Rapport OXFAM sur la hausse de la pauvreté dans l’UE : l’impact de 7 années de crise sur les États-providence <!-- --> | Atlantico.fr
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Les "restos du coeur" sont débordés un peu plus chaque année en France.
Les "restos du coeur" sont débordés un peu plus chaque année en France.
©Reuters

Défis européens

Un rapport d’Oxfam, organisation internationale de développement, met en lumière le fait que les inégalités croissantes en Europe empêchent de lutter efficacement contre la pauvreté. C'est l'ensemble du modèle social européen qui semble aujourd'hui fragilisé.

Vincent Touzé

Vincent Touzé

Vincent Touzé est économiste senior au département des études de l'OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques).

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Atlantico : Selon le rapport Oxfam publié mercredi 9 septembre (voir ici), près d'un quart de la population européenne risque de tomber dans la pauvreté. Et 50 millions de personnes rencontrent des difficultés matérielles majeures - manque d'argent pour couvrir les frais de chauffage de leur habitation ou faire face à des dépenses imprévues.  Par les mises en place de politiques d'austérité, doit-on y voir une remise en question du modèle de l'état providence européen ?

Vincent Touzé : Deux choses sont à distinguer, la crise et les effets des politiques menées. Beaucoup de pays étaient dans l'incapacité à financer le fonctionnement normal de l'état et notamment satisfaire certains engagements de l'état providence.
On distingue en général 3 modèles de l'état providence en Europe : le modèle  de type scandinave donc du nord de l'Europe, continental avec la France et l'Allemagne, et puis le modèle du sud de l'Europe. Cela renvoie  à la classification d'Esping-Andersen. Des disparités existent entre ces différents modèles : le système de retraite, de soin, la durée d'assurance chômage, le montant des minimas sociaux, les droits du travail…

Le modèle de l'état providence dans les pays du sud a été en effet fragilisé.

Cette crise économique a parfois révélé des modèles économiques qui n'étaient pas viables dans le temps. C'est le cas de l'Espagne dont le modèle économique reposait beaucoup sur le secteur immobilier, la construction. Cela a entrainé un taux de chômage important, avec l'installation de chômeurs de longue durée qui quittent à un moment le système de protection de base pour connaître les minimas sociaux puis l'exclusion.

Des pays résistent plus ou moins bien à la crise. On note des paradoxes comme le cas de l'Angleterre où le taux de chômage a fortement diminué, il se situe autour de 5% ou encore l'exemple allemand en dessous des 5%. Le cas grec est autrement problématique, il renvoie à la question. Le modèle "état providence" du sud a donc été fragilisé

En France le taux de chômage tourne autour de 10%, et 40% des chômeurs connaissent un chômage de longue durée, soit de plus de 12 mois. Les modèles continentales et d'Europe du nord n'ont pas connu de vraies politiques d'austérité contrairement aux pays du sud. Le contre-exemple est celui de l'Allemagne. La France a un peu coupé dans certaines dépenses publiques, l'Etat a essayé de réduire la croissance de sa dépense publique mais il n'y a pas eu de réelles politiques d'austérité.

Comment ces inégalités et cette pauvreté se manifeste au sein de la population française ? Qui a payé le plus lourd tribu ? 

Une étude publiée par l'Observatoire des inégalités a analysé les personnes seules après impôt et prestations sociales, entre 2002 et 2012. Au niveau des 10% les plus pauvres de ces personnes les plus pauvres subissent une baisse de revenus de l'ordre de 6,2%. Les plus pauvres ont payé le plus cher. En effet, même en présence d'un bon système de protection sociale auquel vous n'avez pas touché, quand vous passez d'une situation avec un emploi rémunéré à l'absence d'emploi, le changement est flagrant. Le travail est la première chose à préserver. Créer de nouveaux postes se révèle compliqué et réinsérer les individus est aussi complexe.
En 2007 le taux de chômage en France était autour de 8% et aujourd'hui on est à 10,3%.

Quid du reste de l'Europe, quels sont les pays les plus touchés ?

Les pays d'Europe du sud sont les plus touchés et en particulier l'Espagne, le Portugal et la Grèce notamment.

Quelques chiffres. En 2007, en Espagne, le taux de chômage était à 8,23, en 2014 on est à 24.4 selon les chiffres de l'OCDE. En 2007 le taux de chômage de longue durée représentait 20% des chômeurs environ, en 2013 il était à près de 50%. Les individus se retrouvent alors sans revenus primaires, et ils basculent petit à petit dans les minimas sociaux ou une exclusion quand ces derniers sont trop faibles et inexistants. Au Portugal, le chômage est à 13 points et 56% des chômeurs sont dans une situation de longue durée

Ensuite se pose la question de l'efficacité des politiques d'austérité et est-ce que les gouvernements avaient le choix, comme au sein des pays du sud ? Quand les impôts ne sont pas suffisants, la dépense publique se finance par l'emprunt, et il faut que les investisseurs soient prêts à jouer le jeu. En Grèce, la situation est différente, on a vu une dégringolade sans fin ; pour restaurer la confiance et donc la croissance, certains s'interrogent afin de savoir si les propriétaires de la dette ne doivent pas y renoncer. En Grèce le taux de chômage est à un peu plus de 25% aujourd'hui et il était à 8,4% en 2007. 67% des chômeurs grecs sont en position de chômage de longue durée ; le taux de chômage ayant triplé...
Cette année, l'Espagne frôle les 3% de croissance pour 2015, espérons que cela permettra une  reconstruction de l'économie espagnole après une grande remise en question. 

En poursuivant ce type de politiques, vers quel modèle se dirige-t-on ?

Nécessairement, en touchant à la politique de santé, aux minimas sociaux, cela conduit à une paupérisation massive de la population. A noter, de solides chaines de solidarité familiales sont observables dans les pays du sud notamment. La famille peut être un amortisseur des crises économiques et de leurs conséquences. La question de la viabilité du système de protection, sociale se pose, même en France. Le système fonctionne correctement avec un taux de chômage faible, sous 5%, et une croissance assez élevée. Sans une baisse du chômage et un niveau de croissance et de productivité élevé, le système ne peut être viable. En France l'assurance chômage est particulièrement endettée même si on n'en parle peu dans le pays.

Certains pays font face à un dilemme : comment assumer une souveraineté si l'on dépend d'une solidarité européenne ? Cela révèle une fragilité de l'Europe. La crise met en lumière les manquements de l'Europe. Pourquoi ne pas mettre en place un taux de prélèvement européen permettant d'avoir un vrai budget européen. Ce dernier pourrait alors être redistribué au niveau régional avec les bases d'un vrai modèle social européen. 

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