Racisme ressenti contre racisme constaté : radioscopie des énormes biais cognitifs de la pensée néo-progressiste<!-- --> | Atlantico.fr
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"Le racisme est une pandémie", peut-on lire sur cette pancarte lors d'une manifestation Black Lives Matter en Italie.
"Le racisme est une pandémie", peut-on lire sur cette pancarte lors d'une manifestation Black Lives Matter en Italie.
©Filippo MONTEFORTE / AFP

Idéologique

Les idées portées par les militants Black Lives Matter n’ont jamais été aussi hautes dans le débat public, alors que plusieurs études montrent que les comportements racistes - qu'ils proviennent de la police ou des simples citoyens - sont en baisse constante.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Aux Etats-Unis, le pourcentage de jeunes hommes noirs tués par la police a diminué d'environ 80 % depuis la fin des années 1960, selon une analyse approfondie des données du Center on Juvenile and Criminal Justice. Une autre étude publiée en 2016 dans la revue Injury révélait que les Noirs américains n'étaient pas plus susceptibles d'être blessés ou tués par la police que les Blancs américains lors de contrôles. Sur un tout autre plan, une autre étude montre qu’entre, entre 1958 et 2013, le pourcentage d'Américains qui approuvent les mariages mixtes est passé de 4% à 87%. Pourtant, les idées portées par les militants Black Lives Matter n’ont jamais été aussi hautes dans le débat public. Le racisme ressenti est-il supérieur au racisme réellement constaté ? Que disent les chiffres à ce sujet ?

Guylain Chevrier : La mort violente de George Floyd, captée par une passante sur une vidéo, scène atroce, a enflammé les réseaux sociaux et déclenché des manifestations exigeant des réformes pour mettre fin à des brutalités envers les minorités ethniques, que la police est accusée de commettre de façon systématique. Que cela ait déclenché l’indignation, quoi de plus légitime et ainsi des manifestations de rue. Mais de là à généraliser, pour en tirer des conséquences politiques, comme moins de financement pour la police, tel que cela a été le cas, c’est autre chose. Ce mouvement soutient que les Noirs sont régulièrement tués par « les flics » parce que l'Amérique les déteste. Est-ce bien le cas ? Des interrogations auxquels répondent par-delà le racisme ressenti, des articles publiés dans un média anglo-saxon Quillette, dont un tout récent, qui produit des éléments d’étude qui méritent toute notre attention (Black Lives Matter et la psychologie du fatalisme progressif par Samuel Kronen)

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Tout d’abord, concernant le contexte général concernant la situation des Noirs américains. En 2013, par exemple, on explique que « 72 pour cent des adultes blancs et 66 pour cent des adultes noirs ont déclaré que les relations raciales étaient très ou plutôt bonnes. » En 2020, après la mort de Georges Floyd, « ces chiffres étaient respectivement tombés à 46% et 36%. (…) De 2001 à 2017, le taux d'incarcération des Noirs américains a chuté de 34 %, l'espérance de vie des Noirs a augmenté d'environ trois ans et le pourcentage de Noirs titulaires d'un baccalauréat a augmenté de 82 pour cent. » Sur cette période, a augmenté de façon substantielle le nombre de politiciens noirs et de lauréats des Oscars. Avant 2008, beaucoup pensaient que le pays était trop raciste pour élire un président noir, ce qui est pourtant arrivé. Mais on note aussi que l’espoir suscité avec une présidence noire, de la fin du désavantage des noirs, a été un rêve brisé comme » l’erreur d’attendre l’arrivée d’une utopie », faisant tomber dans l’oubli les progrès accomplis. Donc, en quelque sorte, des progrès significatifs se sont produits mais dont la réalité objective n’a pas entamé un ressenti qui a pu être activé par le mouvement Black Lives Matter, au regard d’une Amérique toujours aux prises avec la mauvaise conscience de son passé.

Dans un autre article pour Quillette, on expose que « Ruth Marcus, finaliste du prix Pulitzer, écrit dans, le Washington Post que les hommes noirs ont deux fois et demie plus de risques que les hommes blancs d'être tués par la police ». Un chiffre qui reflète le fait que la population noire représente 14 % de la population américaine, contre 34 % des décès aux mains des forces de l'ordre. Si ces chiffres sont corrects, il manque, nous dit-on, une part importante de leur contexte pour en appréhender le sens. Le fait que les noirs, les blancs et les asiatiques ont des taux de criminalité différents, qui les exposent plus ou moins à ce risque. Par exemple, comme les Américains blancs sont plus susceptibles de commettre des crimes que les Américains asiatiques, ils ont deux fois plus de chances d’interagir avec la police et d'être tués pendant ces interactions. Les Noirs américains ont sept fois plus de chances de commettre un meurtre que les Blancs américains, et la majorité des meurtres et des vols aux États-Unis sont commis par des noirs constate-on, même s'ils sont une minorité. On précise que trente-cinq pour cent des agents de police sont tués par un délinquant noir.

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Dans l’article le plus récent, on insiste que, « malgré des preuves considérables que la police est plus susceptible d'arrêter, de harceler, de fouiller et de maltraiter les Noirs américains par rapport à d'autres groupes, plusieurs études n'ont trouvé aucune preuve de partialité dans les tirs de policiers sur des suspects noirs une fois que les taux de rencontres entre la police et les civils ont été comptabilisés ». On souligne dans le même temps, que « les Noirs américains sont environ 30 fois plus susceptibles d'être tués par des concitoyens que par la police. » Mais aussi, que « quatre-vingt-un pour cent des Noirs américains disent qu'ils veulent plus ou le même nombre de policiers dans leur quartier. »

Plus de 30 États ont adopté, explique-t-on, plus de 140 lois de réforme du contrôle de la police, pour introduire des réparations pour les Noirs américains sous diverses formes. La police est confrontée à une pression renouvelée pour exercer ses fonctions avec discrétion. D'un autre côté, le taux d'homicides est monté en flèche dans les villes du pays au milieu d'une vague historique de crimes violents comme à Minneapolis, avec émeutes et pillages dans de nombreux quartiers urbains.

Le phénomène se retrouve-t-il aussi en France ?

Le sentiment que la France est un pays raciste, qui a été importé après la mort de Georges Floyd, par des militants antiracistes indigénistes et décoloniaux, est le reflet des confusions sur lesquelles le mouvement Black Lives Matter s’est développé. On a utilisé les mêmes méthodes virales sur les réseaux sociaux, multipliant des scènes filmées où la police intervient, pour dénoncer une insécurité face à elle, de faits isolés pouvant parfois apparemment le justifier jusqu’à des provocations de militants, pour pratiquer l’amalgame et généraliser. Mais les chiffres ne suivent pas cette symbolique de l’assimilation de la France à l’Amérique.  Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Cesdip, auteur d'une thèse sur les deux polices, explique que les polices américaines tuent plus d’un millier de personnes par an, pour 320 millions d’habitants, alors que police et gendarmerie en France, une vingtaine. La police américaine, c’est 18514 agences fédérales en 2020, alors qu’en France, la police et la gendarmerie constituent des corps d’Etat dont la mission est unifiée, républicaine, et donc déontologiquement mieux encadrée, même si on trouvera toujours un contre-exemple ici ou là. En rapportant ces chiffres à la population de chaque pays, la police américaine tue 13 fois plus que les forces de police françaises. Aux Etats-Unis, circulent 300 millions d’armes à feu. Le taux d’homicide est 4 fois supérieur au nôtre. D’où un système pénal extrêmement répressif, dont le taux d’incarcération est 7 fois plus important qu’en France.  

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On parle des Etats-Unis et de la France comme deux sociétés multiculturelles, et donc comparables, mais leurs passés respectifs et leur mode d’organisation sociale n’ont rien à voir. L’Amérique est une société qui s’est créée sur une immigration de peuplement et a remplacé une population autochtone, et qui a ensuite fondé une large partie de son économie sur l’esclavage des noirs puis, qui a vu des vagues d’immigration de différents pays arriver et s’installer durablement. A chaque étape se sont constituées des communautés séparées, pour créer une société organisée sur le mode du multiculturalisme. Dans l’ordre communautaire, les noirs, après l’esclavage qui n’a pu être aboli que par une guerre civile, ont connu la ségrégation, avec un accès tardif aux droits civiques il y a environ 50 ans. La France est issue d’un brassage de population qui remonte au premier millénaire, qui n’est devenue un pays d’immigration qu’à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, surtout au XXe siècle. L’esclavage a été aboli dès la Révolution française sous la République qui ne l’a jamais toléré, rétabli par Napoléon, il est définitivement aboli avec la traite par la loi, sans effusion d’aucune sorte, en 1848, par la Seconde République. L’immigration avant et après la décolonisation, s’est installée dans un pays où c’est l’égalité en droit entre les individus et la citoyenneté qui prévalaient sur toute référence raciale, ethnique ou religieuse. D’où, une intégration qui s’est inscrite dans un processus de mélange des populations et non de séparation. Ce n’est que récemment à la faveur d’une immigration massive maghrébine et africaine, très présente dans le parc social en raison de sa condition sociale, sans but donc de mettre à part, qu’on a vu apparaître des ghettos sociaux, mais aussi religieux ou ethniques, dans le contexte d’une crise économique et sociale qui n’est pas toujours favorable à une intégration réussie. On a cherché à plaquer sur la France un modèle racial qu’elle n’a jamais connu, pas plus hier qu’aujourd’hui, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de problèmes de racisme, mais dans des proportions et selon une nature radicalement différente. En France, ce sont environ 6100 affaires qui arrivent devant les tribunaux à ce titre par an, avec environ 10 % de condamnations. Ce qui ne saurait justifier en aucune façon, même en y incluant l’idée que toutes les discriminations n’y arrivent pas, l’idée d’« un racisme systémique ». Accuser la police en France de reproduire des rapports de domination hérités du colonialisme, dans le prolongement d’un racisme d’Etat, est de l’ordre d’un pur fantasme.

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Cela étant, même aux Etats-Unis on ne saurait attribuer à une seule cause les décès dans les interactions avec la police, dont ceux des personnes noires, car le profil économique des victimes est de ce côté très déterminant. « 95 % des individus tués par la police appartiennent aux classes populaires, toutes couleurs confondues depuis 2015, selon le Washington Post, 1.291 Noirs sont tués (31 pour 1 million), 900 Latino-Américains (23 pour 1 million), et 2.468 Blancs (13 par million) ) ». Un facteur de risque étroitement lié au rapport entre pauvreté et délinquance, qui s’il n’évacue pas le facteur racial le modère incontestablement. 

A quoi est due cette surestimation du racisme ? Quels sont les biais cognitifs qui la provoquent ?

Ce que nous dit cet article de Quillette a ce sujet, c’est que « la symbolique d'un flic blanc tuant un suspect noir » est ce qui suscite l'indignation morale collective. Et donc, que si Derek Chauvin avait été noir, ou si George Floyd avait été blanc, les choses auraient été différentes. Mais est-on prêt à l’entendre ? En fait, ce qui nous est exposé c’est que ce standard racial, est considéré comme justifié en tant que correctif du passé de l'Amérique. Le racisme ayant défiguré ce dernier, il semble approprié à beaucoup de gens d’être particulièrement vigilants aux circonstances pouvant faire écho à cette histoire. Cette façon de regarder le présent à travers le prisme du passé, ce désir d'échapper à l'histoire, peut être vu comme un risque, celui de s’y enfermer.

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On ne peut comprendre l’effet démesuré de ce mouvement, selon cet exposé, sans le mettre en relation avec l'explosion des médias sociaux et du journalisme numérique. « Le pourcentage d'Américains citant Internet comme principale source d'information est passé de 14 à 47% entre 2006 et 2018. » L'omniprésence des téléphones-appareils photo a permis une diffusion de masse d’incidents jugés rares d'inconduite policière avec violences, déplaçant l'attention du local vers des récits prenant une dimension nationale et même mondiale, créant une boucle de « rétroaction d'indignation morale perpétuelle ».

On avance, que la contradiction entre les idéaux des Lumières, sur lesquels la démocratie américaine s’est bâtie, et l'esclavage, l'apartheid racial, a eu pour conséquence que la condition des noirs soit lourde « de sentiments puissants de culpabilité nationale symbolique ». Cet héritage a fourni un modèle symbolique pour d'autres formes de protestation sociale et d'activisme de groupe. 

On analyse que, le symbolisme ici fournit aux cultures ses repères, comme « une géographie émotionnelle » permettant de se situer au regard de réalités historiques complexes, qui sont difficilement accessibles à tout un chacun. Mais cela peut aussi rendre aveugle, poursuit le propos, à l'accumulation de changements matériels et empêcher une compréhension équilibrée du présent. Autrement dit, face à des progrès évidents, les sociétés démocratiques restent imparfaites et inégales à bien des égards. On souligne les risques d’un fatalisme qui en vient à la demande des mesures les plus extrêmes comme le « dé-financement de la police ». Ce qui montre parfaitement la nature de ce phénomène qui en vient à créer les conditions de la remise en cause des fondements mêmes de la société démocratique dont la liberté repose sur la sécurité, au motif d’éviter des meurtres raciaux par la police et laisser se développer l’impunité du crime, s’il a pour excuse une cause raciale ou/et sociale. L’argument du combat contre le suprémacisme blanc est aussi mis en cause, au regard d’un pays « où la génération à venir est majoritairement « non blanche », ou où un groupe racial non blanc. Mais le risque d’un retour de ce suprémacisme blanc n’est pas à écarter dans ce face à face symbolique.

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Il y a l’idée diffusé par le progressisme du mouvement Black Lives Matter, que la réconciliation entre « le péché de l’esclavage et l’idéal démocratique » serait un mythe. Mais qu’il y a-t-il à attendre hors de ce salut ? On s’étonne effectivement de la réponse qui a été apportée ces dernières années à la question identitaire aux Etats-Unis, autrement dit, la façon dont les groupes se définissant comme opprimés au lieu de demander l’abandon des catégories qui les excluaient, les retournaient en fierté raciale ou ethnique, comme si l’émancipation était dans le retour des tribus. Pour en sortir, il faut arriver à s’extraire de cette croyance fondée sur ce matériau symbolique du dualisme racial, « que ce qui se passe dans la conscience des blancs est la cause de la pauvreté noire ». Mais le problème n’est-il pas plus celui de la société elle-même, et de la façon dont elle se met ou non en perspective, comme projet commun ? 

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