Présidentielle 2022 : Marine Le Pen face à un trou de souris ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen prend la parole lors d'une réunion dans le cadre de sa campagne en vue de l'élection présidentielle, à Bouchain, le 11 mars 2022.
Marine Le Pen prend la parole lors d'une réunion dans le cadre de sa campagne en vue de l'élection présidentielle, à Bouchain, le 11 mars 2022.
©François LO PRESTI / AFP

Second tour

Selon un sondage Elabe pour BFMTV, Marine Le Pen progresse à nouveau et renforce son avance sur les autres prétendants au second tour (20%, +2). Emmanuel Macron recule mais reste nettement en tête des intentions de vote exprimées (27.5%, -3.5). Cette dynamique favorable à Marine Le Pen pourrait-elle lui permettre d’entrevoir la possibilité d’arriver à l’Elysée ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Dans un récent sondage Elabe pour BFMTV, Emmanuel Macron baisse de plusieurs points, pendant ce temps Marine Le Pen progresse et se rapproche de son rival au second tour. Ce sondage s'inscrit-il dans une dynamique favorable à Marine Le Pen qui pourrait lui permettre d’entrevoir la possibilité d’arriver à l’Elysée ?

Christophe Bouillaud : Il s’agit plutôt à ce stade d’un double retour à la normale. Très conjoncturellement, Emmanuel Macron semble perdre la progression que lui avaient octroyée les débuts de l’invasion russe de l’Ukraine à compter du 24 février. L’effet de ralliement autour du drapeau, qui profite au pouvoir en place en cas de crise majeure liée à la sécurité nationale, semble déjà s’estomper légèrement. De son côté, Marine Le Pen profite de la perte de crédibilité de Zemmour à sa droite, et aussi sans doute d’un début de mobilisation des classes populaires. Elle redevient de fait la championne du camp nationaliste. De fait, on revient du coup à la configuration classique qu’on avait observée lors des dernières élections en date, les européennes de 2019, avec deux grands blocs, le camp présidentiel (LREM, MODEM et autre alliés) d’une part et le Rassemblement national d’autre part.

En tout cas, avec cette évolution, Marine Le Pen semble devoir figurer au deuxième tour. Cependant, les mêmes sondages indiquent à ce jour un écart significatif entre E. Macron et elle. On reste à 44% d’intentions de vote pour elle et 56% pour lui. Cela fait tout de même une belle différence. Il faudrait vraiment que sa dynamique se confirme dans les prochains jours pour qu’elle puisse espérer l’emporter.

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Le scénario est-il plus crédible qu’il n’a pu l’être jusqu’à présent ? A quel point ses chances demeurent-elles minces ?

A ma connaissance, tous les autres sondages donnent toujours des résultats semblables. La compilation établie par le site Poliverse de mes collègues de l’IEP de Bordeaux et de Grenoble va dans ce sens : Emmanuel Macron l’emporte toujours nettement sur Marine Le Pen. Le scénario semble écrit d’avance. Par contre, il faut remarquer que, dans ce même sondage, 54% des personnes déclarant vouloir voter Le Pen croient à ce stade à la victoire finale de leur candidate. C’est d’ailleurs le seul morceau de l’électorat des oppositions qui croit majoritairement à une telle issue – les électeurs macronistes sont 99% (sic) à croire à la victoire de leur champion. Cet élément de motivation, contrairement par exemple aux électeurs déclarés  de Zemmour qui ne sont que 44% à croire à la victoire de leur champion, 46% du côté Mélenchon, 31% du côté Pécresse, et 7% (sic) du côté Jadot, peut jouer un rôle important. En effet, cela peut inciter les électeurs de Marine Le Pen d’une part à aller effectivement voter, et surtout d’autre part, à essayer de mobiliser leurs proches pour aller voter.  Comme il s’agit d’un électorat globalement plus populaire que les autres, cet élément de mobilisation sera crucial pour son résultat final. Il est à noter qu’aux régionales de 2021 ce fut au contraire l’abstention de cet électorat qui fut la mauvaise surprise pour le RN.

Lorsque l’on regarde les avis des sondés (dans le dernier sondage Elabe notamment) sur le programme d’Emmanuel Macron, ainsi que sur la compétence de ce dernier par rapport à Marine Le Pen, et sur qui des deux ferait le mieux sur ces sujets, les avis sont divisés et dépendent des sujets. Quels sont les points forts de Marine le Pen dans l’esprit des Français ? Est-ce un élément sur lequel Marine Le Pen peut capitaliser ?

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Bien évidemment, Marine Le Pen et son parti font partie du paysage politique national depuis des années. Leurs points forts sont bien identifiés : l’immigration et la sécurité. C’est bien sûr le point sur lequel elle capitalise et rassemble. Le reste est dans le fond accessoire.

Pour Emmanuel Macron, il est par ailleurs fascinant de voir que, selon ce sondage, son programme a plutôt été mal accueilli, mais que, pris mesure par mesure, il est plutôt approuvé par l’électorat, sauf sur le recul de l’âge de la retraite à 65 ans. Ce dernier n’est approuvé majoritairement que… par les retraités et les plus de 65 ans, visiblement prêts dans leur immense altruisme et bienveillance à faire travailler plus longtemps les autres. Autrement dit, ce n’est pas vraiment le programme qui est ici jugé, mais l’ensemble de l’œuvre précédente d’Emmanuel Macron. Rappelons que ce dernier reste un Président impopulaire.

Quelles doivent être les conditions réunies pour qu’un scénario où Marine Le Pen l’emporte puisse éventuellement advenir ?

Premièrement, il y aurait le scénario peu probable tout de même de la surprise ordinaire, où la volonté d’éliminer Macron du paysage politique l’emporte sur la crainte de ce qu’incarne Marine Le Pen. Ce scénario correspond à celui où les classes populaires de droite et d’extrême droite se mobilisent largement au second tour pour sortir le sortant, et où, en même temps, une large majorité  des électeurs de gauche refusent de jouer encore une fois les « castors » qui font barrage à l’extrême-droite comme en 2002 ou en 2017. Il faut dire que, par exemple, le monde enseignant peut n’avoir aucune envie de voter Macron en 2022, vu les années de gestion Blanquer et vu le programme du candidat en matière éducative, tout comme d’ailleurs les écologistes conséquents. Cette configuration de surprise ordinaire serait la revanche inattendue des classes populaires contre un candidat trop éloigné de leur sensibilité. Marine Le Pen, « l’éleveuse de chats », l’emporterait sur le « banquier » Macron.

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Deuxièmement, il y aurait le scénario déjà bien moins probable de la surprise extraordinaire, ce que j’appellerais le vote « munichois ».  En effet, vu le développement de la crise en Ukraine, nous ne savons pas où nous en serons le 10 avril prochain. De fait, si nous sommes au bord de la guerre avec la Russie, et si, du coup, la question de l’éventualité d’une guerre nucléaire est sérieusement posée à ce moment-là, il se pourrait qu’une Marine Le Pen puisse jouer de cet élément : « Votez pour moi le 24 avril si vous voulez vivre et  éviter la destruction du pays pour une cause ne nous concernant pas. ». La proximité de Marine Le Pen avec Vladimir Poutine pourrait alors lui profiter comme garantie d’un abandon par la France du camp occidental. Cela serait un vote de la peur, aux coordonnées inédites, nous préférions collectivement être soumis à Poutine plutôt que morts. Cette seconde hypothèse pour extraordinaire qu’elle puisse paraitre pour l’instant pourrait d’ailleurs être instrumentalisée par V. Poutine lui-même qui menacerait explicitement la France si nous votions mal. En dehors de cette situation d’escalade, que j’évoque pour l’exorciser, il est par contre probable que la proximité de Marine Le Pen la handicape lors du second tour, et oblige une bonne part de ceux qui n’apprécient guère Macron à aller quand même voter le 24 avril au nom de la défense de l’Europe et de ses valeurs.

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