Que faut-il penser du New Deal à 300 milliards d’euros de Jean-Claude Juncker ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Jean-Claude Juncker.
Jean-Claude Juncker.
©Reuters

Jean-Claude Roosevelt

Dans une lettre aux 750 députés européens envoyée mardi 15 juillet, le nouveau président de la Commission européenne a annoncé sa volonté de mobiliser "300 milliards d’euros d’investissements publics et privés dans l’économie réelle dans les trois prochaines années". Certains, comme le ministre de l'économie français Arnaud Montebourg, disent soupçonner un "recyclage".

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »
Jean Luc Sauron

Jean Luc Sauron

Jean-Luc Sauron est Haut fonctionnaire, professeur de Droit européen à l'Université Paris-Dauphine.

Voir la bio »

Atlantico : Jean-Claude Juncker a anoncé un plan de relance à 300 milliards d'euros sur trois ans. Quelle est l'origine d'un tel plan ? Que peut-on en attendre ?

Nicolas Goetzmann : Les élections européennes du mois de mai dernier ont abouti à une prise de pouvoir du Parlement européen sur le mode de désignation du Président de la Commission européenne. Jean-Claude Juncker a ainsi bénéficié de cette "légitimité" pour être désigné par le Conseil européen dans un premier temps, puis a été confirmé par un vote du Parlement dans un second temps. Le plan de 300 milliards d'euros a été annoncé le jour du vote du Parlement et peut ainsi être considéré comme un discours de politique générale, une déclaration d'intentions. Ce plan se devait de correspondre à la feuille de route qui lui a été donné par le Conseil européen, c'est-à-dire par l'ensemble des chefs de gouvernements. 

Jean-Claude Juncker devait trouver une réponse aux appels en faveur d'une politique de croissance au niveau européen, nouvelle priorité "affichée" par la Commission. Le problème est que Jean-Claude Juncker se trouve contraint d'annoncer monts et merveilles alors même qu'il n'a pas les moyens de ses ambitions, justement parce qu'il s'agit plus d'affichage que d'une réelle volonté des dirigeants européens.

Jean-Luc Sauron : Jean-Claude Juncker a énoncé ce plan devant le Parlement européen lors de son investiture comme président de la Commission européenne par ce dernier le 15 juillet 2014. Il a présenté cette somme comme un élément d'un plan de lutte contre le chômage en Europe. Il a qualifié la masse des chômeurs de 29ème Etat membre de l'Union européenne. La formule est forte et il est très étonnant qu'elle n'ait pas davantage marqué les esprits. Jean-Claude Juncker a mentionné la durée de trois années comme celle où ces 300 milliards seraient engagés. Il ne s'agit pas d'une petite somme puisque si ce plan se déroule, cela conduirait à ajouter au montant annuel du budget de l'Union européenne de 2014 à 2017 cent milliards pour un budget annuel de 142 milliards (chiffres 2014). Deux précisions n'ont pas été évoquées par le nouveau président de la Commission européenne : d'où proviendraient ces milliards ? quelles utilisations pertinentes pour lutter contre le chômage ? Le plus étonnant est l'absence de débats tant au Parlement européen que dans les capitales des 28 Etats membres sur une décision qui tranche sur le passé récent de l'Union européenne.

Arnaud Montebourg s'est inquiété de l'existence d'un tel plan, évoquant le recyclage de fonds déjà existants. S'agit-il réellement d'une nouvelle stratégie européenne avec de nouveaux fonds destinés à la relance européenne ?

Jean-Luc Sauron : Comme je viens de le dire, en l'état, personne ne peut l'affirmer ! Un tel recyclage est impossible compte tenu des règles budgétaires européennes. Les dépenses sont fixées dans un cadre allant de 2014 à 2020 (le cadre financier pluriannuel) sur des lignes budgétaires très précises et où les souplesses, permettant d'utiliser des fonds prévus pour une politique pour une autre, existent mais sans commune mesure avec un budget familial et dans un volume bien inférieur à 10 % du budget décidé ! Or une telle stratégie conduirait à redistribuer 300 milliards sur les 450 milliards de budget de l'UE entre 2014 et 2017, soit 70% dudit budget ! La seule explication serait celle d'une mobilisation novatrice et audacieuse de fonds nouveaux et par le biais d'une procédure devant s'appuyer sur un acte de droit dérivé et l'accord tant du Parlement européen que du Conseil de l'Union européenne. Il paraît de plus inenvisageable qu'une telle procédure puisse être lancée avant l'investiture du collège des commissaires européens, c'est-à-dire au mieux à partir du 1er novembre 2014... pour un effet à la mi-2015!

Nicolas Goetzmann : Arnaud Montebourg a raison de s'en inquiéter car il apparaît de plus en plus clairement que les 300 milliards ne sont rien d'autre que les 325 milliards annoncés dès 2013 lors de la présentation du budget de l'union européenne. Il s'agit du montant réservé aux fonds structurels européens au titre du budget 2014-2020. C'est-à-dire que les annonces de Jean-Claude Juncker correspondent à des mesures déjà prises et déjà annoncées. Le cynisme est de faire croire qu'il s'agit là d'une nouveauté alors même que ce montant de 325 milliards est en baisse par rapport à la précédente commission (343 milliards). On ressort du vieux pour faire du neuf, ce afin de contenter les grands perdants, c'est-à-dire les partisans de la relance européenne. Il n'y aura pas de flexibilité budgétaire, il n'y aura pas plus de relance.

Concernant plus directement la France, si les fonds structurels représentaient 23,3 milliards d'euros pour le pays entre 2007 et 2013, ils ne représenteront que 14,2 milliards pour la période 2014-2020. 14 milliards sur 6 ans, soit "un plan de relance" de 0,12% du PIB par an pour les 6 prochaines années. Il n'y a pas de commentaire à faire.

L'ensemble des pays européens sont-ils en accord avec un tel plan, ou s'agit-il plus vraisemblablement d'une confrontation politique ?

Nicolas Goetzmann : Pour le moment la confrontation a tourné à l'avantage exclusif des partisans de la rigueur. Pas de flexibilité budgétaire, un plan de relance qui ne correspond à rien de nouveau, et un budget européen en baisse. La victoire est totale. Les annonces faites autour de la "réorientation" de l'Europe ne correspondent absolument à rien de concret pour le moment. Des mots, des promesses, des slogans, mais aucune réalité. 

Il y a bien eu une confrontation politique avec les socialistes européens menés par Matteo Renzi, mais celle ci a tourné court. Le PPE est arrivé en tête aux élections et Angela Merkel est confortée dans son rôle de leader de l'Europe actuelle, c'est donc la ligne allemande qui est maintenue. Une politique d'austérité, de compétitivité, et de l'euro fort. C'est-à-dire une politique de double rigueur, aussi bien du point de vue monétaire avec la BCE que budgétaire, que ce soit au niveau national ou au niveau européen. Mais la confrontation la plus notable est celle qui a opposé David Cameron et le reste de ses partenaires, car son isolement anti Juncker ne va que renforcer la probabilité de la tenue d'un référendum sur l'appartenance Royaume-Uni à l'Union européenne. 

Jean-Luc Sauron : J'espère que nous entrons, enfin, dans une confrontation politique où sera envisagé l'avenir de l'Europe et non celui des majorités nationales d'un tel (David Cameron) ou d'une telle (Angela Merkel). Le débat budgétaire autour de la définition du cadre financier pluriannuel pour 2014-2020 a été pitoyable : il n'a été que l'addition d'égoïsmes nationaux et marqué par des analyses d'une rare nullité (puisque l'UE demande de baisser les déficits budgétaires nationaux, diminuons le budget de l'UE !!). Les parlementaires européens en attente d'investiture pour les élections européennes de mai 2014 n'ont guère fait preuve de courage. Le budget de l'UE est d'un montant annuel autour de 140 milliards d'euros, soit un peu moins de 1% du PIB de l'ensemble des Etats de l'UE. A titre de comparaison, le budget de la France est de 1,225.2 milliards pour la seule année 2014 et les dépenses publiques représentent 57% du PIB français. Mais il convient surtout de souligner que 94% du budget de l'UE est un budget d'investissement qui revient aux 28 Etats membres, bénéfiaires des dépenses engagées, et que seuls 6% concernent le fonctionnement des institutions de l'Union européenne ! Quel budget national connaît une telle répartition entre investissement et fonctionnement ?

Sur le principe, une telle méthode de relance budgétaire peut-elle produire des résultats au niveau européen ?

Nicolas Goetzmann : C'est un point délicat car il semble que les efforts menés pour parvenir à une politique de relance européenne ont consisté à demander plus de crédits budgétaires. Et une relance budgétaire a déjà été menée au niveau européen lors des années 2009 et 2010, une relance qui s'est soldée par l'intervention de la BCE en avril 2011 pour en contrer les effets. Une relance budgétaire peut avoir des effets positifs à court terme, mais dès que les effets se traduisent dans la réalité, la BCE vient faire le chien de garde. Le résultat est donc neutre. Après cette première expérience, il aurait été possible d'imaginer que cette erreur ne serait pas commise une nouvelle fois. Eh bien non. L'intégralité du crédit politique a servi à mener un combat qui aurait été inutile, neutre, sur le long terme. Si certains dirigeants veulent réellement "réorienter" l'Europe, cela ne pourra être fait que sur la base d'une refonte du mandat de la BCE et non sur les crédits budgétaires. La BCE est seule à pouvoir modifier le niveau d'activité européen sur le long terme, en se fixant par exemple un objectif de plein emploi. Mais ce point n'a jamais été évoqué sérieusement en Europe, alors même qu'il s'agit par exemple de la méthode menée aux Etats-Unis pour sortir de la crise.

Jean-Luc Sauron : J'appelle de mes voeux un grand débat européen sur la politique de relance. Mais il ne doit pas s'agir de continuer à discuter au niveau des enceintes parlementaires nationales. Une grande conférence interparlementaire devrait réunir les commissions du budget et des finances des parlements des 28 Etats membres pour échanger sur les solutions, sur les difficultés et sur les réussites. Les Européens ne peuvent pas continuer à débattre chacun chez soi. Le Parlement européen ne peut que débattre du budget de l'UE, mais maintenant qu'il a "raté" la refonte du cadre financier pluriannuel pour les raisons précitées, il ne peut guère peser sur une relance de la croissance économique par le jeu croisé des investissements publics et privés pour la plupart d'origine nationale. Que les parlements nationaux retrouvent leur utilité première : le vote sur le montant et l'utilisation de l'impôt.

Le plan de relance de Jean-Claude Juncker correspond-il auvœu de réorientation de l'Europe prononcé par François Hollande en juin 2014, lorsque celui-ci avait évoqué 1000 milliards d'euros sur cinq ans ?

A ce sujet, lire l'article d'Atlantico : Plan de relance de François Hollande de 1000 milliards pour l'Europe : ce qu’on peut raisonnablement en attendre politiquement et économiquement

Jean-Luc Sauron : La question doit être posée à Jean-Claude Juncker pour savoir s'il a voulu s'inscrire dans un voeu du Président fançais ! Plus sérieusement, je pense que la France a une carte à jouer. Elle consisterait à arrêter de proposer des mesures qui s'égrènent au fil des évènements sans être toujours cohérentes. Pourquoi ne pas proposer à nos 27 partenaires européens, un grand traité assurant la convergence des investissements à l'échelle du continent ?  Le budget de l'UE n'a pas cet objectif. Un tel traité de l'investissement, public-privé, pourrait construire un cadre des investissements coordonnées, tant géographiquement que par secteurs d'activités, d'une économie européenne, enfin, pensée au niveau continental.

Nicolas Goetzmann : Au lendemain de la réunion des socialistes européens à Paris, avant le dernier conseil européen, François Hollande avait en effet adressé une lettre à Herman Von Rompuy pour proposer une nouvelle politique européenne. Il suggérait alors un plan de relance correspondant à 1000 milliards d'euros. Le résultat est que rien n'en a été retenu. Les 1000 milliards se sont transformés en 300 milliards, et ces 300 milliards ne sont rien d'autre que le budget européen décidé en 2013. Pour un résultat effectif de 0. La seule chose que François Hollande semble avoir obtenue est précisément l'annonce des 300 milliards par Jean-Claude Juncker. En termes de communication, en termes d'affichage, le résultat semble moins dur. Et cela permet au gouvernement de crier victoire sur la base d'un échec. Finalement, le seul point sur lequel François Hollande semblait inflexible était la nomination de Pierre Moscovici au poste de commissaire aux affaires économiques et monétaires, mais même ici, le résultat est aujourdhui compromis. La candidature de l'ancien ministre des finances n'est pas jugée crédible par les pays du nord. Selon Wolfgang Schauble, ministre allemand des finances, la présence d'un français à ce poste enverrait "un mauvais signal" à l'ensemble de l'Union. Une prise de parole qui n'a pas été beaucoup commentée par Paris.

Propos recueillis par Gilles Boutin

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Draghi-Juncker-Schulz : vous n'aviez peut-être pas voté pour ça mais l'Europe fédérale est en marchePour Jean-Claude Juncker "la monnaie unique protège l'Europe" : pourquoi ce qui était vrai en théorie se révèle faux dans la réalitéUE : Jean-Claude Juncker élu président de la Commission européenne, il propose un plan d'investissement de 300 milliards d'euros

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !