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Radioscopie d’un conservatisme français qui retrouve du poil de la bête
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Mouvement

Le conservatisme s'est installé dans le paysage politique français. Edouard Husson décrypte les enjeux du débat au sein de la société et de la classe politique française sur cette notion.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Le conservatisme tranquille

Cela aurait pu être un événement. Le 12 octobre 2020, le mouvement « Sens Commun » a présenté les résultats d’une grande enquête sur le conservatisme dans le cadre du débat interne à LR sur les lignes de force d’un programme pour les prochaines élections présidentielle et législative. « Mais chez les LR, M’sieur, on n’débat pas, on s’tait ! » pourrait-on dire en parodiant une chanson de Brel. « On n’combat pas, on fuit ! » Chez Les Républicains, on subit Sens Commun comme un reste électoral un peu bizarre d’une époque révolue. Et pourtant, les résultats de l’enquête d’opinion sont tout à fait instructifs. 240 000 votes, 1153 propositions et un podium des thèmes les plus traités, qui donne: 1. Les institutions 2. L’immigration. 3. Les solidarités familiales et locales. On pourrait dire aussi que ce à quoi les conservateurs qui ont répondu à l’enquête d’opinion appellent, c’est à recueillir l’héritage du gaullisme, pour réajuster la pratique des institutions voulues par le Général; à répondre aux angoisses de cette France populaire qui a subi le choc du dilettantisme de nos élites (industrielles et culturelles) pour lesquelles longtemps l’immigration n’a pas été un problème puisqu’elle ne les concernait pas ou les arrangeait; à faire fructifier le message des Gilets Jaunes - dans la première partie du mouvement, celle précisément que Laurent Wauquiez, par lâcheté, a laissé écraser par les petites manoeuvres d’Emmanuel Macron et la brutalité policière. 
En soi, c’est une bonne nouvelle. Ce sondage montre que le conservatisme s’est installé dans le paysage politique français. Longtemps le mot fut péjoratif. Ou synonyme de cause perdue, puisque les conservateurs du XIXè siècle furent sauf exception monarchistes. Par son alliage de fidélité à l’héritage français et d’intelligence sur le monde contemporain, le Général de Gaulle fut, éminemment, un conservateur. Il est l’équivalent, pour la France, de Benjamin Disraeli pour la Grande-Bretagne. Sauf que la tradition de républicanisme conservateur qu’il proposait de fonder a été trahie par ses héritiers. Les jeunes gaullistes des années 1970 - dont un certain Michel Barnier - n’ont rien trouvé de plus malin que de s’appeler « Union des Jeunes pour le Progrès ». Il fallait quand même oser ! Georges Pompidou avait bien compris que le gaullisme est un conservatisme ou il n’est pas. Mais son héritier politique auto-proclamé, Jacques Chirac, nous a fait le coup du « travaillisme à la française », avant de construire toute sa carrière politique sur le rejet du Front National où, de plus en plus, se rassemblaient les héritiers du gaullisme populaire. Ensuite, il y a eu Nicolas Sarkozy, le meilleur de nos présidents depuis Georges Pompidou; mais peut-on mener une politique de droite avec un parti qui ne s’assume pas sur les deux sujets-clé que sont l’immigration et la sécurité? 
Je parle du gaullisme mais le conservatisme s’est trouvé aussi à l’UDF dans les années 1980. Valéry Giscard d’Estaing était, profondément, un conservateur, mais il croyait que pour gouverner la France il fallait revêtir un costume progressiste. Il l’a payé de sa non-réélection en 1981 mais à l’UDF des années 1980, on pouvait être ouvertement conservateur (Charles Millon, Philippe de Villiers, Christine Boutin) et débattre avec les modérés, les libéraux, les centristes. On y avait certes un peu de mal avec le conservatisme anglo-américain de la période (Margaret Thatcher, Ronald Reagan) mais le parti était un modèle de démocratie interne et donc il existait: il rassemblait 20% de l’électorat; tout comme le RPR rassemblait 20% de l’électorat. Avec les 15% que faisait régulièrement le Front National, on retrouvait les 55% que représente la droite en France, le score qu’elle devrait toujours faire au second tour des élections présidentielles.  On retrouvait les orléanistes (giscardiens), les légitimistes (héritiers du Général)  et les bonapartistes (lepenistes) de la célèbre classification de René Rémond. 
Depuis lors, les droites gaulliste et giscardienne n’ont cessé de perdre du terrain tandis que la droite lepeniste montait mais n’arrivait pas à dépasser un quart des suffrages exprimés. Sans doute l’enquête d’opinion présentée par Sens Commun nous donne-t-elle une clé: ce à quoi la droite aspire, c’est à un « conservatisme tranquille », au sens d’une capacité des chefs de la droite à s’assumer comme étant tranquillement de droite. Il y a des évidences à opposer tranquillement aux héritiers des jacobins qui se sont maintenus au pouvoir dans le sillage d’Emmanuel Macron. Il s’agit de trouver le point d’équilibre entre autorité et liberté, entre centralisation stratégique et décentralisation de la mise en oeuvre, entre capitalisation sur l’héritage et la transmission et identification des nouveaux talents, entre innovation technologique et souci de préserver l’humanité des rapports sociaux, entre insertion dans la solidarité occidentale et souci d’ indépendance nationale, entre engagement européen et déploiement de la France sur toutes les mers du globe, entre volonté d’assimiler l’étranger et capacité à l’accueillir etc....Dans cette notion de conservatisme tranquille, il y a bien « tranquille » mais il y a aussi « conservatisme ». 
Chez LR, on poursuit l’impossible rêve d’un « conservatisme progressiste », qui serait au passage l’un des versants du macronisme. Ce que les conservateurs, plus nombreux dans l’électorat que ce que croient les politiques et les sondeurs, ont envoyé comme message à leur parti  en répondant à l’enquête d’opinion, c’est: « Assumez-vous !» 

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