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Pouvoir d’achat : la part des Français pris à la gorge et celle de ceux que l’inflation ne fait qu’incommoder
©©INA FASSBENDER / AFP

Pour y voir plus clair

Si l’inflation frappe tous les Français, elle ne les met pas tous en danger malgré certains discours aux accents misérabilistes qui suggèrent que le pays serait en voie de paupérisation accélérée. Voilà quelques éléments pour y voir clair au-delà des discours politiques

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Depuis plusieurs mois, certains discours suggèrent que le pays serait en voie de paupérisation accélérée. Qu’en est-il vraiment ? Comment expliquer de tels discours ? 

Philippe Crevel : Il convient de ne pas exagérer. Parler de « paupérisation accélérée » est un terme excessif. Plusieurs indicateurs témoignent que macroéconomiquement parlant, il n’y a pas de chute brutale du niveau de vie. Le taux d’épargne pour l’ensemble des Français demeure élevé. Il est supérieur au niveau qu’il avait atteint avant la crise sanitaire. Cela signifie que les Français peuvent encore mettre de l’argent de côté malgré l’inflation. En moyenne, ils placent 16 % de leurs revenus. Certains indicateurs de consommation comme les ventes de billets de trains ou d’avions pour les vacances ainsi que les réservations d’hôtels sont aussi à prendre en compte car ils demeurent à des niveaux élevés, même si la consommation baisse légèrement depuis plusieurs mois de manière plus globale. Macroéconomiquement parlant, il est donc exagéré de parler de paupérisation. 

En revanche, face à l’inflation, nous ne sommes pas tous égaux. Cela dépend des niveaux de revenus, de l’évolution des revenus et des dépenses auxquelles nous sommes confrontés. Quelqu’un qui utilise très souvent sa voiture va être plus pénalisé qu’une personne qui vit dans une grande agglomération et qui peut passer par les transports urbains collectifs. Quelqu’un qui va se chauffer au fioul va être aussi plus pénalisé qu’un Français qui va pouvoir se chauffer avec d’autres types d’énergie.

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C’est pour cela qu’il n’est pas possible d’avoir une analyse globale de l’inflation. Il faut avoir une analyse beaucoup plus fine au niveau de la population.

Quels sont les indicateurs qui permettent d’apprécier le taux de pauvreté en France ? Comment ce taux a-t-il évolué au cours des derniers mois ? 

Le taux de pauvreté, qui est l’indicateur le plus fréquemment utilisé, se focalise sur le nombre de personnes dont les revenus sont inférieurs à 60 % des revenus moyens français. Cet indicateur n’est pas calculé tous les mois. Il est établi tous les ans. Il est un peu difficile donc d’avoir une vision en temps réel de la pauvreté. 

Les autres indicateurs qui permettent d’avoir une vision de la pauvreté plus rapidement est par exemple le nombre d’allocataires des minima sociaux, dont le RSA. Le nombre de personnes percevant le RSA avait fortement augmenté pendant la crise sanitaire, avant de diminuer. Il serait en légère augmentation mais ce chiffre resterait en-deçà du niveau qui avait été atteint lors du premier confinement. 

Quelle est la part des Français qui ont des difficultés à boucler leur fin de mois ? Leur nombre a-t-il augmenté depuis le début de l’année 2022 ? 

Les Français qui ont des difficultés à boucler leur fin de mois se situent traditionnellement parmi les Français les plus modestes. Ce sont les Français dont les dépenses d’alimentation, d’énergie, de transport sont les plus élevées au sein de leur budget. Traditionnellement, ils épargnent peu. En cas d’augmentation des dépenses d’alimentation et d’énergie, ce sont les personnes les plus vulnérables. Dans ces 20 % de la population, figurent des bénéficiaires du RSA (à peu près 2 millions en France). On retrouve également les bénéficiaires du minimum vieillesse (600.000 en France). 

Sur les 67 millions de Français, entre 9 et 12 millions sont dans une situation de vulnérabilité face à la hausse des prix. Il faut néanmoins prendre en compte la situation de quelqu’un qui va vivre en milieu urbain, qui a un logement avec un loyer faible et qui sera dans une situation différente d’un individu qui va être en périphérie, qui va devoir prendre sa voiture et qui ne peut pas accéder au logement social.

La réalité est donc très inégale en fonction des situations individuelles.

Quelle est la part des Français qui n’ont pas d’épargne ? De ceux qui ne parviennent plus à épargner ? Peut-on voir une évolution flagrante ces derniers mois ou semaines ?

De 70 à 80 % des Français épargnent au cours d’une année. Entre 20 et 30 % ne le peuvent pas, essentiellement dans le premier vingtile de revenus. Ces personnes sont en désépargne. S’ils ont un peu d’argent de côté, ils sont obligés de puiser dedans pour faire face à leurs dépenses du quotidien. Cela a été souligné par des organismes comme l’OFCE. En revanche, la moyenne des Français épargne plus qu’avant la crise sanitaire (16,5 % actuellement contre 15 % avant). Mais pour les 20 % les plus modestes, il n’est pas possible d’épargner ou ils puisent dans sa poche d’épargne (lorsqu’il y en a). 

Pour mémoire, il faut savoir que les Français ont mis de côté plus de 165 milliards durant le cœur de l’épidémie. Il y a un gros stock d’épargne. Mais les 40 % les plus riches des Français ont constitué ce matelas d’épargne.

Quand on cumule tous ces indicateurs, combien de Français sont vraiment en difficulté et ne peuvent pas s’en sortir sans aide ? Quelle est la part de ceux qui sont « incommodés » par l’inflation et ceux qui sont vraiment étranglés ? 

Entre 9 et 10 millions de Français sont dans une situation difficile par rapport à l’évolution des prix et sont directement exposés au risque d’inflation. Cela concerne également les classes moyennes qui doivent fréquemment utiliser leur voiture et qui peuvent être amenées à avoir des difficultés.

Il est difficile d’avoir un panorama clair aujourd’hui de la situation. Il y a énormément de cas différents. 

Au-delà de ces 9 à 10 millions de personnes, si l’on passe aux sondages, le ressenti des Français sera différent de la réalité statistique. Si je posais la question aujourd’hui aux Français, « est-ce que vous êtes confrontés à des difficultés liées à l’augmentation des prix ?», nous aurions un niveau qui serait supérieur à 25 ou 30 %. J’arriverais facilement à plus de 50 % de Français qui se diraient incommodés. Mais cela relève du ressenti et non d’une réalité. 

Il faut prendre en compte ceux qui bénéficient d’une augmentation de salaire. Il y a eu des secteurs où il y a eu des augmentations de salaires. D’autres secteurs où il n’y en a pas. La perte de pouvoir d’achat sur le premier semestre 2022 est estimée, en moyenne, autour de 3 %. Pour certains, cela va être 5 à 6 % et pour d’autres 1 % ou il n’y aura pas de perte de pouvoir d’achat. 

C’est pour cela qu’il est difficile d’avoir un chiffre tranché.

Globalement, autour de 10 millions de personnes en France sont réellement confrontées au problème de l’inflation.   

Qui sont les Français pour qui l’inflation n’a pas de conséquences fortes sur leur mode de vie ?

Il s’agit des Français qui ont la possibilité (pour les travailleurs indépendants, les commerçants, les artisans) de répercuter la hausse des prix. Cela concerne aussi les individus dont les salaires sont relativement bien indexés. Cela augmente moins vite que l’inflation aujourd’hui.

Il y a aujourd’hui de plus en plus de secteurs sous tensions au niveau de l’emploi. Les chefs d’entreprise sont forcés d’augmenter les salaires pour avoir un certain nombre de salariés. Dans ces secteurs sous tensions, il est possible d’avoir des augmentations supérieures à l’inflation. 

L’inflation crée des inégalités entre ceux qui peuvent suivre l’inflation et ceux qui ne peuvent pas suivre l’inflation à travers leurs revenus. L’inflation est un facteur déstabilisant. 

Il y a aussi des « profiteurs » de l’inflation. Michel-Edouard Leclerc l’a souligné dernièrement en disant qu’il n’était pas sûr que toute l’inflation était liée au coût de l’énergie et des matières premières et que certains étaient opportunistes et répercutaient des hausses qui n’avaient pas lieu d’être. Tout le problème de l’inflation est là.  

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