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Prof menacée : pourquoi le plan d’action du gouvernement contre les violences à l’école n’obtiendra probablement pas plus de résultats que les précédents
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Education nationale

Un adolescent de 16 ans a braqué son enseignante, la semaine dernière, pour la forcer à le noter "présent". Placé en garde à vue, il a été mis en examen pour "violences aggravée". Suite à ce drame, le gouvernement a annoncé un d'action contre les violences faites aux enseignants.

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

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Jean-Louis  Auduc

Jean-Louis Auduc

Jean-Louis AUDUC est agrégé d'histoire. Il a enseigné en collège et en lycée. Depuis 1992, il est directeur-adjoint de l'IUFM de Créteil, où il a mis en place des formations sur les relations parents-enseignants à partir de 1999. En 2001-2002, il a été chargé de mission sur les problèmes de violence scolaire auprès du ministre délégué à l'Enseignement professionnel. Il a publié de nombreux ouvrages et articles sur le fonctionnement du système éducatif, la violence à l'école, la citoyenneté et la laïcité.

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Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Violences entre élèves, violences envers les enseignants... L'école semble être de plus en plus un lieu de dérapages plus ou moins graves. Les plans gouvernementaux se succèdent, mais rien ne semble y faire, pire la situation semble s'aggraver. Est-ce réellement le cas ? Pourquoi est-il si difficile de désamorcer cette violence ?

Jean-Louis  Auduc : Les adolescents, notamment les garçons,  ont des comportements de plus en plus violents, et ce non seulement en France , mais dans tous les pays développés comme en témoigne la violence des supporters de football, les bagarres entre bandes de quartiers, les guerres de trafics divers.....L'école qu accueille tous les jeunes est difficilement à l'abri de cette violence qui s'exacerbe et qu'a toujours existé. Aujourd'hui, c'est la guerre des boutons entre jeunes, mais avec des couteaux, des barres de fers et des revolvers.....

Dans aucun pays développé, on n'a réussi à mettre l'école à l'abri des violences des jeunes, comme le montre les morts chaque année dans des collèges ou lycées aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, en Finlande, en Crimée...

Pierre Duriot : Factuellement, la violence s'accroît d’année en année. Le jeune menaçant son enseignante avec une arme pour qu’elle le note “présent”, a fait le tour des médias à cause de la vidéo, mais c’est notre lot quotidien. Dans ma petite préfecture, les élèves arrivent à plusieurs, en force, devant leur professeur, en essayant de l’intimider pour qu’il change leurs notes. La violence dans les établissements scolaires n’existe pas qu’à Saint Denis, elle est partout.

Désamorcer cette violence est difficile car il y a un grand nombre de paramètres à prendre en compte et énormément de réponses possible. Globalement, le problème principal est l’éducation des enfants. Depuis quelques années, la norme est de céder à leur caprices, de les laisser exprimer leurs envies sans les contredire. Or, les caprices d’un enfants de 4 ans peuvent se transformer en violence au fur et à mesure des années, s’il n’est jamais recadré.

L’autorité est vue comme une brimade qui freinerait le développement psychoaffectif de l’enfant.

A l’école, le problème est le même. Au lieu d’agir, l’école trouve des explications à la violence d’un enfant, comprend cette violence et donc quelque part, la légitime. Confrontés à un élève violent, les enseignants n’ont de choix que d’organiser des réunions avec les parents, des psychologues, les professeurs… Aucune sanction n’est prise : le but est d'essayer de convaincre les parents de mieux faire et les enfants de faire preuve de volonté. Si l’enfant n’en a pas, l’école s’en accomodera. 

Elle n’a aucun ressort pour discipliner ces élèves, aucun moyen coercitif. Imposer une certaine discipline est vu comme étant inacceptable, ce qui paraît presque lié à une idéologie d’extrême gauche qui voudrait que l’on comprenne plutôt que d’agir.

Jean-Paul Brighelli : D'abord parce qu'elle est importée de l'extérieur : c'est dans les cités que se développe la violence — et l'impression globale est qu'on laisse faire, trop heureux de cantonner les débordements dans les ghettos installés aux portes des grandes villes.Un gosse de quinze ans (c'est le cas dans le dernier incident) qui a sur lui une arme, même factice, appartient à une bande, ou vise à s'imposer comme caïd pour intégrer une bande. Et derrière la bande, il y a tout ce que vous imaginez, trafic de drogue, violence, prostitution, etc.

Je sais bien qu'il faudrait responsabiliser aussi les parents. Mais trop souvent les parents eux-mêmes — particulièrement dans les familles mono-parentales — ne parviennent plus à contrôler leurs enfants.

Quelles sont les causes de ce surcroît de violence ? Quelles démissions collectives y ont mené ? Est-ce le signe d'un renoncement à l'autorité (tant du côté des parents et professeurs qui ne parviennent plus à se faire entendre que côté des jeunes qui ne les respectent plus)?

Jean-Louis  Auduc : La violence latente à l'adolescence, notamment chez les jeunes  a toujours existé, mais depuis une vingtaine d'années, on se refuse à la prendre en compte pour la canaliser et travailler sur les limites nécessaires à la vie sociale.

La notion de "risque Zéro", l'aseptisation des cours de récréation  font qu'il est de plus en plus difficile d'organiser des activités, telles que randonnées, sorties à vélo, baignades, camping en pleine nature permettant d'aborder la prise de risques, la recherches de sensations fores et les limites à ne pas dépasser.

Pour quelques accidents hyper-médiatisés, on en vient à refuser de travailler sur le contrôle de son énergie à l'adolescence, on empêche l'adolescent garçon, de se préparer à endosser des responsabilités, à travailler son autonomie. La caricature de cette posture est la volonté de la fédération française de rugby de vouloir supprimer pour les mineurs, les placages durant les parties......

Se rend-on compte qu'en aseptisant tout ce qui peut permettre de canaliser son énergie, on laisse le jeune se contrôler seul, ou plutôt ne pas se contrôler et que l'on le pousse ainsi à rechercher des sensations au travers de la drogue, des excès divers.....

Une étude concernant les jeux dangereux chez les élèves a d'ailleurs montré que plus la gestion de la cour de récréation est stricte (interdiction de jeux de balles, interdiction de sauter, de courir.....) plus les risques de comportements extrêmes, tels les arrêts de respiration ou le jeu du foulard sont grands chez les jeunes garçons.

Pierre Duriot : Il y a un renoncement qui a rendu la sanction tabou. Or, ce renoncement a été adopté par tous. Comme je le disais précédemment, on sait à quoi ressemble ce renoncement : lorsque l’enfant est jeune, les parents cèdent à ses demandes. Ils se disent que ce n’est pas grave, qu’il apprendra en grandissant, mais c’est faux et au fur et à mesure des années le problème prend de l’ampleur. 

L’école de son côté, comprend, trouve des excuses et rien n’est donc fait. Les sanctions y ont été bannies et lorsqu’il y a un incident la réponse administrative est systématiquement la même : culpabiliser le professeur. Dans un premier temps, on lui expliquera que c’est parce que ses cours sont mauvais que l’enfant réagit, et si le problème devient plus grave on lui demandera de souffrir en silence. Il y a donc également une démission administrative.

Il faut également préciser que ce problème n’est pas uniquement celui de l’école. Du début à la fin, le jeune est sacralisé. Lorsque les étudiants descendent manifester dans la rue et cassent tout, par exemple, la police ne fait pas grand chose, les laisse presque faire. Quand on est jeune, on bénéficie d’une compréhension sans limite alors que dès le départ il faudrait ériger de la discipline et de la rigueur avec des possibilités de rétorsions.

Jean-Paul Brighelli : On recense chaque année autour de 6000 signalements d'incidents. La plupart, heureusement, sont verbaux — mais ne sont pas plus tolérables. Et la majorité se déroulent dans les écoles primaires, et sont le fait des parents. Tant que des peines lourdes ne sont pas appliquées… Pas nécessairement d'ailleurs des peines judiciaires : pourquoi ne pas décréter par exemple une levée immédiate des bourses en cas d'agression ? Ou la suppression de l'allocation de rentrée scolaire ? Même si les violences ne sont pas toujours le fait de familles déshéritées, cela arrive assez souvent pour que l'éventualité d'une sanction financière instantanée soit efficace.

Cette situation est-elle le résultat d'une politique qui a entretenu certaines populations dans une logique de victimisation ? N'accorde-t-on plus d'importance aux responsabilités individuelles ?

Jean-Louis  Auduc : Je pense qu'il faut en finir avec l'aseptisation des activités sportives ou de nature qui concourt à déresponsabiliser les adolescents et les personnes qui les encadrent. L'absence d'espaces, de lieux pour canaliser les énergies et les pulsions inhérentes à l'adolescence des jeunes garçons peut les amener à rechercher  des exutoires. 

Pierre Duriot : Les professeurs ont dans leur grande majorité une peur panique d'être classés islamophobes ou racistes. À l’école, à l’heure actuelle, on est programmé pour se sentir raciste si on brime un noir ou un arabe. 

Ceci a deux terribles conséquences. Premièrement, on entretient le « statut de victime » de ces minorités. D’autre part, ne pas leur appliquer les mêmes lois c’est aussi ne pas reconnaître leur altérité. Cette discrimination positive et cette tolérance accrue les condamnent à ne pas devenir des citoyens ordinaires puisque la même loi ne s’applique pas à tous.

On se trouve presque dans une logique postcoloniale, trouvant des excuses à ces minorités sous prétexte qu’elles ne peuvent pas être régies par les mêmes codes. Or, ceci n’est pas acceptable. Dès le début, il aurait fallu les considérer comme des citoyens normaux, ne pas les protéger sous prétexte de la couleur de leurs peaux ou de leurs origines.

Désormais un problème se pose : les populations concernées se sont emparées de cette gêne et on ne sait plus comment en sortir. Prenez l’exemple du jeune de la vidéo : après s’être rendu de lui-même au commissariat il a expliqué avoir braqué son arme sur son enseignante pour « lui faire une blague ».

Jean-Paul Brighelli : La morale individualiste actuelle — le côté "tout pour ma gueule" — a forcément entraîné des comportements aberrants. De surcroît, vous avez raison, des populations entières, sous prétexte que peut-être quelques-uns de leurs lointains ancêtres ont été victimes de discrimination via la colonisation, jouent sur le côté victimaire et s'estiment en droit de "rendre" la violence qui a été exercée sur eux… trois siècles auparavant. Avec l'appui de quelques belles âmes qui se gardent bien d'inscrire leurs enfants dans les établissements sensibles. Il faut responsabiliser les individus, en expliquant qu'il n'y a aucune différence netre les individus, et que tous sont identiquement comptables de leurs actes.

Pour revenir au plan annoncé par le gouvernement, si son contenu demeure encore inconnu, à quelles conditions pourrait-il fonctionner ?

Jean-Louis  Auduc : Je pense qu'il faut, avec raison délimiter clairement plusieurs types de violence à l'école:

-  celles qui sont dans la classe, et que les enseignants doivent signaler, même si ce sont de "petits faits" et sur lequel l'enseignant doit immédiatement réagir pour faire sentir au jeune qu'une limite a été dépassée. Ces violences peuvent être aussi bien verbales que physiques. Un mot peut blesser autant qu'un coup de poing....

- celles qui relèvent de l'établissement, dans les couloirs, dans la cour, à l'entrée... Il faut une vraie formation à cette question des CPE, des surveillants....

- celles qui sont "importées" de l'extérieur de l'établissement, par exemples des rivalités de bandes ou des conflits liés à des trafics

-celles qui ont lieu aux abords de l'établissement.

Pour ces deux dernières, je pense qu'il faut un plan territorial de lutte contre la violence des jeunes qui réunissent municipalités, services sociaux, associations sportives, services de police ou de gendarmerie, etc.... L'école ne peut rester seule dans ce contexte de montée de la violence et c'est à l'échelle d'un territoire qu'il faut la poser. Le jeune de 13 ans mort dans la bagarre  entre jeunes aux Lilas interroge autant l'école et le territoire que ce qui s'est passé à Edouard Branly à Créteil.

Pierre Duriot : Les plans sont nombreux, on est presque dans un plan permanent. Aucun ne fonctionne, car on ne change pas les mentalités, on garde la même correction politique, le même respect des cultures et la même peur de la taxation d’islamophobie. 

Pour que les choses s’améliorent, il va falloir arrêter avec les excuses, la victimisation et trouver le courage politique d’appliquer la même loi à tous. 
Jean-Paul Brighelli : Prenez le cas des téléphones portables — puisque l'incident a été filmé en temps réel et mis en ligne immédiatement, ce qui est un délit en soi. Pourquoi avoir limité l'interdiction aux écoles primaires et aux collèges ? Pourquoi ne pas l'étendre aux lycées ? Ceux qui l'ont décrétée n'ont aucun mal particulier à le faire appliquer.
Quant à l'interdiction des armes… Ce sont moins les armes à feu que les armes blanches qui connaissent un essor monstrueux en ce moment. Et je ne crois pas que des portiques (même si l'expérience a été tentée avec un certain succès à New York) résoudront le problème. C'est en amont qu'il faut intervenir, en démentelant les gangs — mais là, c'est un problème Ministère de l'Intérieur plus qu'une question Education Nationale.
Prenez le cas des téléphones portables — puisque l'incident a été filmé en temps réel et mis en ligne immédiatement, ce qui est un délit en soi. Pourquoi avoir limité l'interdiction aux écoles primaires et aux collèges ? Pourquoi ne pas l'étendre aux lycées ? Ceux qui l'ont décrétée n'ont aucun mal particulier à le faire appliquer.
Quant à l'interdiction des armes… Ce sont moins les armes à feu que les armes blanches qui connaissent un essor monstrueux en ce moment. Et je ne crois pas que des portiques (même si l'expérience a été tentée avec un certain succès à New York) résoudront le problème. C'est en amont qu'il faut intervenir, en démentelant les gangs — mais là, c'est un problème Ministère de l'Intérieur plus qu'une question Education Nationale.

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