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Que reste-il vraiment du souffle de la vision portée par Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle ?
©IAN LANGSDON / POOL / AFP

Dans le chaudron des réformes

Près d'une année après la tenue de ces propos, où en sommes-nous des annonces d'une certaine fin du paritarisme à la française ?

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Dans une interview donnée au Parisien le 2 mars dernier, Muriel Pénicaud a pu annoncer que le gouvernement irait "plus loin" que les que les partenaires sociaux sur la question de l'indemnisation chômage. Une décision qui a entrainé la réaction du négociateur FO,  Michel Beaugas : « Pour l’instant, on peut se satisfaire du fait que notre accord a été repris à 95 % ». Au regard des déclarations de campagne concernant le paritarisme, Emmanuel Macron avait pu déclarer "Je fais confiance aux syndicats pour réguler les relations de travail dans la branche et l'entreprise. Mais ils ne doivent pas se substituer aux détenteurs de l'intérêt général". Près d'une année après la tenue de ces propos, où en sommes-nous des annonces d'une certaine fin du paritarisme à la française ?

Philippe Crevel : Emmanuel Macron a un sens napoléonien de la réforme. Il commence par attaquer un flanc faible. L’avantage obtenu, il frappe fort au cœur avant de mener une bataille de mouvement. Il a pratiqué ainsi pour le code du travail. Il fait de même pour la Corse, la formation professionnelle, l’assurance-chômage, la SNCF ou les retraites. Pour lancer les hostilités, le Gouvernement annonce la couleur de la réforme avec à la clef un rapport qui signale la nécessité d’agir vite et bien. Les personnes visées réagissent, en règle générale, de manière véhémente, se découvre car exposées à la vindicte populaire. A ce moment là, le pouvoir accélère et annonce fièrement ses intentions concrètes en indiquant qu’il pourra user des ordonnances. Mais très rapidement, pour circonscrire l’incendie, une concertation est engagée. Les parties prenantes sont alors submergées par un flot de propositions, ce qui les obligé à effectuer des choix et à accepter la conciliation par peur de périr noyées. Ainsi, pour la SNCF, de la publication d’un rapport, celui de Jean-Cyril Spinetta à la concertation, quelques jours se sont déroulés.

Avec les régimes complémentaires de retraite, l’assurance-chômage reste un des derniers domaines où le paritarisme est censé primé. Or, aujourd’hui, le gouvernement donne le « la ». Le paritarisme à la française a toujours été fortement encadré par l’Etat. Nous sommes un pays vertical depuis des lustres, depuis la monarchie absolue, depuis le Consulat.

Dans sa forme actuelle, le système de protection sociale français date de 1944. Tout n’est pas né, loin de là, à la Libération et tout n’a pas été créé en une journée. La protection sociale est le fruit de l’industrialisation et des luttes syndicales qui l’ont accompagnée. De nombreuses structures d’initiative privée ou publique apparaissent au cours du XIXe siècle afin de venir en aide aux ouvriers.

Notre histoire sociale est marquée par la période révolutionnaire, avec la suppression des corps intermédiaires par la loi Chapelier de 1791 et le décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791, qui interdisait la création de syndicats de salariés et de mutuelles ainsi que le droit de grève, a compliqué l’élaboration de consensus sociaux. Il faudra attendre le 25 mai 1864, sous le Second Empire, afin que le délit de coalition et de grève soit supprimé par la loi Ollivier. Dans les faits, cette loi met un terme au délit de constitution de syndicats tout en maintenant leur interdiction. La légalisation des syndicats professionnels n’intervient qu’avec la loi du 21 mars 1884. Ce combat pour la reconnaissance des syndicats a laissé son empreinte dans l’histoire sociale de la France.

Cette longue maturation du fait social et notre travers centralisateur ont conduit à placer État au cœur de la vie sociale de la Nation. La Sécurité sociale version 1944 s’appuyait sur les principes mis en œuvre par la mutualité et par les Bourses du Travail au XIXe siècle et durant la première partie du XXe siècle. L’esprit d’après guerre, de la résistance donnait l’avantage aux syndicats. Mais le paritarisme a été rapidement battu en brèche. Il a reculé dès l’apparition des premiers déficits. Les ordonnances de 1967 avec la création de caisses nationales ont donné les clefs de la Sécurité sociale à l’Etat. Les crises des années 70 et 80 parachevèrent l’étatisation qui s’est traduit par l’adoption à partir de 1996 des fameuses lois de financement de la Sécurité sociale.  

Alors que les syndicats redoutent un "coup de barre à droite après un coup de barre à gauche" lors de la présentation de la réforme de la formation professionnelle, ce qui permettrait de justifier la décision de conciliation prise par le gouvernement concernant l'assurance chômage, comment interpréter le "renouveau" qui a été porté par Emmanuel Macron ? 

Emmanuel Macron est un populiste éclairé. Populiste car il entend dépasser les corps intermédiaires. Populiste car il met en avant le peuple par rapport aux représentants des anciens mondes. Eclairé car issu de l’élite, de la technocratie. Eclairé car il veut plaire et se concilier les corps constitués qu’il dénigre par ailleurs. Il en résulte une marche de biais. Un haut fonctionnaire préfère toujours la concertation à la guerre. Il est convaincu de sa supériorité, du bienfondé de ses décisions mais il veut imposer, par le verbe, le raisonnement, la longue fatigue des réunions interminables, ses positions.

Emmanuel Macron sait qu’il doit agir vite faute de quoi le risque d’enlisement augmentera. Mais, dans le même temps, il ne veut ni bloquer le pays, ni se couper d’interlocuteurs. Il veut gagner la bataille intellectuelle. Evidemment, une telle pratique de la réforme peut entraîner des revirements, ces concessions et des incompréhensions. Plus la politique se veut raffiner, plus elle perd en lisibilité.

Comment expliquer cette tendance actuelle du gouvernement, qui semble aller à l'encontre des intentions de campagne d'Emmanuel Macron ?

Aujourd’hui, le paritarisme peut apparaître en panne du fait du refus croissant du Medef de cogérer avec les syndicats la protection sociale. Par ailleurs, les divisions au sein de ces derniers ne facilitent l’adoption de décisions. La CGT qui s’enorgueillit de rejeter tous les accords constitue un poids mort pour les partisans de la négociation. Face aux blocages, Emmanuel Macron a voulu en tirer les conséquences. Il a donc opté pour une bataille de mouvements. Mais même affaiblis, même divisés, les syndicats sont encore présents et bien souvent incontournables. L’Etat s’est façonné depuis 70 ans dans la négociation. Il faut en permanence des partenaires pour discuter. Le passage en force effraie tous les gouvernements. Il y a toujours une crainte s’une cristallisation des oppositions.

Le Gouvernement a ouvert un grand nombre de chantiers, droit du travail, formation professionnelle, assurance-chômage, retraite, SNCF, collectivités locales, Corse. Il faut savoir les fermer. Il ne veut pas porter seul tout le fardeau de ces dossiers. Il en résulte un impressionnisme politique par toujours déchiffrable. Il est encore trop tôt pour savoir si cette pratique de la réforme débouchera sur un Austerlitz ou sur un Waterloo.

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