Interview d'un vrai faux Luc Chatel : radiographie d'un bug Atlantico par un sociologue des médias<!-- --> | Atlantico.fr
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Atlantico a mis accidentellement en ligne ce mardi, pendant quelques minutes, une fausse interview de l’ancien ministre Luc Chatel.
Atlantico a mis accidentellement en ligne ce mardi, pendant quelques minutes, une fausse interview de l’ancien ministre Luc Chatel.
©Wikipédia commons

Kramer contre Kramer

Une interview d'un vrai faux Luc Chatel a été publiée mardi sur Atlantico pendant quelques minutes, à la suite d'une erreur de procédure interne et de la manipulation d'un homonyme du ministre. Quelques minutes qui ont provoqué une mini-tempête médiatique.

Jean-Marie Charon

Jean-Marie Charon

Jean-Marie Charon est sociologue, spécialiste des médias et chercheur au CNRS. Il a notamment co-dirigé avec Arnaud Mercier l'ouvrage collectif Armes de communication massives : Informations de guerre en Irak 1991-2003  chez CNRS Éditions

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Atlantico : Atlantico a mis accidentellement en ligne ce mardi, pendant quelques minutes, une fausse interview de l’ancien ministre Luc Chatel. A l’origine de cet incident, le cumul d'une erreur intervenue dans la procédure de publication et une véritable manipulation de la part d’un homonyme de M. Chatel. Atlantico a d'ailleurs déposé plainte pour faux, usage de faux et usurpation d’identité (pour les détails sur l'incident, vous pouvez cliquer ici).

Au-delà du défaut de fonctionnement que révèle cette publication et du concours de circonstances qui a conduit au résultat précité, comment vérifier l'identité de son interlocuteur quand on travaille pour un média en ligne, sachant que les sites d'informations, comme les rédactions "traditionnelles" ont de moins en moins de temps pour rencontrer physiquement leurs interlocuteurs ?

Jean-Marie Charon : Là où précédemment on interviewait les personnes en face à face, on est passé à des interviews qui se font quasiment systématiquement par téléphone. Aujourd’hui, elles se font même assez souvent par mail.

J’ai toujours pensé que cela constituait une prise de risque excessive, car il peut y avoir des erreurs dans les adresses mails, mais aussi des personnes qui accèdent aux messages sans en être les destinataires. Le problème se pose aujourd’hui dans un média en ligne, ce qui va permettre à ses détracteurs d’avoir un nouvel argument pour le critiquer, mais je pense que cette erreur aurait pu se produire dans n’importe quel média. C’est une prise de risque qui me paraît mériter réflexion, dans toutes les rédactions.

Le principal filtre devrait se faire à la lecture : le journaliste doit analyser la cohérence du contenu du message reçu. En l’espèce, il apparaît que le contenu était un peu surprenant ; cela aurait pu être un élément indicateur de la fraude. La précaution première demeure la compétence journalistique.

Vous avez annoncé vouloir changer vos procédures internes : je pense que toutes les rédactions devraient être amenées à faire de même et à réfléchir à ces problématiques, pour éviter que de telles erreurs ne se produisent à l’avenir.

En matière de journalisme, on dit qu’on croise les sources. Dans ce cas précis, il faudrait probablement s’habituer à croiser les manières de contacter la même personne. Au minimum, il faudrait vérifier par téléphone que le mail qui a été reçu correspond bien à celui envoyé par l'interviewé.

On peut considérer qu’un contact par mail n’est pas suffisant et qu’au minimum, il faut pouvoir croiser avec un contact téléphonique pour avoir, au moins, la possibilité d’entendre la voix de la personne.

Ensuite, c’est au moment du travail de validation que la vigilance doit être renforcée. On peut également envisager, pour les personnalités publiques, un retour vers les services de presse pour validation de l’interview.

NDLR : L'interview a été publiée sans avoir été validée par la rédaction en chef suite à une erreur interne de communication. Les articles publiés sur Atlantico sont systématiquement relus par la rédaction en chef. Concernant l'interview de Luc Chatel, l'entourage du parlementaire nous avait au préalable confirmé l'accord de ce dernier par deux canaux différents.

Le Luc Chatel qui s'est fait passer pour l'ancien ministre est lui-même journaliste et membre du collectif "Malgré tout". Atlantico avait déjà publié deux de ses contributions, il figure à ce titre dans le « carnet d’adresses » de la rédaction. Il a d'abord été contacté par erreur par notre journaliste, qui, s'en rendant compte, l'a très rapidement rappelé pour s'en excuser. Ce Luc Chatel journaliste nous a alors recontacté en proposant une interview par écrit après avoir créé une fausse adresse mail incluant dans son intitulé l'acronyme UMP. Sachant cela, jusqu'où peut-on ou doit-on accorder sa confiance ?

S’il y a une leçon a tirer de cette histoire, c’est qu’il faut se méfier de tout le monde, même de ses contributeurs. D’autant plus que la carte de presse n’est pas une garantie de l’honnêteté de la personne. En l’occurrence, je crois que Luc Chatel le journaliste n’a pas bien relu le code déontologique de la profession, même si de nombreux journalistes utilisent ce type de méthode pour lancer des enquêtes.

Après la publication de l’interview (dépubliée quelques minutes plus tard) et alors que Luc Chatel le journaliste allait raconter ce qu'il qualifie de "canular" sur Rue89, tandis que Luc Chatel le parlementaire faisait part de son indignation sur Twitter tout en décidant de porter plainte contre X pour usurpation d'identité, une mini-tempête médiatique s'est développée. Journaux, sites d'information, radios, chaînes de télévision, agences de presse ont repris l'information, bien souvent sans chercher à comprendre le fin mot de l'histoire.

Si on considère que la polémique porte sur une fausse interview absurde plus que choquante, restée en ligne peu de temps, comment expliquer que ce sujet d'une gravité toute relative - même si Atlantico a commis une véritable erreur - soit devenu un tel objet médiatique  ?

Ce n’est pas un non sujet, dans la mesure où cela intervient dans un moment particulier. Depuis plusieurs années, une suspicion plane sur les médias web, accusés de ne pas travailler comme les médias traditionnels. Plus récemment, Aurélie Filipetti a ainsi déclaré que le contenu internet n’était pas éditorialisé. Arrive derrière cela quelque chose qui ressemble à une fragilité dans une procédure, et la polémique sur la crédibilité d’Internet est immédiatement relancée. On est sur une thématique sensible et je ne suis pas étonné du buzz que cette affaire a créé.

Cependant, beaucoup de sites internet ont eux-même alimenté cette polémique…

Cela montre qu’on ne se fait pas de cadeau dans la presse. C’est un classique en matière de médias : les plantages ne sont jamais mieux décrits que par les concurrents, en presse et ailleurs. Ce n’est pas grandiose mais c’est assez courant.

Il me semble toutefois que la bonne manière de répondre est de monter d’un cran en expliquer comment on va travailler pour faire changer les choses à l’avenir. J’ai toujours été frappé par la difficulté des médias de reconnaitre leurs fragilités. Il faut annoncer comment on travaille à résoudre le problème.

Plusieurs versions différentes sont apparues dans les médias après l’incident. Cela est-il le révélateur d'un manque de rigueur généralisé de la presse ?

Je ne pense pas que la presse en ligne soit moins rigoureuse que les autres. Elle travaille très vite et l’erreur est donc inévitable. C’est le problème de tous les médias d’information en continu. La radio et la télévision en continu font aussi énormément d’erreurs de ce genre, mais curieusement, on le leur reproche rarement. En effet, c’est un média de diffusion et on ne conserve pas l’erreur sous les yeux.

Dans quelle mesure un média peut-il s'abstraire de la course à la réactivité dans la mesure où la concurrence se joue sur cela ?

Ce qui durcit les choses sur internet, c’est la question du référencement. C’est une véritable machine à se tromper.

Il faudra voir le prix à payer de ce type de dérapage. Selon moi, il est lourd car il vient alimenter une défiance du public déjà assez grande. 

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