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Quand notre intelligence ne sera plus qu'artificielle. La fin de l'homme ?
©Reuters

Les entrepreneurs parlent aux Français

La réflexion, ce qui fait l'homme, le libre arbitre, est ainsi relégué au rang de pêché capital, insulte au capital qui cherche des moines consommateurs, qui font ce qu'on leur dit de faire, au gré de leur navigation sur internet. La gratuité des moteurs de recherche est considérée comme une raison suffisante, pour vendre son âme et ses données au Dieu du Big Data.

Denis Jacquet

Denis Jacquet

Denis Jacquet est fondateur du Day One Movement. Il a publié Covid: le début de la peur, la fin d'une démocratie aux éditions Eyrolles.  

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L'homme du siècle numérique ne pense plus, il se positionne. Il n'agit plus, il réagit. Nous sommes devenus, paresseux, esclaves et passifs. Ou en tous cas, plus très loin de le devenir. Avoir passé plus de 2 millions d'années à passer de la position de quadrupède à celle de bipède, un petit 200 000 ans à quitter l'Afrique, notre berceau, pour conquérir le monde, posséder le cerveau le plus performant de toutes les espèces jamais créées, avoir une conscience qui nous distinguerait de l'animal, pour devenir des toutous numériques, est un aboutissement à l'évolution de l'espèce, qui pose un petit souci à la logique darwinienne. L'espèce évolue toujours, mais dans le sens de sa régression, et on ne voit pas qui sont les forts, ceux de notre espèce, qui pourraient y résister.  

Nous bâtissons une société de la recommandation et du positionnement, dans lequel le monde se segmente en îlots identiques, en genre et comportements, des segments parfaits d'un point de vue marketing, mais totalement homogènes, quasi incestueux en réalité, qui ne se reconnaissent qu'entre eux, faisant le premier pas vers l'indifférence, puis un jour, la moquerie, le jugement et le rejet de l'autre. De celui qui est différent. L'étranger. Même si il arbore le même passeport, la même culture initiale, la même couleur et la même religion. Dans ces groupes basés sur la ressemblance ultime, ou l'on cherche à gommer toute différence, il ne sert à rien de réfléchir, il est urgent de se positionner. De faire comme « ceux de son espèce ». En suivant quelques « mâles » dominants, marques, people d'un jour ou soit disant leader d'opinion de passage, gourou aux petits pieds, à durée déterminée.

La réflexion, ce qui fait l'homme, le libre arbitre, est ainsi relégué au rang de pêché capital, insulte au capital qui cherche des moines consommateurs, qui font ce qu'on leur dit de faire, au gré de leur navigation sur internet. La gratuité des moteurs de recherche est considérée comme une raison suffisante, pour vendre son âme et ses données au Dieu du Big Data, et chacun peut à tout moment vous offrir de vous comporter en bon petit soldat, un soldat Ryan qui ne peut plus être sauvé. Le numérique séduit par sa facilité d'usage, qui est effectivement très utile, elle génère des gains de temps extraordinaires, certes. Mais pas un humain pour exploiter ce temps gagné sur le temps, pour devenir un humain plus fort et plus indépendant, libre de ses choix, capable d'accéder à une masse d'information que son cerveau pourrait processer et synthétiser, pour se forger un avis personnel et une identité propre. Non. Il se fond et se confond, devenant l'ombre de sa, ou ses, communautés d'appartenance. Le numérique sera le nouveau servage, si l'on y prend garde. Si l'on en fait un objectif plutôt qu'un moyen. L'homme doit s'augmenter lui même plutôt que de se faire augmenter, et nous n'en prenons pas le chemin. Chaque glissement d'index sur les claviers de nos Smartphones, nous éloigne un peu plus de notre indépendance intellectuelle. De notre humanité.

L'homme du 21ème siècle n'agit plus, il réagit. C'est triste. Soumis à mille stimuli à chaque instant, il a fini par confondre le fait de réagir avec le fait d'agir. Agir est une notion qui suppose la réflexion, la décision, et le fait de s'organiser, en toute indépendance, une fois le choix dûment mûri, pour atteindre son objectif. Nous en sommes bien loin, quand nous passons plus de temps à lire ou réagir à des mails sans fins, dont la plupart gagneraient largement à être remplacés par une réunion ou un simple coup de fil. Les « homo laboricus » passent une partie de leurs journées à répondre à des « skype », « whatsapp », sms, mails et autres sollicitations dénuées de tenue, de structure, de sens et d'objectif. Mais plus un humain pour résister à la dictature du temps que ces instruments nous imposent. La productivité de nos travailleurs contemporains, si elle était mesurée avec objectivité, donnerait des frayeurs aux grands calculateurs de l'efficacité des organisations. Chacun pense qu'il est désormais plus important de répondre vite que de répondre bien. Le bien suppose la réflexion. Nous confondons vitesse et précipitation, action et réflexion, rapidité et efficacité. C'est assez pitoyable, mais alimente des scènes cocasses, pour les caricaturistes et humoristes, à l'observation de tous ces hommes et femmes, absorbés par la lecture et la réponse à ces stimuli, sur les trottoirs de nos capitales, risquant le choc frontal à chaque instant, comme si leur vie dépendait de la rapidité de réponse aux messages instantanés qu'ils reçoivent. Des messages dont le contenu ferait peur, si l'on devait en analyser le détail.

Enfin, le dernier signe de dégénérescence humaine potentielle, c'est la disponibilité du savoir. Gratuit. Google a réussi à nous rassembler tout le savoir du monde, indexé et classé, dans un ordre forcément irréprochable selon lui, surtout quand cela l'arrange, et de le mettre à disposition à chaque instant de tout endroit. Et pour ceux qui échapperaient à ce paradis du savoir facile, de petits ballons bercés par le vent, naviguent désormais dans l'air, afin d'apporter la vérité selon St Google, à tous les déshérités du savoir de notre planète. Ils pensaient pourtant être heureux, loin de la pollution, la haine, les attentats, les messages des industriels de l'alimentation et des désherbants magiques (que la CEE estime suffisamment inoffensifs pour prolonger de 10 ans le droit pour Roundup de se répandre via l'agriculture dans nos organismes). Mais la modernité c'est maintenant, et c'est obligatoire ! Je suis très cynique et réactionnaire, mais cet accès au savoir serait potentiellement extraordinaire, si il restait  neutre et objectif. Le fait que le savoir soit disponible, sans qu'on puisse en vérifier la véracité, entraîne certains vers une conception de l'éducation qui rende le savoir inutile et accessoire. La mémorisation également. Or un être humain, selon les spécialistes du cerveau humain, se distingue par le fait d'être capable de se faire son opinion, de laisser libre court à sa créativité, des grottes de Lasco à Picasso, de Platon à Camus, de Mozart à Prince (Paix à son âme de génie), et de se définir en usant de sa mémoire et de son savoir, pour relier des points improbables qui lui permettent de prendre des décisions, de penser, de se définir. Sans mémoire, ni savoir, l'homme s'en remettra à quelqu'un ou quelque chose d'autre. Et l'intelligence artificielle lui tend les bras, en espérant cette paresse et cette délégation, qui le rendra esclave de mille et un, ou peut être d'un seul, pourvoyeur d'intelligence. Il sera alors, non plus un simple soldat de la consommation, mais un objet aussi inutile et insignifiant que l'était le serf quand il était objet de droit et non sujet de droit. C'est donc une régression potentielle que nous promettent la technologie et la modernité.

En réalité, une même technologie peut nous promettre le pire comme le meilleur. Ce qui fera la différence est simple. Ce sera notre capacité à décider ce que nous voulons en faire et de dicter quels seront leur rôle et utilité, et de les laisser au service de l'homme plutôt que l'inverse. Nous avons juste à rester maîtres de nous mêmes. C'est donc le reproche que je ferai à une large partie de mes amis entrepreneurs du monde entier. Chacun se pose la question d'apporter une idée qui trouve un marché, un facteur différenciant qui trouve son modèle économique, mais rarement, voire jamais, de savoir si c'est un progrès, un mieux dans la quête qui était la nôtre jusqu'alors, d'améliorer le sort de l'homme, sans lui voler son libre arbitre et ce qui en fait une espèce à part. Nous investissons, surtout les américains d'ailleurs, dans des technos au lieu d'investir dans l'homme. Pour une génération que l'on nous présente comme étant à la recherche de sens, bien plus que ses aînés, je reste un peu songeur. Ou alors ce ne sont pas les mêmes. Alors qui l'emportera ? Les millions de dollars ou les millions de sages ? Il ne s'agit pas d'un combat d'arrière garde que de penser à l'homme. Nous pouvons faire des merveilles et monter des services incroyables, qui pourraient régénérer la croissance mondiale et je serai le premier à contribuer à les financer. Mais tout ce qui reléguera l'être humain, au rang de « numericus stupidus » me trouvera en travers de sa route. La pensée unique, est aussi dangereuse en politique qu'en économique. Tout ce qui supprimera l'utilité d'avoir un être imparfait mais responsable, finira de plus par supprimer le marché et les consommateurs eux-mêmes, et ce jour là, les investisseurs regretteront de ne pas s'être posé la question plus tôt.

Nous sommes en Marche dirait Macron. Mais vers quoi ? Marcher c'est bon pour le cœur, mais penser à la destination, est bon pour l'esprit. Et l'humanité. Alors posons nos smartphones. Refusons de répondre, pendant 1 heure chaque jour, et réfléchissons. Réalisons à quel point décider par soi-même procure un sentiment d'existence bien plus enivrant que la réponse à 100 SMS à la minute et, alors, ces heures économisées sur le court terme, nous vaudrons un avenir inscrit dans le long terme

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