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Quand la gauche radicale tombe de son clavier en constatant que Facebook ne censure pas seulement "le camp du mal"
©KIMIHIRO HOSHINO / AFP

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Horreur et désespoir dans les rangs de la "gauche radicale" : il semblerait, comme en fait mention un récent article de Mediapart, que l’audience de certains sites de la gauche radicale s’effondre.

Hash H16

Hash H16

H16 tient le blog Hashtable.

Il tient à son anonymat. Tout juste sait-on, qu'à 37 ans, cet informaticien à l'humour acerbe habite en Belgique et travaille pour "une grosse boutique qui produit, gère et manipule beaucoup, beaucoup de documents".

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Apparemment, ces sites – qui utilisent massivement Facebook pour faire connaître et distribuer leurs informations – ont récemment constaté que leur fréquentation s’était évaporée…

En substance, plusieurs collectifs aux noms évocateurs (Lille insurgée, Bretagne noire, Collectif Auto Média énervé, Cerveaux non disponibles, Groupe Lyon Antifa) administrent des pages Facebook et découvrent ces derniers jours avec stupeur la chute libre du nombre de vues de leurs publications dont certaines parvenaient jusqu’ici à inonder des centaines de milliers de personnes de leurs moelleuses informations.

La nouvelle agite donc le microcosme de ces sites pudiquement baptisés « radicaux de gauche », et on ne sera pas surpris que Mediapart, dont les accointances sur la gauche du spectre politique ne sont plus guère à démontrer, reprenne avec gourmandise une telle pépite. Leur enquête aboutit d’ailleurs à la conclusion relativement évidente que, oui, en effet, il y a bien eu une baisse de fréquentation subite de ces pages Facebook ces derniers jours. Il a d’ailleurs suffi de reprendre les tweets catastrophés de l’une d’elles pour s’en convaincre.

La question qu’on peut se poser (et que se sont posée ces militants puis, après eux, Médiapart) est de savoir s’il s’agit d’une censure politique, et ce alors que ces pages Facebook ont toutes repris des informations d’Indymedia Nantes, en marge du G7 et alors que plane le spectre de l’infiltration de ces charmants mouvements par les Renseignements républicains…

Du côté de Facebook, interrogé, explique simplement que ces pages n’ont pas été censurées (elles sont effectivement accessibles) mais tout simplement que leur visibilité a été réduite parce qu’elles ont publié des contenus contrevenant aux (fameux) Standards de la Communauté…

Sapristi ! Voilà que Facebook impose des règles à ces sites et ces pages ! Où va le monde si, maintenant, les Standards de la Communauté permettent ainsi à des publications de disparaître ou d’être à peu près invisibles ?

Malheureusement, force est de constater que Facebook fait effectivement ce qu’il veut chez lui, et qu’il est nécessaire de rappeler que ceux dont la stratégie de communication dépend partiellement ou intégralement de Facebook s’en remettent directement à son bon vouloir avec tous les risques que cela comporte, comme on peut le constater ici. Du reste, le problème ne se posait pas dans ces termes lorsque les individus développaient leurs propres sites web il y a 10 ans : c’était plus compliqué, le succès était plus aléatoire et la diffusion moins simple, mais cette difficulté et ces complications étaient et sont toujours le prix de la liberté.

D’autre part, cette mésaventure désagréable pour ces sites d’extrême-gauche est une excellente leçon pour ces derniers et tous ceux du même bord qui, régulièrement, appellent pourtant à la censure et à la dépublication de ceux qui ne partagent pas leurs points de vue.

On ne compte plus le nombre de fois où certaines communautés d’extrême-gauche, de petits « guerriers de la justice sociale », de collectivistes plus ou moins venimeux cachés sous différentes dénominations appellent au blocage, sur l’une ou l’autre plateforme (Facebook, Twitter, Reddit, j’en passe) au motif que les propos de ceux qu’ils visent ne leurs conviennent pas. Même si on peut raisonnablement supposer que les sites « radicaux de gauche » dont il s’agit ici n’ont pas eux-mêmes appelés à une dépublication d’autres pages, on peut tout aussi raisonnablement imaginer qu’il n’en va pas de même pour certains de leurs membres (lecteurs ou auteurs), tant la pratique est maintenant répandue d’essayer de faire taire l’opposant en le « déplateformant ».

En outre, on ne peut pas non plus vivre dans un pays qui accumule les demandes de censure et d’un autre côté se plaindre amèrement lorsque ces demandes aboutissent. Or, ce nombre de demandes montre assez bien l’état d’esprit qui règne actuellement dans le pays dont le peuple n’a manifestement pas besoin qu’on le pousse beaucoup pour laisser s’exprimer ses penchants les moins reluisants…

En réalité, le souci de la liberté d’expression est qu’elle s’entend dans le cadre public (alors que Facebook est une plateforme privée), et que celui-ci est devenu de plus en plus étroit précisément parce qu’une frange bienpensante et particulièrement active a tout fait pour, ce Camp du Bien qui pourchasse toutes les expressions les plus irritantes que leurs adversaires persistent à utiliser : le danger d’appeler sans cesse à museler les gens par la loi (lois mémorielles, LCEN, LOPSI, encadrement de plus en plus strict de la liberté d’expression en France) c’est qu’à la fin, on finit inévitablement par tomber sous son coup, même lorsqu’on se croit officiellement du bon côté du manche.

Au-delà de ces éléments, cette mésaventure – qu’on pressent apte à se reproduire de plus en plus régulièrement en France – appelle quelques autres questions prégnantes dont les réponses, ces prochaines années, promettent d’être croustillantes dans un pays qui n’a décidément pas fait son deuil du contrôle total de ses ressortissants.

Ainsi, on peut se demander comment fonctionnent les modérateurs, décodeurs et autres vérificateurs de Facebook.

On n’a en réalité aucune idée de qui juge quoi et comment. L’arbitraire y est complet et comme, de surcroît, le facteur humain est particulièrement important, l’interprétation de ce qui est dedans ou en dehors « des règles de la communauté » varie d’un jour à l’autre, d’une page Facebook à une autre. En outre, les décisions prises ne souffrent en pratique guère la discussion : non seulement sur le plan du principe (on a finalement accepté cet état de fait en s’inscrivant volontairement sur le site) mais aussi sur le plan du fonctionnement (où, une fois une publication refusée, il sera très rare de voir la sanction commuée)…

Ainsi, on doit se demander jusqu’où s’étend la collaboration de Facebook avec l’État.

De ce point de vue, on ne peut que s’inquiéter de la montée en puissance de Facebook et, surtout, de son implication de plus en plus importante avec les services de l’État (qu’ils soient français ou étranger, du reste). Facebook devient quasiment un organe de presse, ou un appendice à ces derniers et non plus un espace où les individus peuvent discuter entre eux. Tout ce qu’ils écrivent et commentent peut et sera, effectivement, retenu contre eux le cas échéant.

Dans ce cadre, on comprend que l’État n’a rien fait pour freiner l’orientation particulière de la plateforme, au contraire. D’ailleurs, Facebook (comme d’autres grandes firmes d’internet du reste) ne s’est par exemple guère cachée d’être ultra-favorable aux Démocrates américains, d’avoir des vues très progressistes sur la société. On peut être en accord avec ces vues ou non, il n’en reste pas moins qu’on ne peut plus écarter le fait que les dé-publications opérées (ou le positionnement très défavorable de certaines publications) le sont parfois (souvent ?) pour des raisons politiques et de biais idéologique et non simplement règlementaire ou imposées par la loi en vigueur dans le pays considéré.

Ceci n’a rien de sain en ce que la position de Facebook n’est absolument pas neutre même si, au départ, la firme se présentait comme une simple plateforme de mise en relation des individus. Ce qu’elle n’est plus à présent, loin s’en faut, et ce dont peu de ses utilisateurs, finalement, tiennent compte.

Dès lors, comment échapper à la dépendance de Facebook ? La mésaventure de ces sites « radicaux de gauche », qui rejoint celle d’autres sites (« radicaux de droite » ?) démontre qu’il n’y a guère que deux méthodes qui doivent être appliquées pour ne pas tomber dans ce piège d’une dépendance fatale à une plateforme.

D’une part, on doit toujours limiter l’intervention de l’État dans la liberté d’expression. Chaque entaille à cette liberté, sous des prétextes toujours généreux, ne fait qu’offrir des armes à ceux qui veulent museler les autres. L’accumulation de lois et de décrets réduisant cette liberté provoque directement les problèmes que nous observons à présent dans le pays lorsqu’il s’agit d’évoquer tous les sujets qui fâchent.

D’autre part, Facebook (ni aucune autre plateforme, d’ailleurs) ne doit pas être une source d’information ni le principal pilier de quelque campagne d’information que ce soit. Cette plateforme peut constituer un relai intéressant, mais ces informations doivent absolument exister indépendamment d’elle et doivent être hébergées de façon indépendante.

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