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Quand l'Europe se discrédite en pensant qu'un divorce le plus douloureux possible avec le Royaume-Uni serait un moyen efficace de dissuader d'autres candidats au départ
©Reuters

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Construite en réponse à l'Union Soviétique, l'Union Européenne devait permettre de protéger les Etats-membres, assurer leur prospérité. Pour autant, l'attitude dont font montre François Hollande et la majorité des chefs d'Etats européens dans le cas du Brexit témoigne d'un véritable discrédit de cet objectif.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Suite au référendum britannique, le Parlement européen a pu se prononcer pour une activation "immédiate" de la procédure de retrait. De son côté, François Hollande souhaite "ne pas perdre de temps" quand Jean Claude Juncker indique que "le Brexit n'est pas un divorce à l'amiable". Comment expliquer le ton intransigeant développé par les "européens" à l'égard du Royaume Uni ces derniers jours ? 

Ce n'est une bonne chose pour personne de laisser planer trop d'incertitudes sur cette situation. Mais ces propos intransigeants traduisent surtout une hostilité à la Grande-Bretagne qui peut se manifester au grand jour. En France, depuis que de Gaulle a bloqué l'entrée du Royaume-Uni, celui-ci est vu à la fois comme un concurrent dans le jeu de pouvoir européen, et comme un acteur qui pousse l'union dans une direction peu "française" c'est à dire vue comme trop libérale. Du côté des partisans du fédéralisme européen, la Grande-Bretagne est perçue depuis longtemps comme un obstacle à une Europe fédérale, avec ses demandes permanentes d'exceptions. Ces propos sont une manière de pré-empter le débat, parce que ce n'est pas une position unanime en Europe.

Les pays de l'Est européen, l'Irlande, n'ont pas envie qu'un mauvais sort soit réservé à la Grande-Bretagne. Surtout, l'Allemagne ne partage pas du tout cette position, et Angela Merkel a pris une position nettement plus prudente. Donc il faut aller au delà de ces simples propos, même si la période à venir ne sera pas facile. Si au bout du compte on se retrouve avec une Grande-Bretagne membre de l'Espace économique Européen comme la Norvège, cela sera un compromis assez satisfaisant - sauf pour les partisans du Brexit qui auront voté pour garder tout ce qu'ils n'aiment pas dans l'Europe, sans la possibilité d'y exercer une influence. 

Au sein d'une Europe qui a pu se construire en opposition au bloc soviétique, n'est il pas surprenant de constater ce type de dérives verbales ? Peut-on parler de management par la menace et par la peur ? Que révèlent ces comportements ? 

Ca n'est pas surprenant, c'est la tendance depuis la crise de 2008... L'Europe fonctionne dans une logique de puissance, de pouvoir, dans laquelle on impose ses intérêts, et pas de manière très aimable. On peut parler d'impérialisme mais on pourrait se souvenir qu'historiquement, les projets de ce type se sont toujours établis par la violence. C'est la force qui servait à imposer l'ordre impérial, autrefois. L'Europe est un projet différent: créer une forme supranationale sans violence. Cela ne fait pas disparaître les logiques de pouvoir, comme ont pu au hasard, le constater les grecs.

On peut ajouter que l'Europe est depuis toujours une manière pour des pays peu démocratiques d'essayer de transcender leurs défauts dans une structure supranationale. Il est intéressant de constater que plus les pays ont une longue tradition démocratique, plus ils sont éloignés de la construction européenne (voir le cas de la Suisse, de la Suède ou de la Grande-Bretagne). 

Mais il faut aussi voir le fait que le referendum est la victoire d'une campagne, en Grande-Bretagne, d'une rare violence. Même s'il y avait des partisans raisonnables de la sortie de l'UE, comme l'économiste Andrew Lilico, ce ne sont pas leurs arguments qui ont fait la différence. On a eu une campagne aux lourds relents racistes, sur des mensonges éhontés qui se révèlent maintenant. Quand on vous traîne dans la boue à longueur de temps il est normal qu'un certain agacement se manifeste chez les eurocrates. On peut ne pas apprécier les eurocrates et la bureaucratie bruxelloise, ce n'est pas une raison pour donner du crédit aux menteurs, démagogues et xénophobes qui triomphent aujourd'hui en Grande-Bretagne et à cause desquels le pays va subir des conséquences économiques dommageables. 

En quoi cette approche pourrait également paraître injuste, notamment au regard des efforts consentis par le Royaume Uni sur la liberté de circulation des personnes, et ce, contrairement à d'autres pays, comme la France ?

Il faut rappeler que le gouvernement Blair a été très sincèrement favorable à l'Union Européenne. Et qu'au début des années 80, il a été victime de l'hypocrisie des autres, à au moins deux occasions. Lors de la distribution des quotas de carbone pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, le gouvernement britannique a été le seul à donner une estimation raisonnable de ses besoins, pendant que tous les autres pays exagéraient les leurs; résultat, ils en ont eu moins que les autres et ont dû faire plus d'efforts.

Il y a eu aussi et surtout la question de la libre circulation des personnes avec l'accès des pays de l'Est. Les autres pays européens ont tous demandé des périodes de transition (on était en France en pleine hystérie du plombier polonais) et les anglais ont été parmi les rares à accepter les travailleurs d'Europe de l'Est sans contraintes. Résultat, alors qu'ils attendaient quelques dizaines de milliers d'arrivées cela a été des centaines de milliers. Encore aujourd'hui la Grande-Bretagne est bien plus ouverte aux flus intra-européens que de nombreux autres pays, à commencer par la France. Et même si cela n'a pas eu de conséquences économiques dommageables, bien au contraire, cela a un impact important sur les perceptions des britanniques.

Dans les  régions économiquement déshéritées, les gens ont vu l'ancienne épicerie reprise par des polonais, le pub fermé et l'ouverture d'un restaurant lituanien. Peut-être que sans l'arrivée de migrants il n'y aurait simplement rien eu de nouveau; peut-être que ces arrivées de migrants ont été la conséquence de choix des gouvernements britanniques plutôt que des contraintes européennes imposées; toujours est-il qu'elles ont eu un impact important sur le vote, qui est apparu comme le seul moyen pour de nombreux britanniques de montrer leur mécontentement. Même chose avec les coupes budgétaires, les réglementations immobilières qui rendent le logement inaccessible aux britanniques : tout cela est le fruit des gouvernements successifs mais le referendum est apparu comme le moyen d'exprimer les frustrations.

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