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Quand le genre devient un système de différenciation sociale au service de rapports de domination
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Bonnes feuilles

Pour les militantes féministes radicales toute différenciation devrait être considérée comme une forme déguisée et perverse d’oppression. Les hommes blancs hétérosexuels deviennent alors des bourreaux et l’existence même d’un fait majoritaire devient un scandale à stopper de toute urgence. Extrait du livre "Délivrez-nous du Bien !" de Natacha Polony et Jean-Michel Quatrepoint, publié aux éditions de l'Observatoire (1/2).

Jean-Michel  Quatrepoint

Jean-Michel Quatrepoint

Jean-Michel Quatrepoint est journaliste. Après onze ans passés au Monde, il a dirigé les rédactions de l’Agefi, de la Tribune et du Nouvel Economiste. Il a été pendant quinze ans le patron de La Lettre A. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont La Crise globale (Mille et une nuits, 2008) et Le Choc des empires (Gallimard, 2014).

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Natacha Polony

Natacha Polony

Natacha Polony est directrice de la rédaction de Marianne et essayiste. Elle a publié Ce pays qu’on abat. Chroniques 2009-2014 (Plon) et Changer la vie (éditions de L'Observatoire, 2017).

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Queer signifie « tordu », « étrange », et s’oppose à straight, « ce qui est droit ». Comme souvent, ce qui était une insulte a été repris comme un étendard par ceux qu’elle visait. Et l’émergence de ce concept, c’est l’étape suivante : dans une perspective politique, « le genre, écrit la psychologue et universitaire Patricia Mercader, n’est plus seulement défini comme le versant psychosocial de la différence des sexes, mais comme un système de différenciation sociale au service de rapports de domination  » (Patricia Mercadier, « Le genre, la psychanalyse, la “nature” », in Hommes, femmes, la construction de la différence, sous la direction de Françoise Héritier, Le Pommier, 2005).

En clair, cela signifie que toute différenciation doit être considérée, pour les militantes féministes radicales, comme une forme déguisée et perverse d’oppression. Un esprit un peu éveillé pourrait faire remarquer que les mêmes féministes radicales organisent pourtant des « ateliers non mixtes », pratique dont la France a découvert l’existence en 2017, au moment où un festival « afro-féministe militant » a importé cette pratique, une fois encore venue des États-Unis. Précision pour le néophyte – et toujours pour lui éviter le futur camp de rééducation dirigé par Caroline De Haas et Christiane Taubira : la différenciation n’est autorisée que pour la victime, le dominé, qui doit pouvoir se définir lui-même. Si l’autre, par son regard, l’assigne à une identité, c’est au contraire une ignoble domination. D’où cet autre concept que le lecteur attentif de l’actualité a dû rencontrer dans les inévitables réunions « en nonmixité » qui se fixent désormais sur chaque mouvement social, « Nuit debout », l’occupation de la faculté de Tolbiac ou les manifestations de cheminots en colère : « cis ». Un cis-genre, un cis-homme, un cis-Blanc, un cis-hétéro, c’est quelqu’un qui se sent à l’aise dans l’identité que lui assigne la société. Bref, c’est un dominant ou un complice de dominant. 

Où l’on comprend comment s’opère la « convergence des luttes » contre « toutes les formes de domination ». Le féminisme américain, façonné par les études de genre, a calqué son combat sur celui des minorités sexuelles. D’un combat politique d’émancipation et de lutte pour l’égalité, le féminisme est devenu, à l’instar du mouvement homosexuel, un combat culturel pour l’effacement de toute idée de norme ou de fait majoritaire. Les femmes – 49,6 % de l’humanité – sont une minorité et une minorité est forcément opprimée. Entendons-nous bien : il ne s’agit nullement de nier ou de minorer les violences faites aux femmes, pas plus que celles faites aux minorités sexuelles, ethniques ou autres. Le racisme existe, le sexisme et le machisme aussi. Quant aux préjugés homophobes, ils sont pléthore. Et la vie de certains homosexuels, notamment en dehors du centre des grandes métropoles, est encore trop souvent un cauchemar. Mais faut-il, pour y mettre fin, transformer tous les hommes blancs hétérosexuels en bourreaux et faire de l’existence même d’un fait majoritaire un scandale à stopper d’urgence ?

Dans son livre, Comment l’amour empoisonne les femmes, la journaliste Peggy Sastre, l’une des rédactrices de la désormais fameuse « tribune des 100 femmes », écrit : « Selon une étude publiée en 2014 par Guy Madison, Ulrika Aas, John Wallert et Michael A. Woodley, [une explication de l’orientation idéologique du féminisme] serait que les féministes ne sont pas représentatives de la population féminine, et ce selon deux critères majeurs : l’orientation sexuelle et le caractère dominant. Par exemple, il note que si environ 5,5 % de la population féminine générale n’est pas exclusivement hétérosexuelle, le pourcentage s’élève à près de 45 % chez les militantes féministes. » (Peggy Sastre, Comment l’amour empoisonne les femmes. Du surinvestissement sentimental et des moyens d’y remédier, Anne Carrière Éditions, 2018). Certes, l’étude citée se fonde elle-même sur une autre étude américaine, dont les chiffres donneraient plutôt 37 % de non-hétérosexuelles parmi les femmes qui se disent féministes, mais la donnée recoupe l’évolution des études universitaires sur le féminisme. Judith Butler et nombre de ses épigones font l’amalgame entre le combat féministe et la lutte pour la reconnaissance des minorités sexuelles. Quel est le problème ? Disons que c’est toute la limite des sciences humaines que de mêler sujet et objet. Le chercheur choisit un sujet parce qu’il l’intéresse, et cet intérêt a tendance à orienter sa façon de regarder l’objet de son étude. Pour le dire autrement, déléguer la réflexion sur les rapports hommes-femmes essentiellement à des lesbiennes, c’est un peu comme confier la critique gastronomique à des anorexiques ou à des végans : cela détermine légèrement le propos.

Extrait du livre "Délivrez-nous du Bien !" de Natacha Polony et Jean-Michel Quatrepoint, publié aux éditions de l'Observatoire

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