Dogmatisme
Quand le bilan calamiteux de la BPI révèle à quel point le gouvernement se trompe sur les besoins des entreprises
Le think tank Génération Libre a publié un rapport sur le manque de pertinence des activités de la Banque publique d'investissement, qui n'est que le symbole de l'incapacité du gouvernement de concevoir les vrais enjeux des entreprises.
Mise à jour du 19 juillet 2014 ; la Banque publique d'investissement nous a envoyé le droit de réponse suivant :
Atlantico : L'une des activités de la BPI que vous critiquez dans le rapport est l'octroi de crédits pour les entreprises, sous couvert de se substituer aux banques qui seraient de plus en plus frileuses pour prêter des fonds. De plus les entreprises avec des projets viables ne semblent guère connaître de problème selon une étude de l'INSEE(ici). Cette mission "médiatique" de la BPI n'est-elle donc pas biaisée et sans fondement ?
Sébastien Laye : Il faut relire l’article fondateur de l’économiste américain Stiglitz à ce sujet (Credit Rationing in Markets with Imperfect Information) : un projet théoriquement rentable ne sera financé que si 1) l’entrepreneur réalise un investissement personnel ou accepte un nantissement sur les biens de l’entreprise 2) le taux de rendement interne du projet est supérieur au coût du capital. Aujourd’hui, la demande finale est assez faible en France et tous ces projets rentables ont une solide chance d’être financés par le secteur privé (banques ou fonds d’investissement). Si la BPI analyse ces dossiers d’une manière rationnelle, il n’y a pas de justification économique à ce qu’elle ait une conclusion différente de ces acteurs (qu’elle soit d’acceptation ou de rejet), car les méthodes du calcul économique s’imposent à tous. Si elle finance d’autres projets, elle court le risque de répondre à une simple demande politique. C’est ce que les économistes appellent le "mal-investissement", dont on voit les ravages dans les bad loans chinois ou dans le secteur des énergies alternatives aux USA. Il est fort probable, d’ici 4-5 ans, que l’Etat français soit contraint de créer une structure de cantonnement pour ces prêts douteux, à l’instar de ce qui fut fait pour le Crédit Lyonnais (CDR).
La BPI agit également en prenant des participations dans les entreprises, héritière en cela de ce que faisait le Fonds souverain d'investissement (FSI). Ce genre de pratique est-il vraiment dans l'intérêt de l'entreprise et de l'économie française ? Où s'arrête l'aide à l'entreprise et où commence le choix politique ?
Force est de constater que la France, à la différence de la plupart des autres pays avec des fonds souverains, ne possède pas de manne pétrolière pour financer cette structure d’investissement…Il faudrait donc théoriquement vendre, comme nous le recommandons, une grande partie des participations en Bourse de la BPI afin de financer ses missions. En effet Nicolas Sarkozy, qui avait voulu la création du FSI, avait lui-même fini par dénoncer un fonds qui se “comporte comme un hedge fund”. La BPI a poursuivi cette pratique du FSI avec des prises de participation chez Technicolor, Naturex, et bientôt Alstom. Le contribuable doit comprendre que de facto, lors de ces interventions, il n’y a que très rarement augmentation de capital : la BPI n’apporte pas d’argent frais à l’enterprise et se contente de ramasser des titres en Bourse, c’est à dire d’acheter des actions auprès de grands fonds internationaux. Il n’y a bien sur aucune délibération publique sur ces choix d’investissement…sans même mentionner la question des compétences au sein de la BPI, qui n’a jamais recruté de vrais gérants de portefeuille comme un fonds de pension. Quand un haut fonctionnaire décide d’allouer des centaines de millions à telle société plutôt qu’a une autre (sans justification sur la valorisation, la qualité des produits, etc.), on ne peut voir derrière que la griffe du politique.
Dans votre rapport, vous soutenez cependant que la BPI pourrait être utile sur l'innovation, qu'elle s'attache d'ailleurs à soutenir. Mais son approche du soutien à l'innovation est-elle la bonne ? Que lui manque-t-elle ?
Elle tente de devenir un super capital-risqueur : cela n’est pas négatif en soi mais simplement voué à l’échec car on ne peut s’improviser comme un rival des talents de la Silicon Valley. Surtout, la BPI me semble confondre la vraie innovation avec la dérivée seconde de l’innovation ; Daily Motion représente un exemple adéquat de dérivée seconde. Il s’agit d’un produit grand public, qui utilise de la technologie, mais représente une application. La vraie innovation derrière le produit, c’est la bande passante. Or la France peine à financer ces vraies innovations, ces changements de paradigme qui peuvent essaimer, pour chacun, en millier d’entreprises et de start-ups. Dans mon autre pays (les Etats Unis), l’Etat n’a jamais financé une seule start-up, mais en construisant la NASA ou les NHI (National Health Institute), Washington a financé de la recherche fondamentale, s’est assuré du maintien dans le domaine public des brevets les plus importants, et a permis ipso facto l’essor de nouvelles industries. L’Etat francais est à bout de souffle dans son effort de recherche, pourquoi la BPI ne peut-elle pas vendre ses parts dans Vallourec pour financer la recherche sur les cellules-souches ? Il faut systématiquement reprendre nos besoins, différencier la vraie innovation radicale de long terme de ses dérivées première et seconde.
La BPI est un organisme relativement atypique vu de l'étranger en se posant en concurrent des banques et en étant présent dans le capital des entreprises. Cela n'effraie-t-il pas les partenaires étrangers des entreprises concernées. La BPI n'a-t-elle pas une vision dépassée dans une économie globalisée ?
Le principal intérêt de notre rapport est qu’il n’est pas signé d’un théoricien mais d’un praticien de la vie internationale des affaires. Or au-delà de leurs intérêts personnels sur tel ou tel dossier, je connais l’opinion des grands investisseurs internationaux sur la BPI. Ils la qualifient malheureusement de "dumb investor" ou de simple agent du protectionnisme français. Avoir la BPI à son capital peut entraver un rachat par un étranger, ou une joint-venture cruciale. Il faut arriver à changer cette perception. Nous pouvons travailler main dans la main (secteur privé et BPI) pour repositionner le business model de la BPI. Celà demandera un recentrage sur quelques priorités seulement. Celà demande aussi à la BPI d’écouter les critiques et analyses extérieures.
Finalement, de quoi ont le plus besoin les entreprises françaises aujourd'hui ? Et est-ce vraiment à la BPI de le leur apporter ? Qui serait le mieux placé ?
Elles ont besoin d’un capital plus flexible et plus entrepreneurial. Il y aujourd’hui de multiples formules au-delà des banques (qui assument à nouveau leur rôle, au premier rang desquelles la BNP), avec des fonds privés de dette par exemple (Tikehau en France fait un travail remarquable en la matière), mais aussi de nouvelles structures possibles, que nous proposons dans le rapport: par exemple la création en France du modèle américain des Business Development Companies. J’ai essayé au cours des deux dernières années d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de moderniser nos circuits de financement…en vain. La BPI devrait permettre à ces nouvelles structures d’éclore. Donner les outils, le cadre légal, inciter, voilà le vrai avenir de la BPI, et non pas de demeurer un hedge fund avec l’argent du contribuable ! Enfin sur tous ces dossiers industriels, pourquoi l’Etat n’arrive-t-il pas à repérer une nouvelle génération d’entrepreneurs ou d’hommes d’affaires ? François Mitterrand ou Bérégovoy avait cru dans les années 80 en de très jeunes hommes (Arnault, Bolloré, Tapie) sur des dossiers sensibles…les pouvoirs publics actuels ne croient qu’en des superstructures comme la BPI. Au cœur de l’économie, il y a l’homme et les esprits inventifs des entrepreneurs… pour comprendre cela, il faut suer avec un compte de résultat, des expérimentations et les difficultés du quotidien…
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