Râler à tout bout de champ : une passion française aux surprenants effets bénéfiques<!-- --> | Atlantico.fr
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©Reuters

Champions du monde des râleurs ?

Cette spécificité française peut-elle être considérée comme un atout sur le plan physique comme psychique pour la gestion de nos émotions ? Le fait de râler serait-il bénéfique et libérateur d'un point de vue physique et psychique ?

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico.fr : Les Anglo-Saxons sont assez étonnés de la râlerie, typiquement française. Comment se distingue-t-elle du fait de se plaindre ? Qu'est ce qui fait notre particularité dans ce domaine ?

Pascal Neveu : Les Français seraient le peuple le plus râleur au monde.  Selon une étude, nous nous plaindrions 15 à 30 fois par jour.

Râler, se plaindre… quelle différence ? Râler sans arrêt rend malheureux. Se plaindre sans arrêt entretient la souffrance… tel Calimero.

Tout prétexte serait bon pour se plaindre : les embouteillages, le salaire, le supérieur hiérarchique, un collègue, l’informatique encore en panne, SNCF, la cantine mauvaise, l’assiette pas assez remplie au restaurant, sans oublier la météo… Serions-nous d’éternels insatisfaits ? Pour les étrangers, il s’agirait d’une sorte de sport national contagieux qui vient pourrir l’ambiance collective, voire même plomber le moral des plus motivés d’entre nous, bien loin de la simple plainte.

Selon un sondage réalisé par Opinion Way pour la Maaf et Métro, les Français seraient les plus grands râleurs au monde.

A la question « Les français râlent-ils souvent ? » nos amis étrangers répondent à 48% « Oui, très souvent », 45% « Oui, souvent », 6% « Oui, de temps en temps » et seulement 1% « Rarement ».

Si l’on pose cette question à des Français, le taux de réponses positives change sensiblement : seulement 37% répondent « Oui, souvent ».

Quoi qu’il en soit, les français sont loin devant les autres nationalités, si l’on pose la question « Quelles nationalités râlent le plus ? » : Français : 72 % ;  Italiens: 50% ; Américains : 19% ; Anglais : 12% ; Espagnols : 11% ; Belges : 8% ; Allemands : 6% ; Australiens : 1%.

Même si les Schtroumpfs ont la nationalité Belge, il en est un qui retient toujours notre attention : le Schtroumpf Grognon ! Sans oublier le Nain Grincheux…

Contrairement aux autres Schtroumpfs qui sont d'un tempérament joyeux, il passe son temps à ronchonner et débute très souvent ses phrases par: « Moi, je n'aime pas… », même s’il possède un grand cœur.

Qui n’a pas connu des conversations en France commençant par un soupir et une plainte ?

Je me rappelle au collège une élève qui passait son temps à soupirer et ronchonner… Un jour le professeur de littérature, la veille des vacances, lui dit « Vous allez profitez de ces 15 jours afin de faire un plein de soupirs »… et elle de soupirer, déclenchant un fou-rire général dans la classe. Comme quoi, on peut dédramatiser ces attitudes !

En France, on pourrait considérer que la plainte est un sujet de conversation approprié (et fréquent), assimilable à un « duel », une joute verbale, afin de démontrer que nous ne sommes pas naïfs mais critiques.

Les Anglo-Saxons n’aiment pas ces attitudes qu’ils considèrent être comme une fermeture du dialogue. Les Américains vont râler lorsqu’un trop plein aura été atteint, tandis que les Anglais, avec leur flegme légendaire, manifesteront par un soupir (rare) leur exaspération si par exemple quelqu’un ne respecte pas la queue dans une file. Et si les Américains se plaignent, ils termineront à chaque fois leur propos avec une conclusion optimiste : « Demain ça ira mieux, on va s’en sortir ! ».

Un grand nombre d’études montrent que les Français se plaignent rarement de leur propre vie mais plutôt de problèmes extérieurs.

Selon un sondage récent 48% des Français interrogés déclarent que ce dont ils se plaignent le plus, c'est le gouvernement. Il n’est peut-être pas surprenant, selon un article récent de Politico, que l’opinion française sur la gestion de la pandémie par le président Emmanuel Macron ait été extrêmement négative. Les problèmes personnels, quant à eux, sont très bas sur la liste des choses sur lesquelles les Français choisissent de râle, selon le sondage, 23% se plaignant lorsque les gens ne les rappellent pas, 33% se plaignant lorsqu'ils ne trouvent pas leurs clés ou téléphone et seulement 12% se plaignent de problèmes liés à leurs enfants.

Le regard des Anglo-Saxons reste sans appel : les Français sont optimistes et positifs à propos d'eux-mêmes et de leur vie, mais ils ont tendance à être très durs avec leur pays. Le blog d’une Américaine vivant à Paris précise bien : «  Si vous vous rendez à une fête, ne faites pas l'éloge de la France; les gens se moqueront de vous. » et de relativiser : « Je pense que c'est un tic culturel et conversationnel »

Je pense qu’une explication repose grandement sur notre héritage culturel. Le siècle des Lumières nous a appris à tout remettre en question. La révolution Française aurait ensuite forgé un esprit de contestation et inscrire dans notre « génétique psychique » un mode particulier de communication.

Idée intéressante car pour le psychologue Didier Pleux, les râleurs pathologiques seraient des anciens enfants rois,  le monde devant se conforter à leurs désirs.

Quel est l'impact de la manière dont nous gérons nos émotions négatives sur notre santé physique comme psychique ?

Sur un plan physique, toutes les études médicales démontrent que les émotions (les humeurs) négatives fragilisent notre santé, avec des incidences cardiovasculaires, une plus grande disposition cancérigène.

D’ailleurs le « positivisme » joue sur le facteur guérison, au même titre qu’un entourage affectif.

Raison pour laquelle les médecins évaluent rapidement la psychologie d’un patient afin de dire ou tout partie du diagnostic et surtout du pronostic.

Nous ne démontrons plus le lien entre le système cérébral, le psychisme et ses connexions par exemple avec les systèmes immunitaires et endocrinologiques.

Car la négativité engendre la négativité, surtout si cette humeur reste prolongée et excessive. En effet, des recherches en neurosciences, notamment en Suisse, ont montré que se plaindre trop souvent peut nous faire entrer dans une spirale, créant dans notre cerveau des circuits neuronaux qui vont nous amener à nous concentrer davantage sur le négatif.  C’est le ruminement. Bougonner est un puissant générateur d'anxiété. Quand on se plaint, on libère du cortisol, l'hormone du stress. Ce qui nous rend beaucoup plus vulnérable : système immunitaire défaillant, augmentation des risques cardiaques, sans oublier le diabète et l’obésité.

D’après le Journal Health Psychologies, les râleurs vivraient plus longtemps que les autres, selon la théorie avancée par des chercheurs de l’Université de Jena, en Allemagne. Ceux qui expriment le fait d’être contrariés seraient en fait, à force d’extérioriser leurs sentiments, moins stressés. Sur les 6000 personnes qui ont participé à l’étude, les chercheurs ont remarqué un risque cardiaque bien plus élevé chez ceux ou celles qui intériorisent trop leur émotions négatives.

Une autre étude menée à l'Université de l'Oklahoma a montré que se plaindre peut aussi avoir un impact positif sur le lien social.

Car râler peut être vu comme un appel à l’aide. Parfois, on râle (consciemment ou non) pour que celui qui nous écoute prenne l’initiative d’apporter son aide ou pour montrer à l’autre qu’il nous en demande trop.

Bien évidemment tout est question de notre environnement.  Avoir baigné dans un environnement de râleurs ou passer toutes vos journées avec des gens qui passent leur temps à se plaindre influencera nos émotions.

Mais dans l'ensemble, les Français n'ont pas tendance à céder à la catastrophe.

Râler peut-être une soupape de sécurité en cas de tensions, une façon de libérer de la frustration pour éviter de craquer… et se plaindre en groupe permet aux individus de se rapprocher et de partager des valeurs communes, de sentir proche de l’autre, de se sentir compris.

On a également étudié la relation entre la taille d’un pays et l’humeur. Ce qui est ressorti de cette analyse est que plus le groupe social est petit, plus un individu aura l’impression d’avoir du contrôle sur ce qui lui arrive et d’être moins dans la plainte.

Le facteur liberté physique et psychologique entre également en ligne de compte. Cette étude doit néanmoins prendre en considération les valeurs éducatives. On ne peut pas comparer les Français qui enseignent plus l’obéissance que les Finnois qui prônent l’indépendance. De même que l’enseignement où on encouragera le groupe ou au contraire la compétition et l’excellence. On ne râlera donc pas pour les mêmes raisons.

Aussi, l’herbe paraîtrait beaucoup plus verte chez le voisin, mais les retours d’expériences montrent que la baisse du taux de « râlage » ne dure pas dans le temps.

Que ce soit sur Facebook (où la France se situe juste après la Corée du Sud pour ses commentaires négatifs), sur Tripadvisor, quand nous n’utilisons pas les « boutons de satisfaction » dans les aéroports, dans les administrations… avec des smileys tant expressifs… Une étude montre que « J’aime » ne représente plus aujourd’hui que 61.2% des réactions, pour 76.5% il y a deux ans.

La machine à râler fonctionne… et on finit par s'empoisonner la vie tout seul, en remâchant. Mais avec des impacts physiques et psychiques possibles.

Une étude de 2013 en psychiatrie biologique a révélé que les tentatives de régulation des émotions négatives pourraient être liées à un risque accru de maladie cardiovasculaire, tandis qu'une étude de 2011 de l'Université du Texas à Austin a révélé que la mise en bouteille d'émotions négatives peut rendre les gens plus agressifs. Cette spécificité française peut-elle donc être considérée comme un atout sur le plan physique comme psychique pour la gestion de nos émotions ? Le fait de râler serait-il bénéfique et libérateur d'un point de vue physique et psychique ?

Le philosophe René Girard écrivait que « le groupe se focalise sur une cause (ou une personne), un événement. C'est le « tous contre un ». On râle en groupe contre une situation, vécue difficilement, ce qui permet de retrouver une paix temporaire et une cohésion. Tous d'accord au moins pour n'être pas d'accord. D'autre part, l'émergence du « râlage » collectif peut constituer la première étape d'une prise de conscience qui débouchera peut-être sur une action concrète et constructive. En revanche, si les récriminations deviennent un mode d'expression, la question se pose d'en comprendre la raison et la nature. Est-ce l'expression d'un malaise relationnel, d'une mauvaise organisation du travail, des conditions de vie du groupe ? »

Un sondage réalisé en 2011 montrait que 61% des Français estimaient la situation de leur pays très difficile, et prévoyaient une aggravation dans les mois suivants. Nous étions en tête du classement mondial des pessimistes… ce qui a beaucoup étonné le reste du monde, envieux de notre système social, de notre qualité de vie, et de notre liberté d’expression, de manifestations…

S’offusquer des injustices de la vie, râler face à certains désagréments ne me semble pas négatif. A une condition : que le Français apprenne à canaliser sa colère pour la transformer en idées, propositions, actions et améliorations utiles. Râler peut produire une énergie remarquable qui ne mène pas forcément à l’autodestruction : c’est l’innovation.

Mais si cette énergie n’est pas utilisée intelligemment, c’est de la perte pure, voire même de l’autodestruction.

Aussi, être râleurs, permanents insatisfaits, jamais contents... est-ce un vrai un défaut ?

Combien d'inventions ont-elles élaborées par des Français par le passé ?

- Blaise Pascal aurait-il inventé la machine à calculer s’il n’en avait pas marre de voir son père, Surintendant de Richelieu, passer ses nuits à calculer la répartition de l’impôt ?
- Louis Pasteur aurait-il inventé le processus de pasteurisation s’il n’avait plus supporté de manger du fromage moisi ?
- …

 Le râleur créatif est celui qui en ronchonnant doit penser et se dire : « I have a dream…».

Sinon, il se verra subir une vie sans doute bien triste. 

« Les gens qui se plaignent constamment vivent leurs malheurs deux fois. D’où leur humeur chagrine », Jean Dutourd.

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