Quand C. Lagarde met fin au règne de l’argent facile, elle abjure aussi les États de prendre leurs responsabilités politiques pour réduire leurs dettes<!-- --> | Atlantico.fr
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Christine Lagarde lors d'une conférence de presse sur la politique monétaire de la zone euro après la réunion du conseil des gouverneurs de la BCE, le 21 juillet 2022
Christine Lagarde lors d'une conférence de presse sur la politique monétaire de la zone euro après la réunion du conseil des gouverneurs de la BCE, le 21 juillet 2022
©DANIEL ROLAND / AFP

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La BCE a donc relevé ses taux de base pour la première fois depuis dix ans, mais annonce aussi un mécanisme pour réduire les distorsions de prix de l’argent entre les pays membres de l’euro.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Les décisions de la BCE annoncées ce jeudi étaient attendues depuis l’emballement des pressions inflationnistes. Le principal taux d'intérêt passe de zéro, où il campait depuis presque dix ans en zone négative à 0,50 %, alors que le taux sur les liquidités bancaires non distribuées, qui était négatif passe de - 0,50 % à zéro. C’est la fin d’une époque, celle des taux négatifs. 

La présidente de la BCE met fin à dix ans d’argent facile en raison des risques d’inflation galopante. Pour Christine Lagarde : « l'horizon économique s'assombrit » en zone euro en raison de de la guerre en Ukraine et de l’inflation. Elle précise que cette inflation « restera à un niveau élevé indésirable pendant un certain temps » qui plonge de ce fait la zone euro dans la plus grande incertitude. 

Cette décision n’a pas surpris les marchés qui s’attendaient à un changement de paradigme et surtout, à un retour à des taux presque normaux. L’Amérique n’a pas attendu aussi longtemps pour revenir à plus d’orthodoxie.  

L’époque de l’argent gratuit ou négatif qui avait été initiée par Mario Draghi pour se protéger des effets de la grande crise financière et ensuite de la crise du Covid, cette époque-là est donc bel et bien terminée. Pas question d’y revenir. 

Alors, ça va un peu changer les habitudes des acteurs de l’économie, mais surtout ça va obliger les États à changer leur pratique de gestion des dépenses publiques. Dans l’immédiat, les dettes ne vont pas se renchérir, parce qu’elles ont été toutes financées à taux zéro pour une durée de quinze ans en moyenne. Dettes publiques et dettes privées, la plupart des acteurs ont fait le plein en financement pas cher. 

Mais ce qui va changer, c’est le prix des dettes à venir. A partir d’aujourd’hui, les États et les entreprises qui veulent contracter des nouvelles dettes vont les payer plus cher. Pour la France par exemple, 1% de taux sur un endettement supplémentaire de 300 milliards d’euros représente une charge financière de 30 milliards. Ce qui compte, ça n’est pas tant le taux d’endettement du pays par rapport au PIB, c’est la charge de financement annuel que ça représente. 

En l’occurrence, comme il s’agit d’une dette de fonctionnement, qui ne rapporte rien, la question est de savoir si on a vraiment intérêt à se laisser aller à avoir des financements aussi chers. Quand les taux étaient à zéro, on pouvait emprunter. On avait même un intérêt à le faire. Le quoi qu’il en coute était parfaitement cohérent et supportable. Quand les taux repassent en zone rouge, emprunter est une erreur grossière. 

Donc les États n’ont plus intérêt à ajouter de la dette chère à celle qu’ils ont déjà… c’est un peu à demi-mot ce qu’a voulu dire Christine Lagarde en demandant aux États de prendre leurs responsabilité politique. 

En moins de vingt-quatre heures, les marchés ont trié les pays emprunteurs en Europe en fonction des risques qu’ils font courir à leurs créanciers. Le tri n’est pas compliqué à faire. 

D’un côté, on trouve les pays du Nord qui vont continuer de trouver de l’argent pas cher parce qu’ils ne présentent que peu de risques, compte tenu de l’état de leurs finances publiques et de la qualité ou de la prudence de leur gestion. L’exemple est évidemment l’Allemagne. Les difficultés que rencontre l’Allemagne sur le front de l’énergie peut changer la donne. 

De l’autre côté, on trouve tous les États du sud, et notamment l’Italie et la France dont la gestion sociale est très généreuse voire laxiste, avec des régimes politiques laxistes et incapables de faire passer un paquet de réformes structurelles vite et bien. Ces pays notamment, l’Italie ou la Grèce, se retrouvent avec des taux d’intérêt beaucoup plus élevés parce que les risques sont plus forts. 

C’est ce différentiel de taux qui inquiète la BCE et que Mme Lagarde voudrait réduire ou contrôler parce que ce différentiel fragilise encore plus l’Union européenne et empêche les États membres de mettre en place des politiques de solidarité ou de coopération. Bref, ce différentiel de taux menace la cohésion de l’Union européenne. 

Pour Christine Lagarde, l’UE aurait deux moyens de corriger tout cela. 

Un moyen technique pour freiner la spéculation sur les taux. La BCE peut sans doute intervenir pour éviter une crise grave en Italie, par exemple comme on en a connu en Grèce il y a plus de dix ans. Mais ces mécanismes anti fragmentation n’auront que des effets limités. 

Le deuxième moyen est de faire appel à la responsabilité politique. C’est aux États de gérer leurs finances publiques, de réduire leur endettement et de lancer des programmes de réformes durables. Facile à suggérer quand on est à Francfort. Beaucoup plus compliqué quand on est à Rome ou à Paris avec des majorités introuvables. 

Le principal message de Me Lagarde, en creux de son discours technique, s’adressait donc aux responsables politiques italiens et français. Critiquer la BCE, c’est assez facile et sans doute utile à condition de faire le ménage chez soi.  

Le plus grand danger que court l’Union européenne, c’est sa dislocation et les taux d’intérêt participent à cette dislocation. La solution et la seule efficace serait de gommer tourtes les raisons pour lesquelles ces pays sont fragiles, et principalement gommer ou supprimer les excès de dépenses politiques de fonctionnement. 

Le diagnostic n’est pas très original mais cette fois ci, les politiques n’ont plus le temps d’éviter de traiter les dossiers. C’est urgent.

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