Pré-COP21 à Paris : Russie, Chine, Etats-Unis… pourquoi ils pourraient torpiller l’espoir d’un accord ambitieux<!-- --> | Atlantico.fr
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Une soixantaine de pays se sont réunis à Paris pour une "répétition générale" de la COP21.
Une soixantaine de pays se sont réunis à Paris pour une "répétition générale" de la COP21.
©Reuters

Conflits d'intérêts

Durant trois jours et depuis dimanche 8 novembre, une soixantaine de pays se sont réunis à Paris pour une "répétition générale" de la COP21 qui se tiendra dans trois semaines. Récemment, l'OCDE prévenait que l'objectif de maintenir le réchauffement climatique au-dessous de 2°C était hors de portée.

Jean-Paul Maréchal

Jean-Paul Maréchal

Jean-Paul Maréchal est Maître de conférences en Science économique à lUniversité Paris Sud. Il est l'auteur de l'ouvrage Chine/USA. Le climat en jeu, Paris, Choiseul, 2011, 116 p.

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Christian Gollier

Christian Gollier

Christian Gollier est économiste à la Toulouse School of Economics et co-auteur des 4e et 5e rapports du GIEC.

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Atlantico : Qui sont aujourd'hui les grands acteurs réticents à trouver un accord, à l'issue de la COP21 qui aura lieu dans quelques semaines ? 

Jean-Paul Maréchal : En fait, pour bien saisir ce qui se passe, il faut cesser de considérer que les négociations climatiques sont déconnectées des enjeux de pouvoir qui opposent et relient les pays entre eux.

Officiellement, tout le monde est inquiet de l’évolution du climat. Et il n’y a d’ailleurs aucune raison de douter de la sincérité de cette préoccupation qui semble toucher aussi bien Xi Jinping que Barack Obama, François Hollande que David Cameron... On a d’ailleurs pu constater que le dernier rapport du Giec n’avait suscité aucun commentaire critique de la part des "climato-sceptiques".

Pour autant, les vraies difficultés apparaissent dès qu’il s’agit de prendre des engagements précis et contraignants. C’est en effet là que les choses commencent généralement à se gâter comme on a pu le constater avec les Etats-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde… Lorsque l’Union européenne a voulu (en 2012) inclure le transport aérien dans le mécanisme des permis d’émissions du Protocole de Kyoto.

C’est sans doute pour cette raison que l’on s’est bien gardé de prévoir l’adoption d’un texte comportant des engagements contraignants en conclusion de la COP 21.

En fait, rien de décisif ne se fera en faveur du climat sans un engagement résolu de Pékin et de Washington. Pour le moment, sur un total mondial d’émissions de CO2 de 35 milliards de tonnes, la Chine émet 10 milliards et les Etats-Unis 5 milliards. Or, si l’on en croit les spécialistes, pour que la température du globe n’augmente pas de plus de 2 degrés au-dessus de son niveau de l’ère préindustrielle, il ne faudrait pas rejeter en moyenne plus de 14,5 milliards de tonnes de CO2 par an ! On voit l’ampleur du défi.

Pour le moment, Pékin s’est engagé à "stabiliser" ses émissions de CO2 "autour" de 2030 et Washington à les réduire d’ici 2025 de 25 à 28% par rapport à leur niveau de 2005 et de faire tous les efforts possibles pour parvenir à 28%.

Lors du voyage du Président Hollande à Pékin, le pouvoir chinois a souscrit à la proposition française de réviser à la hausse les engagements des Etats tous les cinq ans. Soyons francs : il aurait fallu faire preuve d’un singulier manque de… diplomatie pour refuser de revoir dans cinq ans des engagements qui, s’agissant de la Chine, ne portent sur aucun plafond d’émissions ! Et cela pour une simple raison de "soft power" : aucun pays ne voudra porter la responsabilité d’un éventuel "échec" de la Conférence de Paris.

Christian Gollier : La réticence est générale, et elle s’explique simplement par le fait que le coût des efforts de réduction des émissions de CO2 risque d’être élevé, et très peu "rentable" pour les pays qui accepteront de s’impliquer. Nos efforts bénéficient essentiellement aux autres. Nous avons collectivement intérêt à réduire massivement nos émissions, mais chacun a intérêt à ce que ce soient les autres qui fassent l’effort. Rappelons-nous du protocole de Kyoto en 1997, dans lequel les pays riches s’engageaient à faire beaucoup dans ce domaine, … pour finalement ne rien faire. Seule l’Europe a réussi à mettre en place un mécanisme de réduction crédible, mais la crise économique a beaucoup réduit l’ambition initiale.

Beaucoup d’entreprises, en particulier dans le secteur électrique, sont prêtes à s’engager, mais seulement si cela ne conduit pas à des distorsions de la concurrence. Elles ont raisons. D’abord parce qu’in fine, comme on le voit en Allemagne, ce seront nécessairement les consommateurs qui paieront la note. Après tout, c’est leur consommation qui génère la pollution, et c’est elle qu’on cherche à contrôler. Mais plus fondamentalement, à quoi sert-il pour un pays d’être vertueux si le seul résultat est un transfert de la production fortement émettrice de CO2 (et des emplois) vers les pays qui n’ont pas d’ambition climatique, avec un résultat finalement nul pour l’environnement ? Pour éviter ce que les experts appellent ces "fuites de carbone", il faudra absolument obtenir un accord international qui évite cet effet d’aubaine pour les pays qui ne joueront pas le jeu.

Les pays propriétaires de ressources fossiles importantes, comme la Russie dont 68% des exportations en 2013 étaient en pétrole et gaz, ont évidemment beaucoup à perdre dans un accord international sur le climat. Je vous rappelle qu’en l’absence d’une technologie sûre et pas trop chère de séquestration du carbone, la seule solution possible est de décider de ne jamais exploiter ces réserves de gaz, pétrole et de charbon, qui sont encore très importantes.

Finalement, pensons à la plupart des pays en développement pour lesquels les questions de développement, d’amélioration de la santé et de l’éducation sont à court et moyen termes beaucoup plus importants que la question climatique. Pouvoir penser à long terme est un luxe incommensurable quand on ne sait pas ce qu’on va manger ce soir.

A contrario, quels sont ceux qui semblent les plus conscients de ce problème ?

Jean-Paul Maréchal : Ce sont les pays qui seront le plus touchés par la hausse du niveau de la mer. Par exemple les petits Etats insulaires.

C’est également l’Europe qui, depuis l’adoption de la Convention cadre des nations unies sur le changement climatique (1992) et le Protocole Kyoto (1997) voit dans la question climatique un thème sur lequel elle peut se positionner en leader, passer des alliances avec les pays du Sud, se distinguer des États-Unis… Cette stratégie a été couronnée de succès puisque la Russie a ratifié le Protocole de Kyoto permettant ainsi à celui-ci d’entrer en vigueur en 2005. Les pays ayant ratifié le Protocole de Kyoto ont d’ailleurs rempli leurs obligations : ils ont réduit leurs émissions de CO2 de plus de 13% par rapport à leurs niveaux d’émission de 1990.

Malheureusement, le Protocole de Kyoto (dans sa phase actuelle dite "Kyoto 2") ne concerne plus aujourd’hui que 15% des émissions mondiales (les émissions mondiales ont augmenté tandis que certains pays n’ont pas voulu participer à cette deuxième phase).

Toute la difficulté pour Laurent Fabius est de faire en sorte que le "régime climatique international" évolue d’un texte (le Protocole de Kyoto) qui pesait sur les pays ayant créé le problème du changement climatique (les pays industrialisés regroupés dans l’Annexe B du Protocole de Kyoto) à un texte qui ferait également peser le poids de la lutte sur les pays qui l’aggravent depuis quelques années et qui vont l’aggraver au cours des prochaines décennies (les grands émergents…).

Christian Gollier :Obama veut terminer son deuxième mandat auréolé d’un succès climatique, mais il n’est pas sûr qu’il va pouvoir tordre le cou à un Congrès violemment opposé à toute action sur le climat, notamment parce que leur concurrent industriel principal, la Chine, ne fait rien.

De leur côté, parce que les opinions publiques y sont particulièrement convaincues et impliquées, l’Europe est en pointe sur ce dossier, mais c’est un non-événement tant ceci est vrai depuis plus d’une décennie. 

A trois semaines de la COP21, ces positions ont-elles des chances de changer ? Comment ?

Jean-Paul Maréchal : Je ne vois pas ce qui pourrait faire bouger de façon significative les intérêts des uns et des autres. Je ne suis pas très optimiste sur la possibilité de parvenir à un accord contraignant comportant des engagements de réduction d’émissions de CO2 en volume, avec un échéancier précis assorti de procédures de contrôle.

Reste que, comme le disait Gramsci, il faut faire preuve de "pessimisme de l’intelligence et d’optimisme de la volonté".

Christian Gollier : La vraie incertitude porte sur la Chine qui, sur le papier, semble vouloir s’impliquer, ce qui est vraiment nouveau. Si cela se confirmait à Paris, les républicains américains perdraient un argument de poids dans leur opposition à Obama sur ce dossier, ce qui pourrait faire basculer le monde dans une dynamique positive.

Mais il est probable qu’aucun engagement crédible, efficace et vérifiable ne soit pris à Paris. Dans ce cas, la suspicion reviendra vite sur la réalité des promesses. Paris subira alors le même sort que Kyoto. Les générations futures porteront alors un jugement sévère sur notre irresponsabilité collective. Les économistes n’ont hélas pas de baguette magique à proposer, juste des larmes et du sang.

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