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Les acteurs du web ont toujours fondé leur modèle sur la monétisation des données personnelles de leurs utilisateurs.
Les acteurs du web ont toujours fondé leur modèle sur la monétisation des données personnelles de leurs utilisateurs.
©Reuters

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Bruxelles discute actuellement un nouveau projet de règlement sur les données personnelles. Ce dernier prévoit notamment la possibilité d'obtenir une copie de ses données personnelles.

Bertrand Duperrin

Bertrand Duperrin

Bertrand Duperrin est directeur au sein du cabinet Nextmodernity et blogeur. Il est un des spécialistes français de l’évolution conjointe des modes de travail et des technologies.

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Atlantico : Le mois dernier, un étudiant new-yorkais mettait son "empreinte web" aux enchères sur un site de financement collaboratif, Kickstarter. Il revendique cet acte comme politique, afin d'alerter les utilisateurs sur la commercialisation de nos données personnelles. Cette initiative est-elle une simple performance conceptuelle ou une réelle action militante ? 

Bertrand Duperrin : On est à un point d’inflexion. Les acteurs du web ont toujours fondé tout ou partie de leur modèle sur la monétisation des données personnelles de leurs utilisateurs. Mais aujourd’hui on est face à plusieurs phénomènes. Tout d’abord une masse critique d’utilisateurs qui a vraiment pris conscience des enjeux, ce qui n’était pas nécessairement le cas il y trois ou quatre ans. Ensuite les utilisateurs "avertis", ceux qui avaient accepté ce mode de fonctionnement à l’origine car propice au développement du web et à la gratuité des services, commencent à trouver que le "deal" n’est plus équilibré, que la confiance est rompue. Enfin – et même si c’est une tendance encore mineure – il a y a ceux qui se rendent comptent qu’ils alimentent et font tourner un écosystème de valeur dont ils sont finalement les seuls à ne pas tirer profit. 

Assez de raisons pour que certains tirent la sonnette d’alarme car le grand public ne saisit pas nécessairement l’ampleur de qui se passe. Alors performance conceptuelle ou action militante ? Les deux. Performance conceptuelle car cela permet de réaliser qu’on peut en quelque sorte vendre son "moi" digital. Action militante car une telle action vise justement à proposer une prise de conscience et ouvrir le débat.

Cette pratique pourrait-elle se généraliser ou va-t-elle rester marginale ?

On peut s’attendre à ce que le modèle soit de plus en plus mis en question dans les mois et années à venir sans pour autant que cela présume de son évolution. On touche à la fois à un modèle économique qui permet à de nombreuses entreprises de réaliser des résultats impressionnants et du commerce de ce qu’on peut assimiler à des éléments constitutifs de la personne. Assez de raisons donc pour réveiller un certain militantisme économique et social ainsi que les défenseurs des droits et libertés individuelles. Pour le reste il y a tout de même une tendance de fonds : dans une économie de la participation qui crée finalement peu ou pas de valeur tangible pour ses participants et contribue à détruire des emplois, les individus vont essayer de monétiser cette participation indépendamment d’un travail. Et la monétisation des données relève totalement de cette tendance.

Mais la vente de l’empreinte web lève à mon  avis une question autrement plus importante que celle de l’"économie des données personnelles". C’est celle de la nature juridique même de l’empreinte numérique de l’individu. Est-elle un bien comme un autre ou, au contraire, une partie du patrimoine de l’individu hors du commerce juridique ? Il y a clairement un débat de société à avoir sur le sujet car on ne peut pas considérer d’une part que le recueil et le traitement des données doivent être réglementés car portant atteinte aux libertés individuelles et de l’autre laisser l’individu faire commerce des droits en question. Et le plus difficile sera de trouver une solution globale, chaque pays ayant sa propre position sur le sujet.

De plus en plus de start-up telles que "Yes Profile" se développent et proposent de rémunérer les individus contre leurs données personnelles afin de les exploiter. Est-ce un modèle économiquement viable ? La valorisation des données personnelles n'est-elle pas une énième bulle spéculative ?

On est dans des choses sur lesquelles on a peu de recul. Si business model viable il y a, il faudra tâtonner pour le trouver. Pour l’acheteur il faudra une masse critique de données qui permettra d’en tirer quelque chose ou alors une exclusivité. Comment garantir l’exclusivité de ses données à un seul "opérateur" ? Techniquement parlant ça n’est pas évident du tout. Pour le vendeur est-ce un bon compromis ? Il faut comprendre que les données personnelles sont une forme de monnaie virtuelle qui permet de bénéficier d’un certain niveau de gratuité sur le web. Ce qu’on peut tirer de la vente d’une empreinte numérique compensera-t-il la perte de gratuité qui sera la conséquence de l’exclusivité donnée à un seul opérateur ?

Enfin reste la question de la perte de valeur de l’empreinte numérique. La valeur de la donnée dépend du fait qu’elle reflète la réalité. Va-t-on essayer de produire davantage de données ou en changer le sens en fonction de qui les a achetées ? A cela s’ajoute un autre sujet. Qu’est-ce que l’empreinte numérique ? Les données, soit. Doit on y inclure la réputation ? On a vu des blogueurs n’écrivant plus que des billets sponsorisés et, ce faisant, perdre peu à peu la crédibilité qui avait fait qu’ils avaient monétisé leur marque personnelle. On a assez de recul sur ce type de pratiques pour pouvoir extrapoler et se demander si l’empreinte vendue ne perd pas subitement l’essentiel de la valeur pour toutes les parties.

Le modèle n’est pas du tout évident à trouver. Et si la vente de l’empreinte n’est pas la solution, la question d’un partage du revenu des données entre ceux qui les monétisent et ceux qui les produisent, dont elles sont une partie de l’ADN restera, elle sur la table.

Quelles seraient les conséquences pour les géants du web ? Ces initiatives, si elles se généralisaient, seraient-elles assez dissuasives pour les contraindre à revoir leur modèle ?

Bien sûr. Pour comprendre ce que signifie l’utilisation et la monétisation des données des utilisateurs, imaginez que, pendant une semaine, les internautes arrêtent de twitter, "liker", bloguer et surfent tous en "navigation privée" etc. Quel impact sur le business model des acteurs majeurs du web, leur cours en bourse etc ? Il faudrait chiffrer l’impact d’une utilisation du "like".

Cette hypothèse est totalement irréaliste bien sûr. Mais si le web devient une société avec ses valeurs et ses règles, que le débat prend de l’ampleur, on sait aussi qu’il est capable de générer des mobilisations massives. Le risque est faible mais il existe. 

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