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Quand Jean-Luc Mélenchon manque à la gauche (et à la République) en préférant l’outrance à sa reconstruction
©ERIC FEFERBERG / AFP

Stature

L'incapacité de Jean-Luc Mélenchon à se dominer jette un sérieux doute, non seulement sur sa stature et ses qualités d’homme d’Etat – mais encore sur son envie intime d'accéder au pouvoir.

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul est un ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Il a remis au gouvernement, en février 2018, un rapport sur la laïcité. Il a cofondé en 2015 le Printemps Républicain (avec le politologue Laurent Bouvet), et lance actuellement un think tank, "L'Aurore".

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En voyant Jean-Luc Mélenchon, éructant « ma personne est sacrée ! », les yeux exorbités devant des fonctionnaires qui restaient tant bien que mal impavides, on n’a pu s’empêcher de repenser aux improbables signes démentiels de Marine Le Pen lors du débat de l’entre-deux tours, signant d’elle-même sinon son arrêt de mort politique, du moins sa reddition dans la lutte pour le pouvoir suprême. Il y eut ce soir-là, on s’en souvient, quelque chose comme un retour dans la maison du Père de la part de Marine Le Pen, ce père effacé à grand’peine par des années de dédiabolisation, et qui s’invitait une dernière fois dans le débat, via la gestuelle erratique de sa fille, comme pour signifier que, non, les Le Pen ne voulaient pas vraiment du pouvoir parce qu’au fond, ils en avaient peur.

Est-ce une névrose semblable qui frappe Jean-Luc Mélenchon ? Ce qui est certain dans son cas est que son incapacité à se dominer jette un sérieux doute, non seulement sur sa stature et ses qualités d’homme d’Etat – mais encore sur son envie intime : le président de la France Insoumise est bien trop intelligent pour ignorer que les images de ses colères – feintes ou réelles, qu’importe – comme celle, désastreuse, qui le voit moquer l’accent méridional d’une journaliste, ne collent en rien à l’idée qu’on se fait d’un Président de la République. Même parmi ceux de ses électeurs qui attendent, précisément, qu’on fasse rendre gorge au « système ». Trop « limite », Mélenchon ? Trop pour être le grand Président de la gauche réunifiée qu’il dit aspirer à être. Et pour autant, trop peu pour devenir un imprévisible leader populiste à la Trump : quand son ADN de notable socialiste se rappelle à son bon souvenir, comme lorsqu’il croise opportunément le Président de la République à Marseille, il retrouve l’urbanité et la bienséance de l’ancien sénateur.

Une affabilité qui lui fait défaut quand de « petits » fonctionnaires qui font leur travail osent lui résister. S’en prend-il à des séides du pouvoir, à des hommes de main tout spécialement délégués par quelque cabinet noir ? Non, il s’en prend, l’homme des « gens », aux premières lignes de la République. Or ce que Jean-Luc Mélenchon ne comprend pas, c’est que ce n’est pas seulement un problème de comportement personnel : c’est un problème politique. Invectiver les représentants de l’Etat, les agresser au besoin, est devenu tristement banal. On s’esclaffe devant une voiture de police brûlée dont deux gardiens de la paix ont à peine eu le temps de s’extraire. On frappe des pompiers, les hommes du secours : 2280 agressions recensées en 2017. Idem dans les hôpitaux ou les écoles. Au-delà des condamnations d’usage, on entend bien peu la gauche sur ces atteintes ; or non seulement elles en disent long sur l’état de notre société et son rapport, à la fois consumériste et suspicieux, envers la chose publique, mais elles touchent celles et ceux qui forment la base électorale même des progressistes. Faut-il s’étonner qu’ils se détournent de plus en plus des partis de gauche, qui ne leur parle plus ?

Au lieu de partir à la reconquête de ses valeurs – le service public en fait partie – et de son électorat, la gauche retombe dans ses vieilles passions, l’émiettement et les guerres de boutique. Affaiblie et divisée comme jamais depuis les années 1970, elle semble résignée à assister en spectatrice aux futures grandes explications, laissant à Emmanuel Macron, à la droite classique peut-être, la tâche d’affronter la vague autoritaire et populiste. Invité au début du mois par la Fondation Jean-Jaurès et L’Aurore, Mark Lilla, professeur à Columbia et auteur de La gauche identitaire – l’Amérique en miettes (Stock), invitait la gauche à reprendre de fond en comble le travail des idées, et à redéfinir sa vision de l’homme et de la société. Autrement dit, à oser se poser, à nouveau, la question anthropologique. Fantaisie d’intellectuels ? Pas du tout : urgence politique.

Article publié initialement sur le site du think-tank L'Aurore

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