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Quand Jean-Luc Mélenchon "oublie" l'expérience communiste et la faillite soviétique
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Dimanche après-midi, le Front de gauche a rassemblé plusieurs milliers de personnes place de la Bastille. Une mobilisation qui tient aux capacités d’organisation du Parti communiste français et de la CGT, et à une aptitude à "surfer" sur les différents courants d'extrême gauche.

Stéphane Courtois

Stéphane Courtois

Stéphane Courtois est un historien et universitaire.

Il est directeur de recherche au CNRS (Université de Paris X), professeur à l'Institut Catholique d'Études Supérieures (ICES) de La Roche-sur-Yon, spécialiste de l'histoire des mouvances et des régimes communistes.

On lui doit notamment Le bolchevisme à la française (Fayard - 2010).

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Dimanche après-midi, le Front de gauche a fortement mobilisé place de la Bastille. Certes pas les 120 000 personnes annoncées par L’Humanité mais autour de 40 000 – à raison d’une personne au m2 sur une place d’environ 40 000 m2 –, ce qui est déjà spectaculaire, et tient aux capacités d’organisation du PCF (Parti communiste français) et de la CGT qui ont affrété 8 trains et 200 cars venus de toute la France.

Jean-Luc Mélenchon y a prononcé, sur un ton solennel – quasi gaullien –, un discours radical, achevant sur le cri de « Vive la Sociale ! », cette fameuse révolution sociale dont rêvaient tous les révolutionnaires français, depuis la Conjuration des Égaux de Gracchus Babeuf en 1795,  jusqu’en 1917 quand Lénine prétendit l’avoir instaurée en Russie.

C’est d’ailleurs ce qui intrigue dans ce discours. Jean-Luc Mélenchon y a « zappé » toute l’expérience communiste – léniniste, stalinienne mais aussi trotskiste –, lui qui a été formé dans cette stricte doctrine idéologique et organisationnelle au sein de l’Organisation communiste internationaliste (OCI), dirigée d’une main de fer durant des décennies par  Pierre Boussel dit Lambert, qui sut inculquer à ses ouailles l’art oratoire et un sens de la manœuvre politicienne, qualités que Mélenchon a continué cultiver durant 30 années passées au Parti socialiste.

Mélenchon a donc évité de parler « des choses qui fâchent » entre anarchistes, trotskistes et communistes orthodoxes qui se sont affrontés violemment durant des décennies, et aussi de l’expérience léniniste qui s’est achevée en 1989-1991 en spectaculaire faillite et en tragédie humaine. Il a centré son discours sur les références strictement françaises susceptibles de ne gêner aucune obédience révolutionnaire : pour les « tradis », 1789, la constitution jacobine de Robespierre de 1793 ; pour les « anars » la Commune de Paris, Louise Michel et Jules Vallès ; pour les « antifascistes », Jean Jaurès et le rassemblement du Front populaire à la Bastille le 14 juillet 1935 ; et pour les « modernes », l’héritage de mai 68 – la libre disposition de son corps, avortement, euthanasie, couples homosexuels et écologie radicale. Le tout sur fond d’anticapitalisme, le vieux slogan communiste des années 1930 – « faire payer les riches » ! – recevant de l’écho par ces temps de crise économique, de fort chômage et d’accroissement des inégalités, en particulier auprès de jeunes peu ou mal formés et confrontés aux difficultés de trouver un premier emploi stable.

De quoi satisfaire le vieil électorat communiste attaché à la tradition révolutionnaire jacobine, mais aussi les électorats d’extrême gauche, du NPA (Nouveau parti anti-capitaliste), des ex-lambertistes qui ne présentent plus de candidat, de Lutte ouvrière et même des Verts souvent gauchistes. D’aucuns semblent s’ébaubir de sondages plaçant le candidat du Front de gauche autour de 10% des voix, dépassant ainsi de peu le score de la gauche « antilibérale » lors de l’élection présidentielle de 2007, qui recueillait presque 9% (Olivier Besancenot 4,1%, Marie-George Buffet 1,9%, Gérard Schivardi 0,3%, José Bové 1,3% et Arlette Laguiller 1,3%) et dont il a largement siphonnés les électorats.

La nouveauté, c’est quegrâce à un deal gagnant-gagnant, le PCF et Mélenchon ont réussi à capter cet électorat révolutionnaire et/ou protestataire-populiste. Gagnant pour Mélenchon qui se propulse sur le devant de la scène et se venge de ses petits camarades socialistes qui ne lui ont pas accordé la place qu’il estimait être la sienne. Du haut de ses 10%, il compte bien peser sur le 2e tour et sur la suite au cas où François Hollande serait élu. Gagnant pour le PCF qui, après trois décennies de vaches maigres – André Lajoinie, Robert Hue, Marie-George Buffet –, a enfin trouvé un tribun de campagne présidentielle et va arguer lui aussi des 10% de Mélenchon pour négocier avec le PS des circonscriptions gagnables lors des élections législatives.

Tout ceci semble beaucoup étonner les observateurs étrangers. Ils oublient un élément fondamental : l’originalité du phénomène Mélenchon tient avant tout à la spécificité de l’élection présidentielle sous la Ve République, seule de ce type en Europe à accorder à un seul homme des pouvoirs très considérables.

Pour le reste, la situation du Front de gauche ressemble beaucoup à celle d’un certain nombre d’ex-partis communistes Ouest et Est européens qui ont, contraints et forcés, abandonné après 1991 la doctrine et le modèle d’organisation léninistes afin d’assurer leur survie. Tout en perpétuant des valeurs fondatrices – l’idée de révolution, l’ouvriérisme, la pratique syndicale, l’antifascisme, l’anti-impérialisme et l’internationalisme –, ils ont évolué vers un communisme « réformiste » – contre « l’ultra-libéralisme », pour une économie de marché contrôlée par les travailleurs –, tout en y ajoutant des thèmes post-soixante-huitards – l’immigration, le multiculturalisme, l’environnement, la libération sexuelle –, toujours associés au discours « antilibéral » et « antimondialisation ».

Comme le Front de gauche, les Allemands de Die Linke, le Parti des travailleurs suisses, le Parti des communistes italiens, le Synapismos grec et nombre de groupes rouges/verts se sont ainsi positionnés en situation de concurrence et de pression avec les grands partis socio-démocrates, n’hésitant pas à nouer des alliances électorales et même à participer au gouvernement quand l’occasion s’en présente. Ces partis reprennent la vieille tactique socialiste d’avant 1914 : discours radical et opposition parlementaire d’un côté, tactiques électoralistes de l’autre. Avec les résultats que l’on connaît : une gauche démocratique et réformiste affaiblie qui a du mal à revenir au gouvernement.

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