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Présider par les symboles
©MICHEL EULER / POOL / AFP

Une certaine idée

L’art de présider ne fait pas simplement appel à la stratégie et ne mobilise pas seulement les préceptes que Sun Zu énoncent dans « L’art de la guerre ». Il n’est pas non plus qu’une histoire de « force » et de « ruse » comme le dit Machiavel dans « Le Prince ».

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Il ne suffit pas d’avoir bien lu et compris « L’homme de Cour » de Balthazar Gracian ou « Le Bréviaire des politiciens » que l’on prête à un Mazarin vieux et vaguement nostalgique. Même la lecture régulière du texte le plus « politique » et le plus « laïc » de la Bible,  « L’Ecclésiaste », n’est pas la garantie de réussir son parcours de président. Le vieux Qohelet (littéralement en hébreu : « Celui qui s’adresse à la foule ») enseigne que « tout n’est que « ébel » - « nuage de buée » - » mais ne nous dit rien de ce qui fait aujourd’hui l’épine dorsale des débuts de règne  : l’emploi des symboles et des signes. Le grand Marc Bloch dans « Les Rois Thaumaturges » (1924) a démontré depuis longtemps le caractère surnaturel de la puissance royal en racontant merveilleusement comment le nouveau roi, à peine oint de la « Sainte Ampoule » s’en allait « guérir les écrouelles », symbole de sa bienveillance et de sa puissance rédemptrice toute récente. C’est dire que l’usage des symboles, au début d’un règne, n’est pas récent.

Dans son remarquable « Journal d’une France blessée » (Grasset), Anne Sinclair chroniquant entre juillet 2015 et janvier 2017 l’improbable et incroyable campagne présidentielle que la France a vécue, évoque sa première rencontre avec Emmanuel Macron qui est encore ministre de l’Economie et qui la reçoit dans son bureau de Bercy. Ils ne se connaissent pas. L’excellente spécialiste de la vie politique française qui a connu tout le personnel politique du pays depuis près de 35 ans, découvre le jeune ministre. Le lecteur sera intéressé par le portrait subtil qu’elle en fait. Retenons un élément néanmoins, parce qu’il s’inscrit dans notre réflexion, mais aussi parce qu’elle-même le met en avant. Emmanuel Macron lui parle de « Mythologies » de Roland Barthes. L’évocation n’est pas commune de la part d’un prétendant à la magistrature suprême. Plusieurs candidats, aux primaires ou à la « finale », auraient été certainement en mesure d’évoquer ce remarquable ouvrage de Barthes écrit en 1957. D’autres auraient sans doute confondu avec Fabien Barthez, le goal de l’équipe de France championne du monde le 12 juillet 1998 et, les plus jeunes, avec le Yann Barthès du « Quotidien » désormais… Par charité on évitera de proposer les noms de ces ignares. Mais quand on confond une entreprise qui fait des turbines avec une autre qui commercialise des téléphones portables, on voit bien que tout peut arriver.

Si Emmanuel Macron évoque devant Anne Sinclair le fondateur de la sémiologie en France, le grand spécialiste de la « science des signes », un an avant son propre triomphe électoral, c’est qu’il a une claire conscience du poids des symboles et de l’économie du signe. Etymologiquement le symbole est construit sur une démarche, celle de « joindre » – bolein en grec – « ensemble » - syn ou sun – deux morceaux d’une même pièce de bois cassée de sorte que chaque possesseur d’un morceau reconnaisse l’autre. C’est, pour faire simple, la scène de polar bien connue : le commanditaire du crime déchire la liasse de billets en deux. L’exécuteur ne pourra toucher son « dû » que lorsque la mission aura été opérée et il lui faudra alors recoller chaque billet déchiré. Ainsi, dans la Grèce antique, les porteurs de « sunbolo » pouvaient-ils reconnaitre l’autre, celui qui portait l’autre moitié du symbole. Tout symbole fait sens. Tout symbole est signe.  Parce que tout symbole est, originellement, une « pièce d’identité ». Et d’ailleurs toute « pièce d’identité » pour être valable doit être « signée ».

Emmanuel Macron, passionné de signes, a inscrit au premier rang de son projet politique, de sa manière de faire, la « présidence par le symbole ». Il faut être rigoureux sur l’emploi des termes. Si Pierre Lascoumes et Patrick Le Gales ont publié en 2005 aux Presses de Sciences Po un remarquable « Gouverner par les instruments », pour ce qui concerne Emmanuel Macron ce qui se dessine n’est pas un « gouvernement par les symboles » mais bien une « présidence par les symboles ». Et la différence relève déjà du registre symbolique. Il est clair (et le tout premier dossier à l’agenda politique, la « réforme du code du travail » l’a confirmé dans son premier traitement « politique » en début de semaine) que le président entend présider et qu’il va renvoyer au premier ministre le soin de gouverner. Symbole ici d’une volonté de revenir à la lettre constitutionnelle et de marquer précisément le domaine d’action de chacun des deux acteurs de la diarchie républicaine. 

La présidence par les symboles fait f forcément appel à une pluralité de signaux forts ou faibles. Depuis son élection au soir du 7 mai, Emmanuel Macron n’a pas cessé de semer des petits cailloux sur son trajet avec, chaque fois, l’opportunité laissée aux uns et autres de décrypter les messages que ces symboles contenaient. Car il en va aussi des symboles et de leur compréhension comme du déchiffrage d’un code. Plusieurs niveaux de lectures sont possibles selon que l’on est, ou pas, plus ou moins sensible à tel ou tel symbole. Quand on demandait à Alfred Jarry, l’auteur d’ « Ubu roi » ce que signifiait pour lui le symbole du drapeau tricolore, il répondait : « Quelque chose qui pend »… Comme le pauvre Jarry est mort en 1907 (très jeune, à 34 ans) il n’eût pas le loisir de voir la tête des anciens combattants de 14-18 (ou de certains lecteurs d’Atlantico….) découvrant cette définition après sa mort… Pour autant, et pour une grande majorité de personnes, le drapeau est un condensé d’émotions, de signaux forts, qui renvoient à une histoire personnelle et collective ou à des choix fondateurs. Et d’ailleurs Emmanuel Macron a, très volontairement, accolé le drapeau aux douze étoiles d’or sur fond bleu de l’Europe aux trois couleurs nationales. Seul des onze candidats à faire cela, aussi nettement, presque de manière provocatrice, il a, symboliquement, montré qu’il était avant tout Européen. D’ailleurs l’intitulé-même du ministère en charge de la politique extérieure de la France, confié à Jean-Luc Le Drian, le confirme : « Europe et Affaires étrangères ». L’Europe est au premier rang. Tout comme elle le fut avec « L’Hymne à la Joie », l’hymne européen, en « BOF » des premières images du « film Macron » dans la Cour Carrée du Louvre, le 7 mai au soir.

Symbole encore que le véhicule militaire utilisé pour rejoindre l’Arc de Triomphe, le jour de l’investiture. Véhicule généralement réservé au passage des troupes en revue lors du traditionnel 14 juillet. Symbole que l’utilisation d’un véhicule Citroën encore non commercialisé et adapté spécifiquement à la fonction présidentielle (car un président de la République n’est pas « normal », il ne roule pas dans une voiture « normale »…). Symbole évidemment que la visite « privée » à l’hôpital Percy de Clamart, là où sont soignés, les « Invalides » de notre temps, les grands blessés de guerre français, touchés en OPEX. Symbole toujours, l’appellation du ministère des Armées qui reprend la terminologie volontairement abandonnée par Giscard, qui s’y entendait lui aussi en matière de symboles. Avec une fâcheuse tendance à faire n’importe quoi en la matière voire à se tirer une balle dans le pied : remonter à pied les Champs Elysées le jour de son investiture, ralentir la « Marseillaise », changer radicalement la photo officielle du chef de l’Etat, aller diner chez les Français, serrer la main aux détenus de la prison de Lyon, et proposer de supprimer les cérémonies du 8 mai au motif que la France et l’Allemagne étaient réconciliées… Un coup sur deux ces gestes symboliques ont contribué à ridiculiser leur auteur… Jusqu’à une allocution de vœux de fin d’année en compagnie de la « première Dame » totalement surréaliste au point de donner lieu à un détournement d’images d’une cruauté rare…

Pour ce qui concerne Emmanuel Macron, transgressif orthodoxe, on peut considérer qu’il n’a commis aucune faute majeur dans l’usage des symboles à des fins présidentielles. Lui qui n’oublia pas, en guise de clin d’œil à la « génération Y » de mettre un point d’exclamation à la fin de son mouvement « En Marche ! » tout comme « Yahoo ! » en mis un à la fin de son nom… il n’a pas manqué de cocher toutes les cases des marqueurs symboliques inhérents à sa prise de fonction. Est-ce que l’on peut se contenter de présider par les symboles ? Bien évidemment que non. Forcément fragiles, parfois piégeux, difficiles à gérer dans la durée, soumis aux modes mais surtout à la capacité de réception des destinataires, les symboles peuvent vite se transformer en boomerangs. Et rarement pour servir de jouets de plage. Emmanuel Macron, dont les qualités intuitives ne sont plus à prouver, n’ignore absolument pas que le moindre de ses faux pas sera aussi perçu comme un symbole. Symbole de son inexpérience, symbole de sa fragilité, symbole (plus grave) de sa vacuité. Les jugements qui se forgeront à partir de ces signes négatifs seront, évidemment, totalement injustes et exagérés. Mais ils répondront, à leur manière, aux faisceaux de signes et symboles positifs que le jeune président a commencé à émettre, bien avant son élection. C’est en ce sens qu’il ne peut être question de présider uniquement par les symboles. Il faut du solide, du tangible, du concret (même si cela aussi peut constituer un corps de symboles) pour asseoir une légitimité présidentielle consécutive à une légitimité électorale. Car à rester trop dans le signe on s’expose aux contre-signes . Ceux que développent les adversaires et les opposants. Et il est bien difficile, pour ne pas dire « impossible » de lutter contre une salve permanente de signaux hostiles… N’est-ce pas François Hollande ?

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