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Du sens de l’État au sens de l’éclat
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Provocation

Comme l’atteste la dernière polémique autour de Claude Guéant, la campagne présidentielle de 2012 devrait être marquée par des coups d’éclat à répétition. Pour exister politiquement dans le paysage médiatique actuel, un seul maître-mot : pro-vo-quer.

Christophe Prochasson

Christophe Prochasson

Christophe Prochasson est historien et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Derniers ouvrages parus : L’empire des émotions. Les historiens dans la mêlée (Demopolis, 2008), 14-18. Retours d’ expérience  (Tallandier, 2008) et La gauche est-elle morale ? (Flammarion, 2010).

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A qui observe notre démocratie dans la durée, cette dernière apparaît aujourd’hui tout à la fois comme plus policée, et davantage brutalisée par des prurits discursifs dont certains membres de la classe politique se sont fait comme une spécialité. Que peut devenir la démocratie lorsque l’ordre du discours est soumis à ce point aux contraintes du jeu communicationnel et aux rapports de force que celui-ci produit ?

Il n’est que de s’arrêter aux dernières saillies du ministre de l’intérieur Claude Guéant, l’une visant l’Islam, l’autre l’immigration, pour s’inquiéter de la confusion grandissante entre provocation calculée et liberté d’expression. Un certain anticonformisme bien-pensant, fier de son « politiquement incorrect », prend aujourd’hui le risque de cousiner avec les idéologies les plus abjectes.

La provocation en politique n’est plus l’apanage des extrêmes

Longtemps, ce fut aux extrêmes que se laissaient entendre coups de gueules et provocations, inhérents aux postures maximalistes des forces politiques remplissant la fonction tribunicienne réservée aux représentants des prétendus sans voix. Quand on parle au nom du peuple (à l’extrême droite) ou de la classe ouvrière (à l’extrême gauche), il convient de ne pas prendre de gants. La vérité n’est pas toujours aimable, elle est souvent épineuse. Ici, on ne s’embarrasse pas de nuances.

Citons, par exemple : le tonitruant « anti-patrie » Gustave Hervé, avant 1914, les diatribes émanant des rangs fascistes ou nazis dans l’entre-deux-guerres, les agressions verbales des poujadistes des années 1950, voire celles du secrétaire général du Parti communiste français, Georges Marchais, dans les années 1970. Tous composent un répertoire presque convenu de l’action politique.

Il en va sensiblement différemment depuis une trentaine d’années. Certes, Jean-Marie Le Pen naguère, Marine aujourd’hui, cultivent l’un et l’autre ce style historique propre aux extrêmes en démocratie. Encore le font-ils avec un souci au moins aussi tactique qu’idéologique. Il s’agit de se faire entendre, quand le silence et l’oubli menacent : taper du poing sur la table pour réveiller les énergies assoupies.

Mais cette façon de faire de la politique n’est plus le monopole de ces sensibilités. Ces mauvaises manières ont fait florès chez de plus modérés. Voyez Nicolas Sarkozy, un des maîtres du genre, voyez son alter ego, Ségolène Royal, voyez aussi le regretté Georges Frêche qui en avait fait son fonds de commerce avec un succès peu contestable et dont le film d’Yves Jeuland Le Président donne un aperçu vertigineux. Il serait facile de multiplier les exemples ad nauseam.

L’abondance de l’offre médiatique en question ?

Comment rendre compte de pareilles dérives qui ôtent à la démocratie l’une de ses principales propriétés : le respect d’autrui ? L’abondance de l’offre médiatique en est sans doute l’une des causes. Par quel moyen se faire entendre dans le bruit assourdissant émanant de télévisions, radios, journaux et sites web d’information où tout se confond et se chevauche ? Crier plus fort que tous les autres ? Oui, mais avec d’autres mots, ceux qui tranchent, qui blessent et qui cognent.

L’uniformisation médiatique qu’il faut bien briser pour se faire entendre est en phase avec l’indistinction idéologique qui rend la vie politique si grise depuis trois décennies. Mettre de la couleur est devenue l’urgence qui hante tous les prétendants aux trônes, petits et grands. Faire un coup d’éclat tient désormais lieu de coup d’État. Ce qu’on ne pourra tout à fait regretter, il est vrai, quitte à ce que notre vie politique y perde un peu de sérieux et même de dignité. En contrepartie aussi, le sens de l’éclat semble l’emporter sur celui de l’État.

Reste à examiner la responsabilité de la classe politique elle-même, ses valeurs morales comme ses compétences, dans ce processus visant à institutionnaliser la provocation. Non qu’il faille la considérer, comme il fait bon parfois de le faire, comme un groupe composé de personnalités médiocres. Mais l’on est néanmoins en droit de s’inquiéter face à un cynisme politique croissant qui conduit à tout brûler sur l’autel de l’efficacité. La provocation devient ainsi comme une pratique naturelle et nécessaire de la politique. Paris vaut bien une messe, fût-elle noire.

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