Protestation des agriculteurs en Allemagne : ça ne s'est pas passé comme on le pensait<!-- --> | Atlantico.fr
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Les agriculteurs ont protesté – et le soutien de la population est grand, probablement plus grand que le gouvernement fédéral ne l'a d'abord supposé.
Les agriculteurs ont protesté – et le soutien de la population est grand, probablement plus grand que le gouvernement fédéral ne l'a d'abord supposé.
©John MACDOUGALL / AFP

Colère

Les agriculteurs ont protesté – et le soutien de la population est grand, probablement plus grand que le gouvernement fédéral ne l'a d'abord supposé.

Willi Kremer-Schillings

Willi Kremer-Schillings

Willi Kremer-Schillings est agriculteur en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Il tient un blog très visité et influent (certains de ses articles sont traduits et publiés ici). Il est l'auteur de Sauerei!: Bauer Willi über billiges Essen und unsere Macht als Verbraucher (Saloperie ! Willi l'agriculteur sur la nourriture bon marché et notre pouvoir en tant que consommateurs) (2016) et Satt und unzufrieden: Bauer Willi und das Dilemma der Essensmacher (repu et mécontent : Willi l'agriculteur et le dilemme des producteurs de nourriture) (2023).

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Tout le monde devrait l'avoir remarqué maintenant : les agriculteurs manifestent parce que ce gouvernement fédéral, à la recherche de 60 milliards d'euros et après quatre semaines de réflexion, est arrivé à la conclusion qu'il fallait augmenter les impôts pour les agriculteurs : d'une part, en introduisant une taxe sur les véhicules agricoles [abandonnée par le gouvernement] et, d'autre part, en taxant le diesel utilisé dans les véhicules agricoles [proposition maintenue, mais avec une application progressive]. Et voilà qu'on a généré un milliard. J'ai encore une phrase dans les oreilles : « Avec nous, il n'y aura pas d'augmentation d'impôts » – mais les acrobaties verbales transforment les nouvelles dettes en « fonds spéciaux ».

On n'avait pas prévu que les agriculteurs se défendraient. Cela s'est passé autrement que prévu. On aurait pourtant pu s'en douter car, en 2019 déjà, les agriculteurs étaient venus à Berlin avec leurs tracteurs pour manifester contre les projets du gouvernement fédéral de l'époque.  Il faut maintenant savoir que l'augmentation prévue des impôts n'est pas la seule pénalisation de l'exploitation agricole. Dans la mienne, les paiements compensatoires de l'UE ont également baissé de 25 % cette année. Le gouvernement fédéral a commis une deuxième erreur en corrigeant les hausses d'impôts, mais sans les annuler complètement. Si cela avait été fait, la légendaire « vache aurait été sortie de la patinoire » [on aurait résolu le problème]. 

Sans émeutes ni mauvaises images

Les tracteurs se sont alors mis à rouler, et ce, dans une ampleur et des proportions bien différentes de ce qui avait été prévu. La solidarité entre les agriculteurs était énorme et déjà les premières voix évoquant une infiltration des manifestations par des extrémistes de droite se faisaient entendre. Comme nous le savons aujourd'hui, non seulement cette infiltration n'a pas eu lieu, mais les agriculteurs se sont défendus avec succès et véhémence contre la récupération de leurs manifestations. Les choses ne se sont pas passées comme prévu. Personnellement, j'ai l'impression que certains milieux se sont employés à ce que les manifestations soient bien organisées, déclarées et encadrées par la police, sans émeutes ni mauvaises images. En tant que personne pouvant se rendre à Lützerath [site d'une mine de lignite à ciel ouvert et d'une manifestation avec affrontements en janvier 2023] à vélo, je sais de quoi je parle.

Ce qui s'est également éclairci entre-temps, c'est l'affaire du bac. [À Schlüttsiel, dans le Schlesvig-Holstein, le 4 janvier 2024, il y a eu une manifestation spontanée d'agriculteurs quand ils ont appris que le Vice-chancelier Robert Habeck était à bord du bac. Certains ont prétendu que les agriculteurs avaient voulu prendre le bac d'assaut.] Selon les déclarations de la police, il n'y a jamais eu d'attaque sur le bac. Tout s'est déroulé autrement que ce qui avait été décrit au départ. Néanmoins, je considère qu'une telle contrainte n'est pas efficace.

Le 15 janvier, une grande manifestation a eu lieu à Berlin. La police a parlé de 8.500 véhicules, principalement des tracteurs, qui ont marqué les rues de Berlin. Sur le podium se trouvaient cette fois-ci non seulement des représentants du monde agricole, mais aussi de l'hôtellerie, de la restauration et des transports. Ces derniers sont également touchés par les mesures du gouvernement fédéral. D'une manière générale, j'ai l'impression que les protestations des agriculteurs sont devenues plus nombreuses : de nombreux citoyens voient chaque jour comment les mesures du gouvernement fédéral modifient leur vie, et ils ne sont plus d'accord avec elles. Ils sont heureux qu'il y ait des gens qui puissent l'exprimer de manière démocratique, sans émeutes ni dégâts matériels et sans policiers blessés. C'est pourquoi ils se joignent à ces manifestations.

Le génie est sorti de la bouteille

Ce gouvernement fédéral ne s'attendait toutefois pas à cela. Les choses ne se sont pas passées comme prévu pour eux. D'ailleurs, des cris comme « Il faut supprimer [la coalition des] les feux tricolores » ne sont pas nouveaux. Il y a quelques années encore, on disait : « Merkel doit partir », et avant : « Kohl doit partir ». Qualifier ces appels de scandaleux, d'une « dangereuse infiltration de la démocratie », est en fait une mise en danger de la démocratie. M. Kohl et Mme Merkel ont continué à gouverner longtemps après ces appels. 

Mais qu'ont donc apporté ces protestations aux agriculteurs ? À part la sympathie de la population : rien. Dans son discours, le ministre fédéral des Finances ,Christian Lindner, a fait savoir sans ambiguïté qu'il maintenait son augmentation d'impôts. Après la manifestation, un entretien a eu lieu avec les présidents des groupes parlementaires des partis de la coalition. On ne peut que constater que les représentants des groupes parlementaires ont manifestement une autre perception de ces discussions que les représentants du monde agricole. Je me souviens encore d'une phrase prononcée par le président de l'Union Allemande des Agriculteurs, Joachim Rukwied, peu après la rencontre : « Nous avons à nouveau discuté de sujets dont nous parlons depuis 30 ans. » La représentante de la Jeunesse Agricole Allemande, Theresia Schmid, a décrit les choses de manière encore plus critique : « Je n'étais pas consciente, j'étais même effrayée, du peu de connaissances que l'on a de l'agriculture dans ces instances. »

Que reste-t-il donc ? Là encore, une phrase que l'on a souvent pu lire ces derniers jours : « Le génie est sorti de la bouteille. » De très nombreuses personnes, et pas seulement des agriculteurs, ont montré partout en Allemagne qu'elles souhaitaient une autre politique. Les signaux en provenance des milieux politiques restent absents. Le chancelier Olaf Scholz a disparu, on n'entend pas non plus beaucoup parler de M. Robert Habeck, et M. Cem Özdemir [ministre fédéral de l'Agriculture] est assis à une conférence où l'on discute de la paludiculture dans les tourbières humides. Vous ne savez pas ce que c'est ? Pourquoi cela ne m'étonne-t-il pas ? Parce que nous sommes tous occupés à d'autres choses tous les jours.

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