Que serions-nous concrètement capables de faire si des troupes devaient être envoyées en Ukraine ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les derniers soldats français embarquent dans un avion militaire français pour quitter définitivement le Niger, sur la base française remise à l'armée nigérienne, à Niamey, le 22 décembre 2023.
Les derniers soldats français embarquent dans un avion militaire français pour quitter définitivement le Niger, sur la base française remise à l'armée nigérienne, à Niamey, le 22 décembre 2023.
©BOUREIMA HAMA / AFP

Etat des lieux

Emmanuel Macron n’a pas exclu d’envoyer des troupes en Ukraine pour empêcher la Russie de gagner la guerre.

Fabrice Wolf

Fabrice Wolf

Fabrice Wolf est ancien pilote de l’aéronautique navale, et rédacteur en chef du site d’information Meta-defense.fr.

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François Chauvancy

François Chauvancy

Le général François Chauvancy est consultant en géopolitique. Il est aussi l'auteur de « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d’influence, affrontement économique ».

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Atlantico : Emmanuel Macron n’exclut pas d’envoyer des troupes en Ukraine pour empêcher la Russie de gagner la guerre. Si la France décide de sauter le pas, quelles seraient ses capacités ?

Fabrice Wolf : Envoyer des troupes dans une zone de conflit ne signifie pas, nécessairement, s’impliquer dans les combats, que ce soit directement, ou indirectement. Dans le cas l’Ukraine, il est très probable que, si des forces armées européennes devaient être envoyées, ce serait pour apporter un soutien aux armées et populations, et non pour intervenir face à la Russie.

Par exemple, le déminage fait partie, simultanément, des neuf coalitions créées en soutien à l’Ukraine, mais aussi des cinq catégories d’action identifiées lors du sommet de Paris, cette semaine. Or, le déminage est avant tout une spécialité militaire du génie.
L’envoi de troupes du génie, pour déminer les abords de Kharkiv, ou le nord de Kyiv, n’entrainerait probablement pas d’évolution de la qualification de belligérant des pays participant à cette action. 

De même, le fait qu’il a été précisé, dans le même discours, que le déploiement de forces militaires n’avait pas obtenu de consensus, et que des moyens non militaires pourraient être déployés pour renforcer la frontière avec la Biélorussie, laisse supposer, qu’à l’avenir, des moyens militaires destinés à opacifier la frontière, pourraient être déployés, de sorte à empêcher une manœuvre de contournement de la ligne de front, ou l’entrée en guerre d’un second belligérant. Notez au passage que la Russie à utiliser le territoire biélorusse pour lancer son attaque nord, il y a deux ans, et que, pour autant, l’Ukraine n’est pas en guerre avec Minsk. 
Dans tous les cas, si des moyens militaires, français ou européens, devaient un jour être déployés en Ukraine, il s’agirait, très certainement, de capacités destinées au soutien des forces ukrainiennes, par exemple, pour la logistique, le commandement, le déminage, les communications, ou pour protéger, au pire, certaines infrastructures ou grands centres urbains, mais certainement pas, sauf évolution dramatique du contexte, pour engager directement les armées russes.

Dans ces domaines, les armées françaises disposent de moyens, et surtout de compétences, particulièrement utiles, acquises notamment lors des nombreuses opérations extérieures auxquelles elles ont participé. 

François Chauvancy : Dans sa réponse à un journaliste ce lundi 26 février, le président de la République a évoqué l’hypothèse future du déploiement en Ukraine de troupes terrestres comme étant une réponse à ne pas évacuer à l’agression russe. Il a précisé qu’il n’y avait pas de consensus sur cette question au niveau des Etats alliés tout en rappelant que bien des réticences depuis deux ans sur l’envoi de différents types d’armes avaient été levées progressivement.

En revanche, il a souligné que chaque pays était souverain et libre de calibrer son engagement. En l’occurrence déployer une force militaire nationale est une possibilité à ne pas écarter et qui n’engagerait que le pays concerné, donc ni l’OTAN, ni l’Union européenne. C’est pourquoi les propos réactifs du chancelier allemand ne sont pas acceptables. Néanmoins, ce déploiement français pourrait être interprété comme une co-belligérance qui réclamerait au moins un débat au parlement si le président de la République choisissait cette option.

Cependant, une mission de combat reste bien aléatoire en Ukraine si l’on prend en considération les forces en présence et le taux d’attrition. En revanche, une mission d’appui reste une hypothèse à étudier (contrôle d’une zone arrière de la ligne de front, par exemple la frontière biélorusse permettant aux Ukrainiens de redéployer leurs forces contre les Russes, déminage comme cela a été évoqué depuis les propos du président de la République, maintenance des engins ukrainiens…).

Si la France est engagée dans un conflit conventionnel avec la Russie, quelles seraient ses ressources dont l’armée dispose en termes d’homme et de matériel ?

Fabrice Wolf : A l’instar de la majorité des armées européennes, et occidentales, les armées françaises ont évolué, de 1990 à 2020, pour répondre à des besoins opérationnels principalement constitués d’opérations extérieures et de projection de puissance, face à des adversaires d'asymétriques de type guérilla. En conséquence, elles manquent, aujourd’hui, cruellement de certains moyens, et de masse, pour s’engager dans un conflit conventionnel symétrique, en particulier face à la Russie. 

C’est notamment le cas concernant les blindés lourds chenillés, avec seulement 200 chars Leclerc, mais aussi de l’artillerie, des moyens antiaériens mobiles, des capacités de frappe à longue portée, ou encore de guerre électronique. La Loi de Programmation Militaire 2024-2030, tente de corriger certains de ces problèmes, en particulier dans le domaine des munitions, mais ne change pas le format des armées, qui reste identique à celui établi par le Livre Blanc de 2013, à une époque à laquelle la Russie était considérée presque comme un allié. 

Les armées françaises, en dépit de leur format trop réduit, avec une force opérationnelle terrestre, le bras armé de l’armée de terre, de 77 000 hommes, ne sont pas pour autant désarmées.

Déjà, la France peut s’appuyer sur une puissance aérienne des plus significatives, avec près de 130 Rafale, et 80 Mirage 2000-5 et 2000D, des avions très capables, qui d’ailleurs sont activement demandés par l’Ukraine. Ils sont soutenus par les fameux Awacs, au nombre de 7 (4 Sentry et 3 Hawkeye), mais aussi par une quinzaine d’avions ravitailleurs KC-135 et A-330 MRTT phœnix. 

Cette puissance aérienne, cumulée à celle de nos alliés européens, modifierait radicalement la géométrie d’un éventuel conflit en Ukraine, face à la Russie, en comparaison de ce qui se déroule aujourd’hui. 

Les armées françaises disposent aussi de moyens de commandement, de communication, de soutien logistique, d’accompagnement des forces, ainsi que de troupes professionnelles particulièrement bien entrainées et aguerries, qui là encore, modifieraient l’ensemble de la physionomie des engagements, si elles devaient intervenir.

Toutefois, il faut reconnaitre qu’aujourd’hui, elles peineraient rapidement pour soutenir un conflit dans la durée, tant elles manquent de réserves, que ce soit en hommes, en matériels, en munitions, ou en pièces détachées. C’est d’ailleurs cette même limite qui handicape les Ukrainiens lorsqu’ils utilisent des équipements occidentaux. 

De toute évidence, si la France décide de s’engager davantage, y compris simplement sur le volet du discours géostratégiques, il lui sera indispensable, très rapidement, de revoir les objectifs, et les budgets, de la LPM en cours, pour mettre en adéquation les ambitions exposées, et les moyens dont ses armées disposent effectivement. Des solutions existent, pour peu que l’on accepte d’élargir quelque peu les horizons traditionnels encadrant la programmation militaire. 

François Chauvancy : Dans l’idéal, ce déploiement militaire devrait être aéroterrestre (armée de Terre et armée de l'Air et de l'Espace afin d’assurer la protection aérienne de nos forces). Concernant les forces terrestres, près de 27 000 soldats sur 136 OOO (OPEX, outre-mer, Sentinelle…) sont déjà déployés au quotidien. Les moyens sont donc limités malgré les contrats-opérationnels déterminés par la précédente LPM 2019-2025.

Outre un état-major de théâtre, celle-ci fixe le contrat opérationnel des armées en haute intensité :

- en interarmées, des moyens de renseignement, de guerre électronique, un soutien de théâtre intégrant les soutiens santé, munitions et pétrolier, cyber et soutien de l’homme adaptés aux opérations menées.

- Au niveau terrestre cela signifierait la projection dans des délais de plusieurs semaines sinon plusieurs mois, jusqu’à 2 brigades interarmes représentant environ 15 000 hommes mettant en oeuvre près d’un millier de véhicules de combat (dont environ 140 LECLERC, 130 JAGUAR et 800 véhicules de combat d’infanterie), 64 hélicoptères et 48 CAESAR. Concrètement, cette force militaire terrestre pourrait difficilement dépasser aujourd'hui la taille d’une brigade interarmes d’une dizaine de milliers de soldats au grand maximum (chars, infanterie, artillerie, défense sol-air, génie, logistique).

- Au niveau aérien, une base aérienne projetable est envisageable avec un nombre d’avions en fonction des missions, sans doute principalement orientées vers l’interdiction de l’espace aérien et la protection des forces terrestres.

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