Quand l’agence française pour un monde bio s’emballe sans raison sur le nombre d’empoisonnements aux pesticides<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour la France, les auteurs estiment près de 58 000 cas d’empoisonnements au pesticides chaque année.
Pour la France, les auteurs estiment près de 58 000 cas d’empoisonnements au pesticides chaque année.
©REMY GABALDA / AFP

Polémique

En mettant en avant une étude bancale et en parlant « d’intoxications graves », l’agence Bio sort clairement de son rôle et désinforme le public.

François-Marie Bréon

François-Marie Bréon

François-Marie Bréon est chercheur physicien au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement. Il a participé à la rédaction du 5ème rapport du GIEC. Il est spécialiste de l'utilisation des données satellitaires pour comprendre le climat de la Terre. Membre du conseil scientifique de l'Association française pour l'information scientifique (Afis).

Voir la bio »

Atlantico : Selon une étude réalisée par le réseau EuropePAN, il y aurait au moins 385 millions d’intoxications graves liées aux pesticides dans le monde chaque année. Ces estimations sont-elles fiables ? Quelles sont les limites de cette étude ? 

François-Marie Bréon : Les 4 auteurs de l’étude sont membres du réseau Pesticide Action Network, critique sur l’usage des pesticides en agriculture. Dans cette étude, ils ont analysé les articles dans la littérature scientifique qui font état d’un impact sanitaire de l’usage des pesticides. Ils ont ainsi identifié 740 000 cas d’empoisonnements chaque année, qu’ils extrapolent à 309 millions suivant une méthode qui me parait sujette à critiques.

Je note aussi que l’article parle de « Acute Unintentional Pesticide Poisoning » que l’on peut traduire par « Intoxication aiguë non intentionnelle par les pesticides ». Aiguë est en opposition à chronique et fait donc référence à un impact de courte durée. Ainsi, une irritation des yeux entre dans cette catégorie. C’est donc une erreur de traduire le terme « acute » en « grave ». Il est donc possible que la très grande majorité des cas rapportés soient parfaitement bénins. 

Comprenez-vous les résultats avancés, pour la France notamment ? En quoi sont-ils trompeurs ?

J’ai regardé le cas spécifique de la France et j’ai repéré une énorme erreur. Pour notre pays, les auteurs estiment près de 58 000 cas d’empoisonnements au pesticides chaque année. Cette estimation est basée sur un article scientifiques qui fait état d’un questionnaire auquel des agriculteurs auraient répondu dans le cadre de l’étude Agrican. 845 personnes, sur 13 900 qui ont répondu à la question, disent avoir été empoisonné une fois dans leur vie. Ca fait donc 6,1%. Les auteurs de l’étude PAN utilisent ce chiffre (en fait, 7,7%, je ne sais pas bien pourquoi) mais pour chaque année et pas pour la vie entière. En multipliant pas la population des agriculteurs, ils concluent aux 58 000 cas annuels. C’est grossièrement faux.

A quel point ces chiffres sont-ils surestimés ? 

D’autres chiffres sont donnés pour l’Europe. Ainsi, pour l’Europe du Sud (Espagne, Portugal, Italie), ce sont près d’un tiers des agriculteurs qui seraient empoisonnés chaque année. Ce chiffre est très clairement largement surestimé si on fait référence à des affections non bénignes. Il est peut être crédible si on inclue les affections bénignes telles que les irritations.

Que penser du fait qu’une agence d’État comme L’agence Bio, supposée promouvoir le bio en France, relaie une étude dont la méthodologie semble douteuse ? 

Il est parfaitement acceptable de vouloir défendre le bio. Il faut le faire sur des motifs sérieux et pas en dénigrant systématiquement l’agriculture conventionnelle qui nourrit notre pays en toute sureté. Les pesticides ont de vrais impacts sur la biodiversité ce qui justifie une régulation stricte. En mettant en avant cette étude bancale, en parlant «  d’intoxications graves », là où l’étude n’utilise pas ce terme, l’agence Bio sort clairement de son rôle et désinforme le public. J’espère qu’elle reviendra sur ses propos. A titre personnel, cette communication anxiogène qui vise au dénigrement est un repoussoir.

Ndlr : L’Agence BIO en relayant une publication de Radio France a mentionné l’étude Pan Europe. L’Agence BIO a finalement retiré cette référence depuis. Cette interview a été réalisée avant que l'Agence BIO décide de retirer cette référence. 

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