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Pulsions de vote révolutionnaire pour 2017 : près d'un Français sur 4 prêt à voter pour un candidat pour lequel il ne vote pas habituellement (y compris pour provoquer un grand chamboulement)
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Que se soit par volonté de bouleversement politique ou par déception du candidat, 24% des Français sont prêts à voter pour un candidat pour lequel ils ne votent pas habituellement. Un chiffre qui pourrait faire toute la différence, et que certains candidats ne doivent pas négliger.

Jean-Thomas Lesueur

Jean-Thomas Lesueur

Titulaire d'un DEA d'histoire moderne (Paris IV Sorbonne), où il a travaillé sur l'émergence de la diplomatie en Europe occidentale à l'époque moderne, Jean-Thomas Lesueur est délégué général de l'Institut Thomas More

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Dans le dernier sondage Ifop pour Atlantico sur les motivations du vote pour la prochaine élection présidentielle, 7% des Français interrogés affirment qu'ils voteront pour un candidat d'un parti pour lequel ils ne votent pas habituellement dans le cas où ils n'apprécieraient pas le candidat de leur parti habituel ou qu'ils penseraient qu'il a peu de chances de se qualifier au second tour. Dans quelle mesure ce chiffre conforte, ou non, l'idée selon laquelle le "ni gauche, ni droite" ne fonctionne pas auprès de l'électorat français ?

Jérôme Fourquet : On est là sur une frange très étroite de l'électorat qui serait prête à la transgression, et donc à voter pour un candidat dont il n'est pas proche habituellement, soit par réflexe de vote utile - c'est ce qu'on a testé dans disant que le candidait aurait peu de chances de se qualifier au second tour ; on vote ainsi utile pour le candidat dont on n'est pas proche mais dont on pense qu'il pourra arriver au 2ème tour- soit parce que les électeurs n'apprécient pas le candidat du parti pour lequel ils votent habituellement. Parce que cette part de Français est résiduelle, on voit bien qu'une très large partie de l'électorat français, de manière enthousiaste ou résignée, va voter pour le candidat de son parti traditionnel. Si l'on agrége le score des deux premiers items, à savoir si les électeurs sont prêts à voter pour le candidat dont ils se sentent le plus proche parce qu'ils partagent ses idées et/ou qu'ils l'apprécient (42%) et s'ils sont prêts à le faire même sans grand enthousiasme (32%), on arrive donc à 74% ! Ainsi, on constate que les habitudes électorales demeurent relativement figées, du moins à ce stade la compétition. 

Jean-Thomas Lesueur Nous sommes encore loin de l’échéance mais tout laisse à penser, compte tenu de l’état du pays et du jugement que les Français portent sur leurs responsables politiques, que les motivations du vote seront davantage des motivations de rejet, de sanction et de ras-le-bol que d’adhésion. Pour être franc, je trouve que 7%, ce n’est pas énorme. Il faut y ajouter les 17% de Français, mesurés par votre sondage, qui souhaitent "exprimer leur mécontentement" et que "ces élections viennent chambouler le paysage politique". Nous sommes alors à 24% : un quart de l’électorat votera contre plutôt que pour. Ajoutez-y tous ceux qui ne votent pas et vous commencer à approcher l’état d’exaspération réel du pays.

La question du "ni gauche, ni droite" ne me paraît pas la bonne pour comprendre ce qui se passe. Le critère discriminant sera celui de la crédibilité : les gens se demandent pourquoi et comment faire encore confiance à des élus qui ont si peu tenu leurs promesses et qui sont, tous et chacun, comptables de la mauvaise situation du pays – tant sur le plan politique, qu’économique ou social. La bonne martingale sera celle du candidat qui parviendra à briser ce mur de défiance ou de rejet – ou à le contourner le temps de l’élection, au risque d’accroître encore la déception une fois au pouvoir. 

Dans le cas d'une présidentielle avec un nombre important de candidats (cf. la multiplication des candidatures aux différentes primaires + candidatures indépendantes), ces 7% de Français pourraient-ils changer la donne ?  Dans un univers politique fractionné, cette indécision politique est-elle à même de modifier l'issue du scrutin ?

Jean-Thomas Lesueur : Encore une fois, nous sommes loin de l’échéance et la situation peut évoluer en tous sens d’ici un an. La volatilité de l’électorat est forte et toutes études montrent que la vieille "loyauté partisane" (la fidélité à un parti pour la vie) est morte. Il y a des bobos du centre de Paris qui voteront FN en 2017 – ce qu’ils n’auraient pas imaginé eux-mêmes il y encore un an… Donc, oui, ces 7% seront importants dans l’équation des candidats, et cela dès le premier tour. La "ligne sécuritaire", autoritaire disent certains, d’un Manuel Valls s’explique aussi par le besoin de capter des électeurs venus d’ailleurs.

Jérôme Fourquet : Il ne faut pas résonner là en potentiel électorat : aucun candidat ne va s'aligner ou se concentrer sur cette frange étroite de l'électorat. Tout d'abord, il convient de rappeler le caractère hétérogène de cette frange ; il conviendrait donc de parler plutôt "des franges" qui composent cette frange d'une manière générale.

Si l'on retourne l'analyse en affirmant qu'on ne résonne pas là en potentiel électoral mais en termes de marge d'erreur, ou d'avance, ou de retard, d'un candidat à un autre, alors ce 7% devient important. On sait que lors d'une présidentielle, soit au second tour, - comme on l'a vu en 2012 : 48,5% contre 51,5%, soit un écart faible - soit au premier tour - ce qui avait été le cas en 2002 avec moins d'un point d'écart entre Jean-Marie Le Pen et Lionel Jospin - il peut arriver que la victoire finale ou la qualification pour le second tour se joue sur des volumes de voix très étroits. Et donc, dans ce cas, ces 7% revêtent un intérêt stratégique. Ce chiffre de 7% introduit du jeu et de l'instabilité dans notre modèle. Effectivement donc, ces électeurs peuvent faire la différence dans l'optique de brouiller les cartes et déjouer les pronostics. 

Alain Juppé est le candidat pour lequel ces 7% de Français seraient le plus disposés à voter (11%), ce qui pourrait indiquer qu'une frange des électeurs déçus de François Hollande s'apprête à voter pour Alain Juppé. Pourtant, dans une situation de polarisation progressive de l'opinion à l'approche de l'élection, un tel résultat ne traduit-il pas une fragilité de la candidature d'Alain Juppé ?

Jérôme Fourquet : Effectivement, la première partie du diagnostic que vous faîtes est exacte : ces électeurs orphelins qui sont prêts à voter pour un candidat éloigné de leur formation politique, le feraient d'abord en faveur d'Alain Juppé. On peut penser que, parce que ces 11% de Français voteraient pour lui en affirmant qu'il s'agit d'un candidat d'un parti pour lequel ils ne voteraient pas habituellement, ces Français viennent du camp opposé, et donc de la gauche. Cette hypothèse est corroborée par le fait qu'en symétrique, François Hollande recueillerait très peu d'électeurs orphelins (2%). Ce mouvement là proviendrait donc essentiellement de la gauche, qui irait de la droite, voire vers l'extrême-droite ou alors vers Jean-Luc Mélanchon. A l'inverse, la candidat Hollande ne pourrait bénéficier que très marginalement d'un vivier d'électeurs qui ne viennent pas de sa famille politique habituelle. 

Quant à la capacité d'Alain Juppé à pouvoir capter le plus d'électeurs orphelins, on peut effectivement se demander s'il s'agit là d'une fragilité. Cela reste à voir néanmoins : on se souvient qu'en 2007, un phénomène de ce type avait pu être constaté, et avait ainsi profité à François Bayrou qui avait bénéficié d'un tel transfert provenant de ces électeurs. Ainsi, une partie de l'électorat socialiste, anticipant qu'au deuxième tour Nicolas Sarkozy puisse être présent, a pu adopter cette statégie pour éviter un tel cas de figure, soit parce que cette partie de l'électorat ne se retrouvait pas dans la candidature de Ségolène Royal, soit estimait que cette dernière n'était pas suffisamment solide pour remporter le 2ème tour face au candidat du camps adverse. Il s'agit bien là des deux items testés dans le sondage actuel. On a donc l'impression que le même mécanisme se met en branle au profit d'Alain Juppé. Peut-être se met-il d'autant plus en branle qu'à l'époque, Ségolène Royal n'était pas sortante, ce qui est le cas aujourd'hui de son ex-compagnon. Ceci produit donc un effet de lattitude et de déception, avec des promesses non tenues et un bilan qui n'est pas à la hauteur. L'amplification provient également du fait que la configuration éventuelle du second tour pèse très lourdement : on a toute une partie de l'électorat de gauche, persuadée que Marine Le Pen puisse se retrouver au second tour, qui souhaite faire en sorte qu'elle soit battue. Dans ce cadre-là, celui qui apparaît le mieux placé pour remplir cette mission, c'est Alain Juppé, même si ces électeurs ne votent pas traditionnelement pour son parti et qu'ils peuvent avoir des doutes sur ses capacités ; ils préfèrent ainsi choisir le moindre mal, qui est typiquement la philosophie de cette démarche.

Jean-Thomas Lesueur : Alain Juppé fait le pari d’un positionnement – sérieux, mesuré, pondéré – au centre-droit qui le distingue des "excès" d’un Nicolas Sarkozy et lui permet d’attirer les centristes (François Bayrou s’est engagé à ne pas se présenter s’il était candidat) et le centre-gauche, déçu par François Hollande. Son sérieux et sa pondération sont, pense-t-il, des qualités qui l’élèvent au-dessus de l’agitation de l’un et de l’amateurisme de l’autre. Ce faisant, sa force, à ce stade, tient plus à la faiblesse (et au rejet) des autres qu’à une adhésion profonde du pays. Des surprises l’attendent donc peut-être en effet…

Compte tenu de l’état de tension du pays, je doute en tout cas que son chemin vers le pouvoir soit une marche triomphale. Il aura, comme les autres, à faire oublier ou à justifier sa part de responsabilité dans la mauvaise situation de la France qui, encore une fois, est à mettre au passif de l’ensemble de la classe politique française.

Un récent sondage Ifop-Fiducial pour Paris Match révélait qu'Emmanuel Macron faisait ses meilleurs scores de popularité notamment chez les sympathisants LR (71%). Dans le cas où il pourrait se présenter à la présidentielle de 2017, pourrait-il incarner le candidat le plus capable de capter ces 7% de voix ? S'agirait-il du candidat qu'Alain Juppé doit le plus redouter (toujours dans l'éventualité où il se présenterait) ?

Jean-Thomas Lesueur : Pour être franc, j’ai du mal à croire à l’hypothèse Macron. Pour l’instant, il plaît et fascine un peu, comme plaît et fascine pendant quelques semaines le dernier smartphone qui vient de sortir et dont la principale qualité réside dans le fait… qu’il vient de sortir. J’ai du mal à y voir autre chose qu’une bulle. J’ajoute que la question identitaire (liée à celles de l’immigration, de l’islam, de l’éducation, des territoires, etc.) sera, selon moi, prégnante en 2017 et que je ne le vois pas très outillé sur cette question. Davos est loin des marchés ou des zones pavillonnaires de la "France périphérique", où se jouera l’élection présidentielle.

Et puis, l’expérience nous apprend que le favori des sondages un an avant une présidentielle arrive rarement au bout (observation qui concerne également Alain Juppé). Alors bien sûr, certains répondront que c’est le genre de vérité qui ne dure que jusqu’au jour où elle est démentie – lapalissade fort exacte ! Mais je crois quand même que, vu l’état du pays et l’exaspération des Français, la mêlée sera rude et que ne survivront que les candidats un peu lestés…

Jérôme Fourquet : Il a été dit pus haut que cette partie de l'électorat qui ne voterait pas pour leur camp habituel était manifestement des électeurs socialistes déçus, s'apprêtant à voter pour Alain Juppé. On remarque également dans le sondage qu'ils sont 6% dans ce cas du côté de Jean-Luc Mélenchon, et 6% également du côté de Marine Le Pen. Cela veut dire que tous ne viennent pas forcément des rangs d'une gauche déçue, et que parmi ceux provenant de ces rangs-là, une partie pourrait voter non pas pour Alain Juppé mais pour Mélenchon. Ces 7% ne sont donc pas homogènes, ni en termes d'origine politique, ni en termes de trajectoire envisagée.

De fait, si Macron venait à se présenter, il pourrait effectivement, peut-être en partie, servir de réceptacle à une partie de cette frange déçue, notamment celle en provenance du PS qui s'apprêterait à voter pour Juppé. Mais à mon avis, il serait très mal placé pour capter les votes des déçus de gauche qui envisagent de voter Marine Le Pen ou Mélenchon, et encore moins bien positionné pour récupérer des électeurs de droite qui en ont marre de la droite classique et envisageraient de voter pour Marine Le Pen. 

Propos recueillis par Thomas Sila

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