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Quand les traumatismes familiaux traversent les générations
©Reuters

Bonnes feuilles

Sans qu'ils le veuillent, sans qu'ils le sachent, et bien malgré nous, nos parents, nos grands-parents, nos aïeux nous laissent en héritage leurs deuils non faits, leurs traumatismes non "digérés", leurs secrets. Or, si les choses ne sont pas dites, le corps, lui, peut parfois les exprimer : c'est la somatisation. Le corps de l'enfant, du petit-enfant, de l'arrière-petit-enfant, quel que soit son âge, devient alors le langage de l'ancêtre blessé. Extrait de "Ces enfants malades de leurs parents" de Anne Ancelin Schützenberger et Ghislain Devroede aux Editions Petite Bibliothèque Payot (2/2).

Ghislain Devroede

Ghislain Devroede

Ghislain Devroede, spécialiste des troubles digestifs, professeur de chirurgie à l'université de Sherbrooke, au Québec, est l'auteur de "Ce que les maux de ventre disent de notre passé".

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Anne  Ancelin Schützenberger

Anne Ancelin Schützenberger

Anne Ancelin Schützenberger, psychothérapeute, groupe-analyste et psychodramatiste de renommée internationale, professeur émérite à l'université de Nice, a publié de nombreux livres, dont Vouloir guérir, Le Psychodrame, et Aie, mes aïeux !.

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Christian nous était connu depuis près de dix ans, mais nous ne l’avions pas vu depuis plus de sept ans lorsque nous avons recontacté ses parents.

Au moment de l’enquête, ceux-ci étaient divorcés.

L’enfant vivait avec sa mère. Nous voulions, à ce moment, évaluer les résultats à long terme de l’apprentissage à la continence et à la défécation en utilisant une technique de physiothérapie appelée biofeedback. Lorsqu’un sujet souffre d’anisme, il contracte son anus au lieu de le relaxer. Il est possible de démontrer sur un appareil électronique le fruit de cette contraction, soit sous forme d’un son qui devient de plus en plus aigu, soit, chez les enfants, sous forme d’un petit personnage qui monte un escalier au lieu de le descendre, soit de façon tout simplement électrique, en montrant le tracé d’une aiguille quimonte lorsqu’il y a contraction du périnée et qui descend lorsqu’il y a relaxation. La mère de Christian nous apprit que son fils était complètement guéri de sa constipation. Ce qu’elle nous dit sur les modalités de la guérison nous surprit. Alors que Christian avait mis en échec tous les intervenants, nous y compris, et que la technique du biofeedback n’avait pas non plus été efficace, il guérit subitement quand sa mère entreprit une psychothérapie. Elle nous avait caché, et n’en avait d’ailleurs jamais parlé à quiconque, qu’elle avait subi une agression monumentale quand elle avait cinq ans : une tentative de viol par un prêtre, ami de la famille. Son père avait surpris le prêtre alors que celui-ci s’apprêtait à perpétrer son crime, sauvant ainsi sa fille du viol. Mais il lui avait immédiatement enjoint, craignant le scandale, de n’en parler à personne. Elle n’avait pas osé lui désobéir. Sa propre mère ne risquait pas, d’un autre côté, de lui prêter une oreille compatissante, vu qu’elle la battait souvent. Ces propos nous conduisirent à retracer toute l’histoire de Christian. Il avait sept ans quand ses parents consultèrent pour un problème de constipation sévère. Sa constipation avait débuté longtemps avant la mise sur le pot et l’apprentissage de la propreté.

Selon sa mère, Christian avait toujours été constipé, toute sa vie, depuis la naissance. Nous avions réussi à mettre la main sur une copie du dossier du nouveau-né, qui montrait qu’il était déjà constipé le deuxième jour de sa petite et courte vie. Il s’agissait donc d’un problème de constipation fonctionnelle néo-natale. À l’âge de un mois, il n’avait qu’une seule selle par semaine. Les selles devinrent très dures quand il commença à boire du lait de vache. Le problème empira avec le temps et, vers l’âge de cinq ans, il se mit à passer une selle, gigantesque, toutes les deux semaines, bouchant souvent la cuvette des toilettes (cette affaire de toilettes bouchées par un étron de taille impressionnante, qui reflète la présence d’un mégarectum, un rectum trop large, est rare en Europe, où les tuyaux qui conduisent les excréments vers les égoûts sont beaucoup plus larges qu’en Amérique du Nord). Pour déféquer,

Christian devait donc produire des efforts exténuants et il avait très mal à son petit derrière pendant cette opération. Il était aussi incontinent de selles liquides trois fois par jour, mais, comme c’est le cas dans cette condition qu’on appelle encoprésie, l’incontinence disparaissait pendant quelques jours chaque fois qu’il réussissait à déféquer.

Quand Christian était constipé depuis un certain temps, il commençait à avoir mal au ventre et à vomir. En outre, il souffrait d’asthme quand il était très ému.

Christian était le second de trois enfants. La grossesse avait été difficile. L’accouchement avait été déclenché prématurément à vingt-neuf semaines. Il n’avait donc pas fait son temps… Sa mère avait parlé de cette grossesse en termes surprenants : « Il m’avait été demandé de me retenir durant ma grossesse. Je n’arrêtais pas de parler à mon bébé, dans mon ventre : “Allons, bébé, fermons-nous les orifices !” Lui aurais-je envoyé un faux message ? » Mais elle ne donnait pas d’explication rationnelle de l’association entre le fait qu’elle se retenait d’accoucher et celui que le bébé se retienne de déféquer. Il y avait là, peut-être, l’expression d’une « pensée cloacale », où le « derrière » et le « devant » sont confondus (ici, dans un lien transgénérationnel et fusionnel entre la mère et son enfant). En tout cas, la mère pensait qu’elle avait pu involontairement enseigner à son enfant comment devenir constipé. Et c’était bien possible. Tout petit, l’enfant fut vu en consultation par divers pédiatres, gastro-entérologues et chirurgiens.

On décida de lui faire une manométrie anorectale pour rechercher une maladie congénitale pouvant avoir causé la constipation, en l’occurrence la maladie de Hirschsprung. L’examen démontra la présence d’un réflexe recto-anal inhibiteur.

En termes simples, lorsqu’on distend le rectum d’un sujet normal, l’anus se relâche et cela peut être enregistré. Dans cette maladie congénitale, où il n’y a pas de cellule nerveuse dans la partie la plus proche de l’anus et de l’intestin, ce réflexe n’existe pas. Toute tentative de psychothérapie serait immanquablement vouée à l’échec puisque seule la chirurgie peut régler le problème.

N’ayant pas de maladie de Hirschsprung, Christian suivit diverses approches thérapeutiques, mais sans aucun succès. Il devint continent pour les urines à l’age de deux ans. Il se mit à parler et marcher à un âge normal. Il était un peu timide, mais il travaillait bien à l’école. Son père était un peu sévère quand il avait de l’incontinence.

Mais il le félicitait pour la taille « virile » de ses étrons ! Lorsque l’enfant eut sept ans – l’âge de « raison » – en continuant de souffrir du même problème, ou, au moins, s’il n’en souffrait pas, de l’avoir, les parents commencèrent à désespérer.

Alors ils acceptèrent l’idée qu’un problème.

Extrait de "Ces enfants malades de leurs parents", de Anne Ancelin Schützenberger et Ghislain Devroede aux Editions Payot & Rivage, 2003. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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