne avec des moyens en augmentation constante malgré un déficit toujours plus important en volume. 

Mais le point le plus critique tient évidemment à cette masse salariale pléthorique dans laquelle l'Etat a renoncé à tailler pour conserver la paix sociale. Comme l'a indiqué Gérald Darmanin, les suppressions d'emploi dans les services de l'Etat seront réduites à la portion congrue. On ne verra rien d'autre dans cette décision qu'une défense obstinée des privilèges de la fonction publique. 

Le scandale du prélèvement à la source sans suppression d'emplois

Limiter à 2.000 postes les suppressions d'emploi dans la fonction publique relève du scandale démocratique. Faut-il ici rappeler les transferts de mission sans compensation décidés par l'Etat auprès d'autres acteurs ces dernières années? Le ministère de l'Intérieur a transféré les titres d'identité aux communes. Le ministère des Finances a transféré la collecte de l'impôt sur le revenu aux entreprises et peut-être, à terme, aux URSSAF. Il s'apprête à transférer d'autres collectes aux bureaux de tabac. 

En contrepartie de ces allègements nets de charge, une saignée de 50.000 emplois à l'Intérieur, et de 50.000 emplois à la direction générale des finances publiques devraient logiquement intervenir. Rappelons qu'en 2011, il avait fallu supprimer 100.000 emplois pour pratiquer la première baisse de masse salariale dans les services de l'Etat depuis de nombreuses années. Cette baisse de 100.000 emplois, correspondant à des réductions de mission, constitue donc une sorte de mesure minimaliste en-deçà de laquelle un gouvernement raisonnable ne devrait pas descendre. 

Mystérieusement (ou non), le corps préfectoral et la technocratie bercyenne ont obtenu d'Edouard Philippe, de Bruno Le Maire et de Gérald Darmanin (tous trois prétendus horriblement libéraux par la gauche) une reculade en bonne et due forme sur ces logiques évidentes. Plutôt que de chercher des économies là où elles sont indiscutables, c'est-à-dire dans l'aristocratie d'Etat, on préfère taper le maçon, l'artisan, l'ouvrier, ou l'entreprise qui paie ses salariés au-dessus du SMIC. 

Tout ceci n'a ni queue ni tête. Les privilèges d'Etat rompront tôt ou tard la paix sociale. 

La haute fonction publique, entre défense des privilèges et incompétence

Il est vrai que pour purger l'administration préfectorale ou fiscale de ses coûteux sureffectifs, il faut des hauts fonctionnaires de qualité, courageux et capables de prendre le risque de changer leur organisation. Ces qualités-là sont, depuis de nombreuses années, bannies par une énarchie victime de sa propre décadence. 

Au fil des ans, l'énarchie ne privilégie plus dans ses rangs que les vices qui peu à peu gangrènent l'action publique et le pays lui-même. Paradis de la bien-pensance élitaire, la haute fonction publique se pense détentrice de la vérité, d'une vérité unique, et se vit comme entourée de Gaulois réfractaires à tout changement. En haut, les lumières, en bas, la caverne obscure où des êtres frustres, plus proches de l'animal que de l'humain, s'esbaudissent avec force grognements, canettes de bière, et matches de football. 

Forte de cette vision où la hiérarchie est crispée sur des principes intangibles (un directeur ne fraie pas avec un chef de bureau qui ne fraie pas avec un rédacteur, et un directeur ne partage pas de réflexion avec un chef de bureau qui, à son tour,...), la haute fonction publique a décrété, par paresse, par mollesse, par incapacité à piloter du changement, que les suppressions d'emplois dans le service public n'ont pas de sens. 

Officiellement, il s'agit de protéger le service public. En réalité, aucun haut fonctionnaire n'est équipé intellectuellement pour piloter le changement dans son périmètre. Avec le temps, la politisation et la subordination au pouvoir sont devenus les seuls critères de promotion dans l'administration. Attendre de ces officiers d'état-major qu'ils remportent des batailles à la tête de leurs soldats est évidemment un leurre. Ces gens-là sont payés pour chanter quotidiennement les louanges de leur ministre, pas pour commander des services et les emmener dans une aventure à succès. 

Sans une profonde purge dans la haute fonction publique, sans un grand remplacement de l'étiquette aristocratique par le talent de la guerre, les finances publiques ne sont pas prêtes d'être assainies. Et les Français continueront à se faire plumer pour financer le train de vie de ces gens-là. 

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