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Profondément convaincus ou en réaction épidermique à Emmanuel Macron ? L’enquête exclusive qui révèle que les Français se disent nettement plus nationalistes et favorables au protectionnisme que les autres Européens
©LUDOVIC MARIN / AFP

Exclusivité

Seulement 30% des Français pensent que le protectionnisme aurait des effets majoritairement négatifs en France selon notre sondage.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Nationalisme, souverainisme, populisme, comment évaluer l'attrait conséquent que représentent ces états d'esprit politiques en France ? Et comment le mesurer à l'aune des autres pays européens ? 

Jérôme Fourquet : Nous avons pris l'habitude depuis quelques années maintenant de présenter la scène politique européenne organisée autour du clivage “populistes contre progressistes”, et ces items visaient à mesurer l’audience de ces concepts ou de ces familles de pensée. Il faut avoir en tête le fait que la définition qu’un certain nombre d’individus peuvent avoir de ces concepts n’est pas forcément en phase avec leurs définitions académiques. C’est un biais que nous pouvons retrouver dans certaines enquêtes lorsque l’on interroge les gens sur le libéralisme, qui est parfois mal connu dans certaines catégories de la population qui peuvent l’apparenter à la liberté alors que la dimension “néolibérale” peut échapper à une partie du public. De la même manière, “un état d’esprit politiquement nationaliste” ou “populiste” peut  échapper à une partie de la population qui ne serait pas en totale maîtrise de ces concepts de sciences politiques. Cela étant, nous sommes sur des niveaux élevés, 41% des Français se sentent proches d’un état d’esprit politiquement nationaliste. Quand on regarde dans le détail on s’aperçoit très clairement qu’il y a ici un vrai clivage en fonction du diplôme qui s’explique en partie idéologiquement. Mais il y a également un biais cognitif ou culturel. Une partie des publics les moins diplômés n’a pas forcément en tête la définition assez chargée de ce terme de nationalisme. C’est nettement moins le cas chez les plus diplômés. En dépit de ce biais là, ces résultats disent quand même très clairement quelque chose. Nous sommes dans un pays où l’extrême droite a fait plus de 30% au second tour des présidentielles et lorsque l’on regarde comment se déclinent les réponses concernant le nationalisme, nous passons de 30% chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon à 68% pour ceux de Marine Le Pen et 62% pour les électeurs de Nicolas Dupont-Aignan. Sur ce concept de nationalisme, on voit s’opérer un dégradé gauche droite, avec donc toute une partie de la population qui répond en toute connaissance de cause. Mais quand on voit que 39% des électeurs de Benoît Hamon, 30% des ceux de Jean-Luc Mélenchon ou 34% de ceux d’Emmanuel Macron qui se disent proches d’un état d’esprit politiquement nationaliste, on voit bien qu’il y a en partie erreur sur le concept. Ce biais doit aussi exister dans les autres pays, mais cela est vrai que cet état d’esprit est le plus élevé en France. Ce sondage, dans sa dimension comparative permet quand même bien de resituer le mouvement des Gilets jaunes. Si on peut dire qu’Emmanuel Macron a commis des erreurs, on voit quand même bien qu’il existait un terreau qui était hautement inflammable, plus que dans d’autres pays européens. Le terme “souverainisme” fait par contre beaucoup plus recette en Allemagne qu’en France, ce qui est sans doute une façon euphémisée de s’affirmer patriote, plutôt que d’opter pour l’item nationalisme, quand même extrêmement connoté dans les pays germaniques. .

Edouard Husson : Les résultats du sondage représentent un désaveu flagrant du « cercle de la raison » imaginé par Jacques Attali et Alain Minc pour gouverner la France au centre. On y lit que les Français aiment la nation, croient à la préférence nationale, ne craignent pas le protectionnisme et sont volontiers populistes. Il faut cependant souligner un point de divergence avec les autres pays européens dont les populations sont interrogées. Les Français sont beaucoup moins souverainistes que les Allemands, les Italiens, les Autrichiens ou les Polonais ! Ce point est très important, parce qu’il fait bien sentir qu’il y a une « exception française ». Mais elle n’est pas où l’on pense. Le problème de notre pays, ce ne sont pas les « Gaulois réfractaires », c’est le divorce entre l’Etat et la nation.   Les autres pays interrogés n’ont pas besoin d’être autant nationalistes et ils se méfient du populisme: mais ils ont un Etat qui défend leurs intérêts nationaux. En France, au fur et à mesure que les années De Gaulle-Pompidou se sont éloignées, les hauts fonctionnaires ont été de plus en plus formés à agir contre les intérêts du pays. Le populisme et le nationalisme ont alors grimpé régulièrement. Il nous faudrait un nouveau Benda, qui écrive un livre, non plus sur la trahison des intellectuels mais celle des hauts fonctionnaires. le livre s’appellerait non La trahison des clercs mais La trahison des légistes pour rester dans un cadre médiéval. 

Comment expliquer ce "retour en force" du sentiment national ? Quelles en sont les leçons politiques, notamment à droite de l'échiquier politique ? 

Jérôme Fourquet : En réalité, il n’a jamais totalement disparu. Si on se rappelle du référendum de 2005, ou de la présidentielle de 2017, on voit que ce terreau existait. Il a également pu être réactivé par la crise des migrants, ou sans doute aussi  l’élargissement européen avec la nécessité de compromis, la concurrence, les délocalisations et autres, ont renforcé le camp de ceux qui disaient qu’en se protégeant derrière nos frontières nous serions peut-être plus heureux que nous ne le sommes actuellement.   

Cette enquête montre également l’opinion paradoxale d’une partie de nos concitoyens qui souhaitent plus d’Europe tout en disant qu’il serait bien de réserver les priorités aux Français, et qu’il faut veiller à nos intérêts. Il y a ici un quiproquo historique qui s’illustre dans la mesure où certaines élites ont vendu l’idée plus ou moins subliminale que la construction européenne serait en réalité une France en grand. Sauf que nous sommes en train de nous rendre compte, et les difficultés au plan institutionnel pour réformer le grand mécano européen l’attestent, que Paris n’est pas en capacité de faire bouger à elle seule l’échiquier européen. Alors que cette illusion a pu être entretenue au début de la construction européenne. Cela peut permettre d’expliquer des réponses apparemment contradictoires de certaines catégories de Français qui veulent une avancée européenne tout en marquant leur volonté de faire des Français une priorité. 

Edouard Husson : Une autre façon d’analyser le divorce entre l’Etat et la nation, c’est de constater la crise de la démocratie. En France, Etat, nation et démocratie sont devenus inséparables. Si l’Etat joue contre la nation, alors c’est la démocratie qui en souffre. La gauche comme la droite se sont désapproprié la nation. A gauche, Jean-Pierre Chevènement n’a pas eu de successeur. Regardez comme Mélenchon refuse, depuis 2017, de mettre la nation au coeur de son programme. C’est un paradoxe car la nation, au départ, est une invention de la gauche: la nation est rendue possible quand disparaissent un certain nombre de solidarités locales et régionales. C’est cela l’abolition des privilèges et la nuit du 4 août ! La droite, elle, a longtemps tenu plus à la souveraineté qu’à la nation. Pour elle, la souveraineté s’incarnait dans une personne - la droite française reste monarchiste au XIXè siècle. De Gaulle a pris la suite de cette émotion fondamentale, qui fait cristalliser le sentiment national à droite: il a permis à la droite d’allier souveraineté, démocratie et nation. Aujourd’hui, une partie de la droite a déserté les trois - essentiellement LR; mais il est vrai que le Rassemblement National a entretenu la flamme du nationalisme, y compris dans sa version populiste. Ce qui manque au Rassemblement National, c’est une bonne connaissance des rouages de l’Etat, qui lui permettrait de développer un souverainisme efficace. Debout la France ou l’UPR essaient de combler ce manque mais commettent du coup l’excès inverse: n’être pas assez enracinés dans les passions nationaliste et populiste. 

Seuls 30% de Français considèrent que le protectionnisme aurait des effets majoritairement négatifs en France. Faut-il voir ici une forme de porosité des thématiques nées du Brexit ou de l'élection de Donald Trump, ou faut-il plus le voir comme une forme de continuité d'une défiance française ? 

Jérôme Fourquet : On s'aperçoit que les opinions exprimées en France, mais également dans d’autres pays -en mettant de côté l’Allemagne et l’Autriche- sont assez équilibrées. Ce qui peut vouloir dire deux choses. Soit que l’opinion est très partagée soit par le fait que le protectionnisme est un concept qui n’est pas forcément maîtrisé par tout un chacun. On voit quand même qu’il existe une minorité importante (30%) qui nous dit que le protectionnisme aurait des effets négatifs. Ce qui revient à la stratégie d’Emmanuel Macron c’est à dire qu’il parle à une minorité assez consistante et cohérente idéologiquement. Ce faisant, et même si ce concept peut-être perçu de façon un peu ésotérique par une partie de la population, on voit que cette situation existe également dans les autres pays. 

Par contre, l’Allemagne et l’Autriche sont les pays ou la défense du protectionnisme arrive à son plus faible niveau. Si France et Allemagne sont pratiquement à égalité dans le rapport positif au protectionnisme, on voit apparaître un écart de 10 points sur son approche négative. Et si la “version officielle” est de dire que le protectionnisme est une menace économique, on voit quand une part importante de Français qui ne se rangent pas à cette doctrine et qui considèrent cette option économique comme positive. Le référendum de 2005 a pu laisser des traces et apparemment le débat est plus équilibré en France qu’il ne l’est en Allemagne ou en Autriche.

Edouard Husson : Je ne crois pas du tout qu’il y ait eu besoin du Brexit et de l’élection de Donald Trump pour que l’opinion française adhèrent à une forme de protectionnisme. Le protectionnisme relève largement du bon sens économique. Adam Smith, si on le lisait, apparaîtrait à beaucoup de nos experts comme un affreux protectionniste: il pensait par exemple qu’en cas de distorsion de la concurrence par un autre pays, il était légitime de faire monter les droits sur les produits importés. C’est la génération des soixante-huitards et ses épigones qui ont transposé au commerce le slogan « Il est interdit d’interdire ». Lorsqu’on s’interroge sur la racine de nos maux économiques, on s’aperçoit que nous avons cumulé les inconvénients: monnaie forte, entrée de la Chine dans l’OMC, financement de l’immigration massive au lieu d’un investissement des entreprises et de l’Etat dans la modernisation industrielle et l’éducation. Les Français ont bien le sentiment diffus que quelque chose ne va pas avec la monnaie, le commerce, le marché du travail, la fiscalité....

La suite de l'enquête demain sur Atlantico

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