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Quel avenir pour l’Europe en cas de vraie guerre commerciale avec les Etats-Unis ?
©BENOIT TESSIER / POOL / AFP

Refroidissement

Les relations transatlantiques entre l'Union européenne et les Etats-Unis font face à un refroidissement, sur fond de retour au protectionnisme américain et de contestations intérieures dans les pays Européens.

Frédéric  Farah

Frédéric Farah

Frédéric Farah est économiste et enseignant à Paris I Panthéon Sorbonne.

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Atlantico : Alors que le rapport américain sur le secteur automobile doit être publié avant le 17 février, les relations transatlantiques entre l'Union européenne et les Etats-Unis font face à un refroidissement, sur fond de retour au protectionnisme américain et de contestations intérieures, en France, en Italie ou encore en Allemagne. L'Europe elle-même tremble sur ses fondements. Une guerre commerciale, sur le secteur automobile ou d'autres secteurs, ne risquerait-elle pas de fragiliser encore plus les alliances européennes, entre la France et l'Allemagne, et la relation transatlantique elle-même ? L'Europe et son industrie pourrait-elle faire face ? Et ce, sans fragiliser le couple franco-allemand en considérant la pression mise sur la France pour intégrer l'agriculture dans les négociations ?

Frédéric Farah : Aujourd’hui, la grande absente pour ne pas dire la perdante de la mondialisation, est l’Union européenne. Nous ne le dirons jamais assez, l’Union européenne n’est pas une entité stratégique. Son double dogme, la promotion du libre-échange et la fétichisation de la concurrence libre et non faussée, organise le désarmement économique du continent. La naissance de géants européens, qu’on pourrait nommer champions nationaux pour reprendre une vieille appellation française,ne peut émerger. Aussi discutable soit elle, la fusion Siemens Alstom est inenvisageable dans une Union européenne dogmatique, comme en son temps, celle de Legrand Schneider au début des années 2000. Les européens se consolent en se disant que la guerre tarifaire entre la Chine et les Etats-Unis, leur permettrait de récupérer en valeur et en volume des exportations, mais cela résulte plus d’un concours de circonstances que d’une volonté politique bien affirmée. Si l’on observe les alliances automobiles de ces dernières années, elles ne font pas apparaître des champions européens. Peugeot se rapproche de Dongfeng le constructeur chinois, Fiat avec Chrysler, Renault Nissan. Bien souvent, les entreprises se font plus une concurrence mortelle entre elles, car elles visent les mêmes marchés.

Il est évident que dans la guerre commerciale avec les Etats Unis, c’est l’Allemagne qui est dans le viseur de Trump. Cette dernière est préoccupée, car son économie se ralentit et ses investissements dans le secteur automobile sont importants aux Etats-Unis. Dans l’Union européenne, il est rare de voir un accord ou un consensus émerger entre les Etats dans le domaine commercial, comme dans bien d’autres. Dans le défunt traité transatlantique dit TTIP ou le CETA, certains Etats européens étaient plus franchement partisans du libre-échange que d’autres. Quant au couple franco-allemand, ce n’est pas le traité dit d’Aix la Chapelle qui va redonner vie à un moribond. Mad           ameMerkel achève dans un état de faiblesse avancé son dernier mandat et E Macron est fragilisé à l’intérieur du pays et n’a pas réussi à convaincre ses partenaires européens. Le couple franco-allemand est largement mort avec la fin de la guerre froide.

A l’inverse, ce qui demeure vivant, ce sont les relations économiques entre les deux Etats, l’Allemagne reste le premier partenaire économique de la France mais la France n’est plus que le 4ème partenaire. Les trois premiers partenaires commerciaux de l’Allemagne dans l’ordre sont la Chine, les Pays-Bas, et les Etats Unis. La France a été le premier partenaire commercial de l’Allemagne jusqu’en 2014, avant de céder sa place aux Etats Unis, puis à la Chine. Aujourd’hui, comme le souligne une étude récente du CEPII, l’atonie des exportations françaises s’expliquerait pour partie par  «la difficulté de la zone euro à mettre en œuvre des politiques coordonnées de rééquilibrage en son sein »

L’industrie européenne sort affaiblie de la crise économique entamée, il y a plus de dix ans, et l’Union européenne à peine à protéger ses secteurs industriels. Elle essaye de contenir les menaces américaines, en augmentant massivement ses importations de soja par exemple. La relation transatlantique restera importante mais elle est en souffrance tant sur le plan militaire, qu’économique que politique.

Les débats ouverts par Trump peuvent être considérés comme légitimes: comme celui des taxes sur l'acier et l'aluminium, censés rebooster l'industrie américaine. La désindustrialisation européenne et le mal qu'elle produit sur les économies européennes ne sont-elles pas les failles réelles dans lesquelles le discours de Trump prend toute sa force ? 

L’Union-Européenne et les Etats-Unis sont confrontés à des défis communs qui caractérisent la seconde mondialisation. La première de 1870 à 1914, était caractérisée par la désindustrialisation du sud et l’industrialisation du nord, désormais c’est l’inverse qui se produit, le sud depuis plus de trente ans s’industrialise et le nord se désindustrialise.  Néanmoins une remarque s’impose, même si nous ne disposons de l’espace nécessaire pour développer notre propos. La désindustrialisation comme concept laisse entendre une séparation entre le secteur de l’industrie et des services, cette séparation est largement artificielle. Les services sont très largement liés au secteur industriel. Mais c’est une autre question.

La désindustrialisation résulte d’une triple interaction entre tertiarisation, productivité, et globalisation. Ce phénomène a affecté qualitativement et quantitativement l’emploi. Ce secteur même s’il connait un recul, représente 75% de nos exportations et 80% de l’effort de la recherche et développement.

La réindustrialisation doit s’accompagner de spécialisations nouvelles qui répondent à la demande interne et externe, et qui sont porteuses de croissance. Avant toute chose, il faut envisager un redressement de l’appareil productif, et sortir des stratégies low-cost : addiction aux exonérations de cotisations sociales dont les effets sur l’emploi font débat, obsession de la maitrise du coût du travail, et autres. L’Union européenne dispose de capacités productives importantes, mais les choix de politique économique de ces dernières années, doublées d’un euro trop fort pour l’Italie et la France ont porté des coups redoutables à l’industrie européenne. Les pays émergents, depuis 2009 font en quelque sorte leur « marché » en Europe, aussi bien d’infrastructures portuaires, que de vignobles bordelais sans compter aussi les offensives américaines dans des domaines stratégiques. L’Union européenne est incapable de définir un objectif commun, elle réplique les pires travers de la mondialisation.

Trump met en avant un projet avant tout économique: faire des Etats-Unis la superpuissance qu'elle veut être à nouveau. L'Union européenne se débat avec un projet à la fois économique et politique: assurer le développement et la prospérité de l'Europe et garantir la paix dans un continent miné par ses divisions et ses différences. Cette guerre commerciale ne risque-t-elle pas de miner les efforts européens sur le plan du projet politique ? Est-ce que l'Union européenne est en mesure de lutter rapidement, efficacement, à armes égales, avec les Etats-Unis si Trump décidait d'engager un bras de fer commercial ? L'Europe ne serait-elle pas tout bonnement isolée et impuissante ?

L’Union européenne est confrontée à trois choix : retour aux Etats nations, dilution définitive dans une zone de libre-échange, ou fédéralisme. De projet politique européen, on n’en voit aucun sérieux s’affirmer à l’horizon, ce qui règne dans le continent ce sont des stratégies non coopératives. Nous ne sommes plus des partenaires mais que des concurrents. Nous multiplions les accords de libre échange bien souvent mal pensés et aux effets préoccupants. On peut penser aux accords avec le Japon ou le Canada. L’Europe, toute à sa candeur et idéologie croit apparaitre comme le digne représentant de l’ordre économique d’après-guerre : défense du libre-échange et du multilatéralisme. Elle fait passer en contrebande, sans ratification par les parlements des accords de libre échange comme celui avec le Japon. Les gains de croissance espérés demeurent faibles pour ne pas dire dérisoires, alors que les coûts risquent d’être supérieurs. Après l’accord avec le Japon, nous verrons les effets sur le secteur de l’automobile européen.

L’Union européenne est déjà largement impuissante, il est temps de manière concertée revoir le gouvernement économique de l’Europe séance tenante, à savoir abandonner les règles budgétaires, limiter les pouvoirs de la direction de la concurrence au sein de la Commission européenne, et abandonner le dogme d’indépendance des banques centrales et retirer des compétences de négociation en matière d’accords commerciaux, et rendre obligatoire l’implication des parlements nationaux dans pareilles négociations ou accords, et protéger par la loi les secteurs stratégiques. L’Union européenne telle qu’elle a été pensée économiquement, est un projet du passé. Elle est ingouvernable, et défend un gouvernement par les règles et adhère de manière délétère aux lois du marché. Le temps de tourner la page est arrivé. Il faut repenser les coopérations européennes à l’heure des crises géopolitiques et économiques.

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