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Que faire de son argent face à la fragilité de la zone euro
©Reuters

Sous le matelas

L'avenir de la zone euro ne tenait qu'à un fil il n'y a pas si longtemps. Aujourd'hui certains signaux poussent à l'optimisme, cependant la Grèce suscite beaucoup d'inquiétudes, notamment sur un possible "effet de contagion" si le pays venait à faire sécession. Les conséquences se feraient alors sentir dans toutes les chaumières d'Europe et de France.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Dans l'éventualité d'une fin de la zone euro, quels sont les risques auxquels les citoyens français s'exposeraient ?

Philippe Crevel : La zone euro a traversé une grave crise, dix ans après sa création. Dans un espace à 18 Etats, il est assez logique qu’à un moment ou un autre il y ait des chocs asymétriques. Nous pouvons même considérer qu’une période de dix ans sans réelle crise est exceptionnelle. Du fait de la volonté des Etats membres de ne pas s’engager dans un processus de création d’un Etat fédéral et dans la volonté d’instituer une banque centrale indépendante, la zone euro ne disposait pas d’outils de régulation communautaire. Il n’y a pas de budget de la zone euro, il n’y avait pas d’instruments permettant de venir en aide à une région ou à un Etat en difficulté. Avec la crise des dettes souveraines, les Etats membres ont réagi au fil des évènements, de manière pragmatique. Un fonds de soutien a été créé, le FESF remplacé par le MESF, des procédures de contrôle budgétaire ont été instituées. La Banque centrale européenne est devenue le régulateur du système financier. Elle a renforcé son rôle au sein de la zone euro. La monnaie commune a été ébranlée mais a réussi à surmonter sa première crise et en sort renforcée.

Lire également : Explosion de l’euro, le jour d’après : ce qui se passerait si la monnaie unique disparaissait brutalement (et avec le dossier grec, ça n’est pas que de la science fiction...)

La construction d’une zone monétaire obéît à des règles précises et assez simples, fixation d’une parité de transfert, le fameux un euro pour 6.55957 francs, la création de billets et de pièces, en revanche une destruction de la zone ressemblerait à l’explosion d’une bombe à fragmentation. Les effets seraient multiples et se diffuseraient à l’ensemble des agents économiques. Depuis quinze ans, cahin-caha, nous vivons sous le régime de la mutualisation monétaire. Supprimer cette communauté, pose des problèmes systémiques. Il peut y avoir deux types de disparition de la zone euro, une disparition signant la fin de l’Union européenne et la disparition organisée avec appui de l’Union et du FMI. Il est fort probable que pour éviter un long hiver économique et financier, les gouvernements mettent en place une phase de transition.

Un démantèlement de l’euro pose la question de la valeur des dettes. Dans quelle monnaie seront exprimées les créances, en monnaie nationale dévaluée, en monnaie du pays qui en est le propriétaire ou en une unité monétaire de transition. L’Allemagne qui détient plus de 3000 milliards d’euros de créances sur le reste de la zone euro acceptera de les voir fondre. Mais si elle imposait leur maintien en deutschemark fort ou en euro fort, les débiteurs ne pourraient pas les rembourser.

L’objectif serait évidemment d’éviter la banqueroute des Etats européens et la montée du protectionnisme ainsi que la faillite des sociétés financières. A cette fin, il faudra empêcher les ménages de sortir de l’argent des banques. Il y aura aussi donc l’instauration d’un contrôle du crédit et d’un contrôle des changes très strict. Comme cela a été prévu par l’Europe et le FMI, il est probable que l’épargne des ménages soit bloquée voire qu’un prélèvement soit fait.

L’épargnant risque de voir une partie de ses actifs fondre voire disparaître. Certes, il pourrait bénéficier de la remontée des taux car l’argent devrait être rare et difficilement accessible pour les Etats mais son actif pourrait avoir fondu comme neige au soleil.

Les détenteurs de contrats d’assurance-vie pourraient avoir quelques sueurs froides. En effet, logiquement, avec les fonds euros qui représentent 85 % des 1515 milliards d’assurance-vie, l’assuré bénéficie d’une garantie en capital. Mais ces fonds euros sont constitués en grande partie d’obligations d’Etat qui pourraient perdre tout ou partie de leur valeur. Les assureurs seraient confrontés à de réels problèmes et devraient faire appel au fond de garantie. Son montant est insuffisant pour pouvoir faire face à une crise généralisée et couvrir à hauteur de 70 000 euros les assurés détenteurs de contrats d’assurance-vie. Il faudrait faire appel à l’Etat qui n’aurait pas d’autres solutions que de bloquer les avoirs pour éviter un mouvement de panique. Une réévaluation des contrats pourrait être organisée avec à la clef un prélèvement sur le modèle retenu à Chypre.

Le propriétaire de biens immobiliers pourrait connaître d’importantes moins-values du fait d’une baisse des cours immobiliers. La crise économique que provoquerait la fin de l’euro et la remontée des taux d’intérêt pourraient entraîner un krach immobilier avec une chute des prix de 50%, voire plus. Certes, pour certains, la pierre pourrait être une valeur refuge mais il est probable que les effets récessifs l’emporteraient.

La situation des détenteurs d’emprunt dépendra évidemment des décisions prises qui seront prises par les autorités. Tout dépendra de la valeur de transfert qui sera décidé. Si c’est le même taux que pour son salaire et si le taux d’intérêt reste le même, il n’y aurait pas de changement. En revanche, si le taux de conversion valorisait plus les emprunts que les salaires, il y aurait évidemment quelques soucis. Le souci majeur se poserait pour les banques qui gagent les emprunts immobiliers avec des titres publics dont la valeur sera remise en cause avec la fin de l’euro. Il y aurait donc l’obligation d’essayer de se faire rembourser au meilleur prix.

Les détenteurs de prêts en devises étrangères ou indexés sur des devises étrangères seraient évidemment dans une situation périlleuse avec une réévaluation des mensualités à rembourser.

Les retraités et tous ceux qui bénéficient de prestations sociales pourraient être touchés par la fin de l’euro. En effet, l’Etat, les régimes de protection sociale auraient beaucoup de mal à accéder aux marchés financiers. Les investisseurs internationaux seront très méfiants au vu des risques de banqueroute généralisée. Le Gouvernement devrait donc réaliser des économies. Il est fort probable que les retraités figurent parmi les premières victimes.

Les actifs seraient touchés par la disparition de la zone euro. Le chômage devrait fortement augmenter dans les premiers mois d’après… Les salaires seraient sans nul doute gelés voire réduits.

Les touristes français seraient pénalisés du fait que la monnaie nationale connaîtrait une très forte dépréciation par rapport aux autres devises. Un contrôle de change serait certainement introduit pour éviter une fuite de capitaux. En outre, des frais de change seraient ré-institués au sein de l’ex-zone euro.

Pourront échapper à cette fin du monde monétaire, ceux qui auront mis tout ou partie de leur fortune au-delà de la zone euro, en Asie, aux Etats-Unis, en Afrique. La règle en la matière, c’est la diversification.

Face à l'éventualité d'un éclatement de la zone euro, que faut-il faire de son argent pour se protéger au mieux ?

Par définition, il faudrait prendre des mesures avant l’éclatement de la zone euro.

L’épargnant est le plus exposé, il doit tenter de réduire son exposition aux valeurs exprimées en euros et détenues par des établissements financiers installées dans un Etat de la zone euro. Le plus simple serait de placer son argent dans une banque au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, au Canada, au Singapour…Il faudrait privilégier des placements financiers dans des pays hors zone euro. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer que la disparition de la zone euro aurait un impact mondial.

Certains pourraient être incités à sortir leur argent de leur banque pour acheter des dollars ou des livres sterling. Un tel comportement pourrait faire le bonheur des cambrioleurs. Les ménages pourraient acheter de l’or qui est une valeur refuge en période de crise. Il est évident que le cours de l’or augmenterait en cas de disparition de l’euro. Mais, en attendant, l’or n’est pas un placement générant du rendement et le potentiel de plus-values est très aléatoire.

La pierre constitue également une valeur refuge. Hormis la satisfaction d’avoir des logements qui ne disparaîtront pas, en revanche, leur valeur tout comme les loyers pourraient être touchés par la fin de l’euro. En effet, la remontée brutale des taux d’intérêt et la crise économique devraient entraîner une chute des prix de l’immobilier. La récession et la montée du chômage devraient provoquer une chute des loyers diminuant d’autant le rendement de l’investissement locatif. Afin de se prémunir de ces risques, il faudrait investir hors zone euro mais la dépréciation de l’euro rend ces achats, aux Etats-Unis par exemple, plus coûteux.

Une fois l'euro disparu, quelles possibilités reste-t-il ? Faut-il se résigner à voir son niveau de vie considérablement diminuer ?

Différentes études économétriques soulignent que la fin de l’euro devrait entraîner un recul du PIB des Etats membres de plus de 10 à 20 % du PIB. Par définition une telle contraction provoquerait une baisse du niveau de vie. La chute serait d’autant plus brutale que les mesures d’accompagnement seraient faibles. La dépréciation des nouvelles monnaies nationales renchérirait le coût des importations diminuant d’autant le pouvoir d’achat. Les échanges au sein de la zone euro seraient plus compliqués. Il en résulterait des surcoûts et donc une diminution.

La fin de la zone euro supposerait de reconstruire un modèle de développement économique. Il faudrait accélérer la zone de libre-échange avec les Etats-Unis ou se rapprocher de la Russie. Les Etats européens devraient surmonter l’échec monétaire en mettant sur pied des coopérations. Néanmoins, comment pourraient-ils vendre de telles coopérations après avoir échoué avec l’euro ?

La digestion du krach monétaire pourrait s’étaler sur trois à quatre ans. Au-delà, l’économie pourrait entrer dans un nouveau cycle dépendant des décisions qui seraient prises. Il faudrait à tout prix éviter la tentation du repli, du protectionnisme qui signerait l’effacement complet de l’Europe de l’économie mondiale. Compte tenu des conséquences d’une éventuelle implosion, il faut mieux tout faire pour sauver le soldat euro…

Propos recueillis par Gilles Boutin

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