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Protection des entreprises stratégiques françaises : le plan hémiplégique du gouvernement
©BERTRAND GUAY / AFP

Pas suffisant

Le gouvernement a annoncé vendredi l'élargissement du décret dit "Montebourg" datant du mois de mai 2014, relatif aux investissements étrangers et à la protection des secteurs clés de l'économie. Mais l’implication de l’Etat devrait reposer sur la reconstitution d’une expertise technologique et d’une stratégie en la matière qui font aujourd'hui défaut.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : ​Ce vendredi 16 février, le premier ministre Edouard Philippe et le ministre de l'Economie Bruno Le Maire ont annoncé l'élargissement du décret dit "Montebourg" datant du mois de mai 2014, relatif aux investissements étrangers et à la protection des secteurs clés de l'économie. Quelle est l'efficacité d'une telle démarche ​pour l'économie française, quelles en sont les forces et les lacunes ?

Rémi Bourgeot :La question des investissements étrangers est le pendant financier de celle des déséquilibres commerciaux mondiaux. Les excédents commerciaux se traduisent par des investissements massifs des pays excédentaires à l’étranger. L’on parle beaucoup depuis deux décennies maintenant des achats de bons du trésor américain par la Chine par exemple, mais une autre tendance est tout aussi importante, celle de rachats d’entreprises, en particulier dans des secteurs technologiques sensibles dans les pays développés. Il s’agit d’un enjeu crucial lié à l’évolution de la mondialisation et, dans le fond, à la concurrence inégale qui s’exerce sur le plan technologique.

La question du contrôle des investissements étrangers va naturellement à l’encontre de la vision économique des années 1980, qui consiste à nier tous les déséquilibres, quels qu’ils soient car procédant à chaque instant donné d’une forme d’équilibre de marché. Cette vision est à l’agonie aujourd’hui et il est intéressant, à cet égard, de voir le gouvernement actuel embrasser l’approche développée par Montebourg. Que l’Etat se mêle d’une façon ou d’une autre d’investissements étrangers dans des secteurs stratégiques, cela relève désormais de la tendance mondiale, face à l’évolution en cours de la mondialisation notamment sur le front des rachats massifs d’entreprises technologiques. Cette situation s’applique naturellement à la France. La question, comme le réalisent nos dirigeants, n’est pas que celle de secteurs sensibles au sens sécuritaire du terme, mais bien plus au sens de la préservation et du développement de la position compétitive du pays en termes de compétences technologiques. La forme de contrôle des investissements qui est développée n’est qu’un outil et il reste évidemment à savoir ce qu’on en fait. Mais prétendre que tout ce qui compte serait la localisation à l’instant t des lieux de production sans voir la lutte mondiale en cours pour la maîtrise et la possession des moyens technologiques, ce serait le signe d’une certaine naïveté. De la même façon la sous-traitance et la conception relèvent de compétences très différentes ; et des pays sous-traitants depuis cinquante ans pour des marques internationales n’ont pas été en mesure de développer une marque nationale, par exemple dans le secteur automobile dans le cas de plusieurs pays émergents qui excellent pourtant dans la sous-traitance. De façon similaire, la question du capital et celle du rachat d’entreprises est directement liée à celle de la capacité de projection technologique des pays concernés. Ces évidences oubliées pendant quelques décennies s’imposent de nouveau, bien au-delà des secteurs dits sensibles et au-delà désormais des lignes idéologiques.

Comment inscrire une telle décision dans le cadre européen ? La France fait-elle partie des initiateurs d'une telle démarche pouvant apparaître comme "protectionniste"? ​

Tous les grands pays européens, et plus généralement dans le monde, s’inscrivent dans cette réflexion aujourd’hui. Les controverses européennes ont essentiellement lieu, sur le fond de l’approche, entre certains petits pays qui convoitent une place accrue comme plateforme de localisation comptable et les grands pays confrontés à la question beaucoup plus générale de la préservation et du développement des chaînes de valeur dans un contexte de concurrence mondiale acharnée. Evidemment il existe des controverses entre grands pays sur les dossiers qui les opposent, mais pas en général sur le fond de l’approche qui consiste à enterrer l’idée selon laquelle le capital serait en quelque sorte neutre en ce qui concerne ses effets sur l’activité économique ; une dérive qui relève paradoxalement d’une forme de négation des valeurs et de l’histoire du capitalisme.

On voit à l’échelle européenne, une réflexion très poussée en Allemagne sur la question du capital des entreprises technologiques et des transferts de technologie, en particulier après le scandale déclenché par le rachat par un groupe chinois du constructeur leader de robots allemand Kuka. L’Allemagne, pays dont les excédents commerciaux sont démesurés, à tendance à réinvestir ses excédents commerciaux dans les bulles financières qui affectent l’économie mondiale plutôt que selon une logique d’acquisition technologique. Ce fut notamment le cas avec le crédit subprime et l’immobilier espagnol dans les années 2000. Et l’Allemagne prend aujourd’hui conscience des finalités technologiques des investissements chinois en particulier, d’un côté, et développe, de l’autre, une politique d’investissements qui vise également le déploiement technologique par des acquisitions en Europe et en France notamment, mais aussi de façon très importante aux Etats-Unis.

Si l’on entend évidemment au niveau des institutions européennes des accusations de protectionnisme pour contrer les inquiétudes sur les finalités de certains investissements étrangers, elles sont en général directement liées à des intérêts nationaux particuliers, en particulier de petits pays, ou à une incompréhension de la mondialisation et des ressorts du savoir-faire technologique à l’échelle d’un territoire. Le lobbying pèse évidemment par ailleurs.

Comment en arriver à un système efficace sur la question des investissements étrangers, entre protection légitime et respect du libre-échange ?

La protection doit être pratiquée dans la perspective du déploiement technologique ; ce qui nécessite des capacités d’analyse technologique qui ont eu tendance à disparaître au sein de l’Etat français au profit d’une vision comptable. Il importe naturellement de développer une approche cohérente. Les privatisations au profit de groupes étrangers, notamment chinois, sous prétexte de politique budgétaire ont révélé un certain aveuglement et une approche quelque peu systématique.

Il ne s’agit évidemment pas de privilégier à tout prix la détention publique, mais d’appuyer une vision technologique. Les nationalisations françaises des années 1980 ont été particulièrement néfastes, car, en plus de la désorganisation bureaucratique qu’elles ont produite dans des pans entiers de l’économie, aucune stratégie technologique ne les accompagnait.

L’implication de l’Etat que ce soit sous la forme d’un contrôle des nouveaux investissements étrangers ou de golden shares doit avant tout reposer sur la reconstitution d’une expertise technologique et d’une stratégie en la matière. La question est celle de la capacité du pays à se positionner dans la révolution industrielle en cours, malgré son retard et dans un contexte de relégation technologique et commerciale croissante.

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