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"La gauche ne s'est pas saisie 
de la question de l'immigration"
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Lettre d'Italie

Auteur du best-seller "Le Monstre doux. L'Occident vire-t-il à droite ?" qui étudiait la progression de la droite en Europe, le philosophe italien Raffaele Simone évoque pour Atlantico la situation politique française actuelle. Classé "à gauche", il se montre sévère vis-à-vis de Nicolas Sarkozy, mais aussi de son propre camp qui, selon lui, "a totalement raté plusieurs rendez-vous avec l'histoire récente".

Raffaele Simone

Raffaele Simone

Raffaele Simone est linguiste et philosophe, spécialiste des idées politiques.

Il a publié notamment Le monstre doux : l'Occident vire-t-il à droite ? (Gallimard, 2010), dans lequel il fait le lien entre le déclin de la gauche et l'apparition d'une nouvelle droite conquérante, sans idéologie, qui capitaliserait sur des valeurs individualistes.

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Atantico : Quel est votre avis sur le positionnement de la droite française aujourd’hui ?

Raffaele Simone : La France dispose d’une droite forte, très à droite, conséquence directe, me semble-t-il, du problème de l’immigration irrégulière et clandestine. C’est une situation que l’on retrouve dans d’autres pays d’Europe ; en Italie, par exemple. A mon avis, la progression de la droite est alimentée, soutenue et renforcée par le phénomène de l’immigration clandestine, ou de l’immigration tout court. En Angleterre ou en Allemagne ce phénomène est beaucoup plus limité et la clandestinité n’est pas un élément important de l’immigration.

Par ailleurs, la croissance de la droite française ou italienne s’explique par le fait que la gauche a totalement raté plusieurs rendez-vous avec l’histoire récente. Entre autres choses, elle ne s’est pas saisie de la question de l’immigration. Du coup, elle a, pour ainsi dire, fait cadeau de ce sujet à la droite, en n’élaborant pas de projets, de réponses ou de politiques qui ne soient pas seulement celles passives de l’accueil, de l’hospitalité, de la gentillesse. C’est une erreur historique qu’ils ont du mal à récupérer.

Pour vous, la gauche a traité la question de l’immigration uniquement d’un point de vue moral donc ?

Disons qu’ils n’ont pas compris qu’il s’agissait d’un dossier objectivement important, un problème qui inquiète les citoyens. Ils n’ont pas su y apporter une réponse politique et maintenant ils sont en retard par rapport à l’importance que cette question a prise.

C’est la droite qui a la première assumé ce problème et cherché des réponses. Il existe d’ailleurs des correspondances chronologiques étonnantes entre d’un côté l’augmentation des problèmes d’immigration et de l’autre la montée de la droite en France et en Italie.

La différence entre les deux pays, c’est que chez vous, le parti qui a le plus assumé cette question est le Front national. En Italie, c’est la Ligue du Nord d’Umberto Bossi - un parti que je qualifierais de « pré-fasciste » - qui a fait de ce dossier un sujet majeur.

Et le Front national, selon vous, c’est un part fasciste ?

Bien évidemment.

Pour quelles raisons ?

Disons que la transition de Jean-Marie à Marine Le Pen marque une légère évolution : le père était une sorte de fasciste en retard, la fille est une fasciste moderne. Elle a peut-être suivi, ou flairé, l’évolution de Gianfranco Fini en Italie. Madame Le Pen agit selon la même logique que lui. Elle ne parle plus de répression mais de contrôle, par exemple, elle évoque, moins la répression que l’aide dans leur pays. Il s’agit là d’une nuance moderne, mais au fond c’est du fascisme, il n’y a pas de doute, surtout en voyant le problème de l’extérieur, depuis l’Italie. Marine Le Pen a bien compris que les formules classiques ne sont pas adaptées à l’époque actuelle, à la mondialisation.

Aves de telles prémisses, son succès électoral était tout à fait prévisible. Encore une fois, il existe une correspondance quasi automatique entre progression de l’immigration clandestine et progression de la droite. C’est une sorte de loi politique avérée de manière évidente en Italie et qui se reproduit également en France.

Vous évoquiez la droite européenne dans votre livre Le Monstre doux. L'Occident vire-t-il à droite ? Pourriez-vous résumer les grands principes développés dans cet ouvrage et nous dire en quoi la droite française s’y inscrit ?

Le principe du « monstre doux » c’est : « Amusez-vous, ne vous préoccupez pas de politique, soyez égoïstes et imaginez que la réalité est toujours moins intéressante que le rêve, les vacances ou l’amusement ». C’est plus ou moins la synthèse des impulsions que le « monstre doux » nous lance et auxquelles beaucoup d’entre nous répondent positivement.

Je crois que la droite à la Le Pen n’en est pas encore là. Ils ne sont pas encore arrivés à la médiatisation du monde. Mais Nicolas Sarkozy est parfait dans ce rôle, avec ce monde médiatique dans lequel il évolue, sa femme, ses déclarations outrancières qu’il fait à chaque instant, son voisinage au monde de la finance et des médias, son intrusion personnelle dans ces domaines-là… Il correspond donc parfaitement à l’idéal du monstre doux, même si, à ce niveau-là, son ami Berlusconi le bat !

Est-ce que le succès du FN, doit pousser l’UMP se positionner politiquement plus à droite ?

Je vais vous répondre ainsi : il n’y a pas besoin d’un parti de centre-droit en France. Il n’y a besoin que d’une gauche et d’une droite. S’il y a une pression comme celle de l’immigration, il y a une polarisation des forces de droite. Même en considérant les différents échecs de Sarkozy, le centre-droit n’est plus nécessaire, c’est la droite qu’il faut comme réponse. Le bipartisme devient tout à fait légitime aujourd’hui.

Et la gauche ? Quel rôle peut-elle jouer en Europe face à une droite dominante ?

En matière de stratégie politique, les hommes et femmes de gauche devraient corriger les erreurs du passé et donc reconsidérer les sujet de l’immigration, de la mondialisation financière et économique. De la révolution numérique aussi qui marque de grandes avancées en terme de sources d’information, mais présente également des dangers (la pédophilie, par exemple).

C’est un vaste programme. Il ne faut pas organiser des réponses stalinistes, mais des réponses sensibles à la modernité. La tâche est énorme !

Une tâche énorme pour la gauche française ou pour la gauche européenne ?

Il s’agit d’un phénomène européen qui touche les pays qui ont connu le fascisme ou l’occupation. L’Italie, l’Espagne, les Pays Bas et la France… Il existe une flamme de droite qui n’est pas éteinte dans l’inconscient collectif. L’ Allemagne n’en semble pas concerné du fait, peut-être, de son sentiment de culpabilité. L’Europe est en ébullition et l’immigration ne fait qu’accentuer et stimuler la possibilité d’une réponse forte venant de droite.

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