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Primaires américaines : Trump-Sanders, même combat !
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Marchands d'illusions

Question : Pourquoi un populiste de droite et un social-démocrate de gauche séduisent tant les Américains ? Réponse : Parce qu’ils vendent la même chose sous deux emballages différents. Sous leur costume de candidat anti-système, Trump et Sanders sont des marchands d’illusions. Des colporteurs d’élixir de jouvence...

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Après les deux premières étapes d’un marathon électoral qui en comptera vingt-sept, la sensation de la campagne des primaires aux Etats-Unis est incontestablement le succès inattendu des deux « trublions », Donald Trump et Bernie Sanders. Il dépasse toutes les attentes.

Bernie Sanders a écrasé Hillary Clinton dans le New Hampshire. Il pourrait remporter le caucus du Nevada ce week-end. Trump a largement battu ses adversaires dans le New Hampshire et pourrait récidiver en Caroline du Sud ce samedi 20.

Tous deux ont désormais une chance crédible d’emporter la nomination de leur parti. Cette chance reste mince, mais, voici neuf mois, lors de leur déclaration de candidature, elle était inexistante ou infime.

Leur succès, nous dit-on, traduit une exaspération, voire une colère de l’électorat américain vis-à-vis de  « Washington », de « l’establishment », et du monde politique en général. Chez les Démocrates, comme chez les Républicains, on observe un rejet des candidats consensuels, au profit des candidats de rupture ; un abandon des idées centristes et des compromis pour des positions extrêmes et intransigeantes. En cette année 2016 les électeurs cultivent la radicalité, plus que d’habitude.

Cette explication détient une part de vérité. Mais une part seulement. La colère de l’électorat américain n’est pas nouvelle. Elle est palpable depuis des années, voire des décennies. Elle s’est exprimée par le passé sous des formes aussi différentes que la candidature de Ross Perot en 1992, celle de Pat Buchanan en 1996, de Ralph Nader en 2000, et  le mouvement du Tea Party en 2010.  Les  campagnes primaires ont toujours favorisé, au moins dans leurs premières phases, les candidats des extrêmes plutôt que ceux du centre. L’explication n’est donc pas suffisante. Surtout, elle passe, me semble-t-il, à côté de l’essentiel.

A savoir que Sanders comme Trump séduisent les électeurs parce qu’ils leur vendent du rêve ! Chacun à sa manière. Ce sont tous les deux des marchands d’illusions. Non pas des menteurs, ou des charlatans, mais des distillateurs d’une poudre aux yeux qui aveugle et charme leurs auditoires. Ils ont la même approche du processus électoral. Une approche qui consiste à dénoncer le système et ses dirigeants et affirmer qu’un autre monde est possible, à portée de main même, si seulement les électeurs votent pour eux. Car eux, et seulement eux, sauront changer les choses. Comment ? Mystère ! Ils se gardent bien de le détailler. Au contraire de leurs adversaires qui s’astreignent à chiffrer leurs propositions, eux s’affranchissent de tout  contexte et avancent des solutions générales, simples, et indolores quelle que soit la complexité du problème.

Le programme de Donald Trump tient en une phrase qu’il répète inlassablement : « We dont’ winanymore, I willmakeAmericawinagain. » « Nous ne gagnons plus, moi je ferai gagner l’Amérique à nouveau. »

La formule à l’avantage d’être applicable à tous les contextes. Un peu comme ces vêtements bon marché produits en taille unique (« one size fits all »). Elle  est appliquée pêle-mêle à la guerre contre le terrorisme, aux relations commerciales avec la Chine et le Mexique, aux rapports avec la Russie, au récent accord nucléaire conclu avec l’Iran, à la production manufacturière et  industrielle américaine, à l’immigration clandestine et la sécurisation des frontières. A chaque fois qu’il a été pressé de donner des détails, Trump s’est contenté de dire qu’il nommerait des gens qualifiés pour remplacer les « incompétents » en poste actuellement et que cela suffira « à rendre sa grandeur à l’Amérique » (« makeAmericagreatagain »). C’est évidemment un peu mince.

Sa suggestion d’interdire l’entrée de musulmans, non citoyens ou résidents, sur le territoire américain a rencontré un franc succès. Mais qui l’imagine applicable ? De même que sa volonté d’expulser les douze millions d’immigrants clandestins. Comment s’y prendra-t-il puisque par définition ces personnes sont sur le territoire incognito ? Quant à un mur le long de la frontière mexicaine, combien de temps resterait-il infranchissable ?...

Les propositions de Trump sont insignifiantes ou inapplicables. Elles ne résisteraient pas à un examen fouillé, mais pour l’instant électeurs et média s’en contentent.

Le principe du succès de Sanders est aussi vieux que le commerce. Sanders promet de raser gratis. Et plus encore ! Avec lui tout sera gratuit : la santé, les études, l’énergie, les transports, etc. Seuls paieront Wall Street et les fameux « 1% ».  L’avantage de la formule est qu’elle met 99% de l’électorat de son côté!

Dans les faits, les bouleversements qu’il suggère entraîneraient une hausse de 50% des dépenses budgétaires, soit la bagatelle de deux mille milliards de dollars par an (entre deux mille et trois mille milliards selon une étude récente effectuée par des économistes de l’université de Chicago). Il faudrait bien plus qu’un impôt sur les 1% pour financer un tel programme. Mais cela ne semble pas avoir d’importance. Personne n’a encore demandé des comptes précis à Sanders.

Peu importe, non plus,  que l’université gratuite signifie la ruine des grandes institutions qui ont fait la grandeur des Etats-Unis, de Harvard à Stanford en passant par Princeton et d’autres. Peu importe qu’une assurance santé universelle gérée par Washington, dépasse  les compétences constitutionnelles du gouvernement fédéral et fasse l’objet d’une interminable bataille juridique… Peu importe que ses attaques contre Wall Street, les lobbies et les « special interests » débouchent sur une dégringolade boursière ruineuse pour les Américains…

Comme avec Trump, les électeurs semblent ne pas vouloir se poser ces questions pour l’instant. Ils préfèrent rêver à cet autre monde… Le plus étonnant dans le phénomène Sanders est que chez lui le jeu d’illusionniste est double. Au-delà de ses propositions financièrement intenables, il a endossé le costume de « l’outsider » en révolte contre le système, alors qu’il est lui-même un pur produit du système.

Fait rare dans la politique américaine, Sanders est un politicien de carrière. Il a passé sa vie à faire de la politique et n’a rien accompli en dehors. Il hante les couloirs du Capitole et les bonnes tables de Washington depuis plus longtemps qu’Hillary Clinton. Il fut élu au Congrès, comme représentant du Vermont en 1990.  Elle ne devint Première dame qu’en janvier 1993 ! En tant « qu’indépendant », il s’est positionné à l’un des extrêmes du système et n’a jamais cessé d’en dénoncer le fonctionnement, mais c’est bien ce système qui l’a nourri toute sa vie.

Le parcours de Trump est différent. C’est un homme d’affaires qui a accumulé une fortune considérable (8 milliards de dollars) dans l’immobilier, les casinos, les terrains de golf et autres. Mais il a toujours entretenu des relations plus ou moins incestueuses avec le monde politique à travers ses nombreuses et généreuses donations. Et il a toujours lorgné du côté de Washington pour obtenir une forme de  reconnaissance, dont il est avide,  et que l’argent seul ne procure pas. Voilà près de trente ans que Trump pense à la Maison Blanche. Dès 1988 sa candidature avait été évoquée. Il a voulu se présenter en 2000, 2004 et 2012, par toujours sous l’étiquette républicaine…

A défaut d’être le même homme, Trump et Sanders sont les deux faces d’une même médaille. Les deux personnifications d’une aspiration de l’électorat pour l’homme providentiel, capable de résoudre instantanément tous nos problèmes. L’équivalent politique des produits miracles vendus par la presse populaire. Ils sont le régime minceur des femmes rondes, la lotion capillaire des trentenaires à la calvitie précoce,  la pilule virilité des impotents… Ils rappellent ces colporteurs d'antan  proposant un élixir de jouvence, à des chalands suffisamment nigauds pour y croire.  Mais leur audience n’est pas le coin de la rue. Ere post-moderne oblige elle est nationale voire globale. XXI siècle ou pas l’être humain reste crédule et nombreux sont ceux qui veulent croire aux miracles.

Une élection c’est aussi du marketing ! Il s’agit de vendre un homme (ou une femme) et un message. Et pour ce dernier le rêve fonctionne mieux que la réalité. L’idéalisme l’emporte sur le réalisme. Tout le monde n’est pas Churchill capable de remporter une élection en promettant « du sang, de la sueur et des larmes ».

En 2008 Barack Obama avait subjugué la planète par sa vision d’un monde uni, ouvert et harmonieux. Il avait fait rêver l’Amérique d’une relation raciale apaisée. Huit ans plus tard, le monde promis n’est pas advenu. Bien au contraire. Et loin d’être apaisées, les relations raciales aux Etats-Unis sont aussi tendues qu’il y a vingt-cinq  ou cinquante ans… Mais Barack Obama a été élu, et même réélu grâce à son message empli d’idéal.

Qu’en sera-t-il pour les deux trublions de 2016… ?  Démagogues, ils exploitent la colère des électeurs et demandent une confiance quasi aveugle. Ce faisant, Sanders et Trump véhiculent une ultime illusion. Celle de faire croire qu’un seul homme peut tout changer. Or les institutions américaines sont conçues sur un système dit de « checks and balances » c’est à dire d’équilibre des trois pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire, avec des vérifications et contrôles d’une branche par l’autre. Justement pour éviter qu’homme fort n’émerge et ne détourne le processus démocratique… Du temps des Pères Fondateurs ont appelait ces hommes forts des « tyrans » et leur régime  la « tyrannie ». 

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