Ras-le-bol anti-Macron au PS : qui du jeune ministre ou de la vieille garde se laisse le plus prendre au piège de l'autre ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Martine Aubry a fait une sortie virulente sur Emmanuel Macron.
Martine Aubry a fait une sortie virulente sur Emmanuel Macron.
©Reuters

Quand y'en a marre...

Depuis ses propos sur les fonctionnaires et les 35h, Emmanuel Macron fait l'objet d'une véritable fronde au Parti socialiste et 52% des Français estiment qu'il est un handicap pour la gauche. Nombreux sont ceux dans son camp qui expriment des critiques virulentes à l'égard du ministre de l'Economie.

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier est professeur en sciences de l'information et de la communication à l'Institut Français de Presse, à l'université Paris-Panthéon-Assas. Responsable de la Licence information communication de l'IFP et chercheur au CARISM, il est aussi président du site d'information The Conversation France.

Il est l'auteur de La communication politique (CNRS Editions, 2008) et Le journalisme(CNRS Editions, 2009), Médias et opinion publique (CNRS éditions, 2012).

Le journalisme, Arnaud Mercier

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Atlantico : Est-ce le début de la fin pour le Emmanuel Macron ministre ? La foudre s'abat sur lui, est-il à deux doigts de la sortie ?

Arnaud Mercier : Je ne le crois pas. Je pense surtout qu'il est dans une phase d'apprentissage. Une phase dans laquelle il commet des erreurs car il ne se rend pas totalement compte de la portée de ses propos, particulièrement dans un espace non-médiatique, supposé être semi-public seulement. Les derniers propos qu'il a pu tenir l'ont été dans le cadre d'une réunion interne et ne devaient donc pas donner lieu à une médiatisation. Il apprend, à ses dépends, que sa voix de ministre demeure toujours une voix de ministre et qu'elle porte. En tant que conseiller du Président, il pouvait se permettre de tenir ce genre de propos, d'avoir ce genre d'attitude, mais aujourd'hui ce qu'il fait et ce qu'il dit engagent l'ensemble du gouvernement. Il ne possède plus totalement sa propre parole, il doit être en phase avec la parole du gouvernement.

Sauf à ce qu'il persiste dans l'erreur qu'il a commise, il est peu probable qu'il soit mis à la porte du gouvernement. Il adopte certes une position iconoclaste, incarne une social-démocratie décomplexée. Ça n'est pas la même chose que de tenir des propos complètement inaudibles dans son camp et son électorat. En l'occurrence il ne les a pas tenus publiquement et refuse aujourd'hui de les réitérer. Il apprend donc. Dans la mesure où il ne réitère pas ce qu'il a dit, qu'il n'a pas commis un crime suffisamment important, il est peu probable qu'il soit poussé vers la sortie. 

En outre, il est protégé par un autre élément : changer une nouvelle fois de ministre de l’Économie serait vraiment brouillon. Aujourd'hui, François Hollande et Manuel Valls tentent de se débarrasser de l'image d'apprentis qui leur collait à la peau et remplacer Emmanuel Macron raviverait ce souvenir des débuts chaotiques du quinquennat. François Hollande ne souhaite donc pas ouvrir  de nouveau cette voie, qui renforcerait son image négative. En outre, Emmanuel Macron a été choisi parce qu'il était l'ancien conseiller du Président, que celui-ci a confiance en lui. C'est loin d'être comparable avec la situation d'Arnaud Montebourg : il avait été choisi pour faire un équilibre au parti socialiste...  tout en étant un électron libre. De son côté, Emmanuel Macron est un fidèle de François Hollande.

Dans quelle mesure Emmanuel Macron comprend-t-il les ressorts et les mécanismes de la vie politique ? Faut-il voir dans ses récentes sorties un calcul politique particulier ?

Il y a deux aspects qu'il importe de distinguer : d'une part, certaines de ses déclarations publiques peuvent paraitre provocatrices, iconoclastes. Emmanuel Macron les émet sciemment pour "secouer le cocotier". C'est une évidence. D'autre part, il peut avoir des propos, ensuite rapportés, qu'il ne tient pas publiquement et n'assume pas dans les médias. Ceux-là  ne peuvent pas passer pour une stratégie iconoclaste : ce sont des erreurs. Quoiqu'on en dise, Emmanuel Macron traverse sa période d'apprentissage, comme expliqué précédemment. Tout ne peut donc pas être mis sur le dos d'un calcul politique, quand bien même celui-ci existe. 

Dans la première situation, il apparaît clairement qu'il joue sa carte personnelle : il cherche à passer pour un ministre différent, indépendant du parti socialiste. Il assume pleinement une posture de dirigeant très divergente avec celles qui caractérisent habituellement les dirigeants socialistes (on pourrait notamment parler de son parcours, le fait qu'il soit passé par une grande banque d’affaire, etc.). Il a un rapport décomplexé avec l'industrie, l'entreprise, l'impôt,  l'argent.

Quand bien même Emmanuel Macron ne connait pas si bien les rouages de la vie politique, le PS n'est-il pas à ce point dévitalisé et ne traverse-t-on pas une crise si singulière qu'au fond, sa stratégie fait sens ?

Comme tout homme politique et public, Emmanuel Macron n'est pas insensible au fait que ses postures semblent lui apporter la sympathie de l'opinion publique. Cependant, il ne s’agit pas que de postures ! Voyons bien aussi la dimension idéologique de son combat contre les dirigeants du PS qui le recadrent, ou les auto-désignés « frondeurs ». Indéniablement, Emmanuel Macron considère son engagement comme étant de gauche, ce qui ne signifie pas qu’il ne cherche pas à faire bouger les lignes au sein du PS. C'est là que se situe son combat idéologique, au sens noble du terme. Il prône un socialisme très réformiste, contre un socialisme qu'on qualifiera d'archaïque ou de traditionnel (selon la sympathie qu'on éprouve pour lui). Sur ces questions, il prend des positions claires, de combat idéologique et politique. Manifestement, Emmanuel Macron est partisan d’un Bad Godesberg français, de ce congrès mythique de rupture avec les idéaux anti-capitalistes du Parti social-démocrate allemand, où celui-ci a reconnu être pour l'économie sociale de marché. C'est dans ce sens-là qu'il vise à faire bouger les lignes.

Y'a-t-il un risque que le PS s'en prenne à lui ? Emmanuel Macron incarne une voix dissonante à gauche, mais le PS le laisse-t-il sciemment s'exprimer dans l'idée de s'en débarrasser ensuite ?

Je doute que ce soit l'objectif des dirigeants socialistes, pour l'heure. Depuis un moment, déjà, ces derniers ne laissent rien passer à Emmanuel Macron. A mon sens, le véritable enjeu est de savoir s'il va devenir un politicien comme les autres. Est-ce qu'on va assister à un paradoxe absolu de croisement de trajectoires entre Emmanuel Macron et Arnaud Montebourg ? Est-ce qu'il va faire le trajet dans l'autre sens? L’un parti du terrain militant et des mandats locaux puis nationaux finit dans les affaires ; l’autre venu du monde des affaires finira-t-il en élu ?

Par ailleurs, on peut penser que Manuel Valls a intérêt à laisser Emmanuel Macron en première ligne, prendre certaines positions de rupture. Quand La posture d’Emmanuel Macron apparaîtra vraiment trop libérale et face à des positions des fondeurs considérées trop archaïques, il lui sera loisible d'apparaître comme le conciliateur, capable de se tenir à équidistance ces deux opposés.

Faut-il voir dans l'attitude d'Emmanuel Macron une attitude similaire à celle de Valls, qui va à l'encontre de l'union prônée par François Hollande en vue de sa future candidature ?

Il ne me semble pas. Tout d'abord, parce que l'ensemble du PS voit clairement l'intérêt  à rassembler les forces de gauche. Fondamentalement, le véritable enjeu n'est pas d'être pour ou contre une candidature de François Hollande. Il est primordial, et tout le monde en constate l'intérêt au PS, d'unir les forces de gauche. La vraie question, en revanche, c'est de savoir sur quelle ligne il convient de s'unir pour gérer le pays et faire face à la dure crise qui nous frappe. Mais, il ne relève de l'intérêt de personne (au Parti Socialiste, s'entend) de torpiller l'union de la gauche. Au PS comme à droite, on observe de véritables débats internes sur la politique économique à mener. Cela peut sembler étrange de les voir s'opposer entre eux plutôt que d'affronter l'autre camp, mais il s'agit de préparer au mieux son argumentaire pour ensuite pouvoir le défendre face au parti adverse, le moment venu, en 2017.

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