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Pouvoir d’achat : et si la moins mauvaise (ET la moins injuste) des solutions était d’accepter des sacrifices ciblés ?
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Sacrifices nécessaires

Face à l’inflation et au regard des différentes contraintes macroéconomiques qui pèsent sur la France, l’illusion d’un État capable de nous protéger de tout risque d’aggraver le mal. Et de créer beaucoup de déçus

Gilbert Cette

Gilbert Cette

Gilbert Cette est professeur d’économie à NEOMA Business School, co-auteur notamment avec Jacques Barthélémy de Travail et changement technologique - De la civilisation de l’usine à celle du numérique (Editions Odile Jacob, 2021). Son dernier livre s'intitule Travailleur (mais) pauvre (Ed. DeBoeck, à paraître en février 2024).

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Atlantico : Dans une note pour Telos, vous écrivez que sur la question du pouvoir d’achat « des sacrifices sont à prévoir ». Qu’est ce qui dans la conjoncture explique la nécessité de ces sacrifices ?

Gilbert Cette : Les importations coûtent plus cher. En particulier les importations de produits énergétiques – notamment fossiles -, mais aussi de matières premières et de produits alimentaires. Les pays étrangers qui exportent ces produits nous les vendent donc plus cher. On ne sait pas jusqu’où cela peut aller mais qualitativement cela correspond à a un prélèvement de l’extérieur sur notre revenu global. C’est ce que les économistes appellent une détérioration des termes de l’échange.

 Comment financer cela ? Première possibilité, l’Etat paye et maintient le pouvoir d’achat mais alourdit ce faisant la dette laissée à nos enfants et petits-enfants. Ou bien, on matraque les entreprises, en leur demandant d’augmenter les salaires afin de maintenir le pouvoir d’achat salarial, ce qui va les mettre sur les genoux et nuire à la reprise le moment venu. Et je ne parle pas des inepties consistant à dire qu’il faudrait bloquer les prix. Si l’on bloque, comme le propose certains, les prix des produits de première nécessité, cela signifie que les autres peuvent accélérer. Et concernant les prix bloqués, prenons l’exemple des produits alimentaires. Si un agriculteur fait face à un blocage de ses prix alors que les prix de son engrais, de son énergie, et de ses autres matières premières flambent, il s’appauvrit. Et dans ce contexte, le blocage des prix mène soit à une économie de rationnement, soit à une augmentation de la dépense publique pour compenser cet agriculteur. Certains préconisent de reporter sur les salaires l’augmentation des prix, mais qui paie les salaires ? Les entreprises. Donc si l’on fait ça, on active fortement une boucle prix-salaires. Dernière éventualité, ce sont les ménages qui paient. Cela a toujours été le cas dans l’histoire. Économiquement, ça ne peut pas être autre chose.

Laisser les ménages payer le prix, est-ce donc la solution la moins mauvaise ?  

Si jamais ça ne se fait pas spontanément, cela signifie qu’on passera par une inflation plus forte, des résultats d’entreprises plus dégradés et donc par un chômage plus élevé. En 1983, un gouvernement de gauche, le gouvernement Mauroy avec Jacques Delors comme ministre de l’Économie et François Mitterrand président de la République, a justement interdit pour cette raison l’indexation des salaires sur les prix. Pourquoi ? Parce que sinon nous allions dans le mur. Evidemment, c’est plus facile à faire absorber quand les gains de productivité sont forts. Parce que cela signifie que le pouvoir d’achat augmentera un peu moins vite que les gains de productivité et donc que l’autre partie (gains de productivité moins gains de pouvoir d’achat) servira à payer ce prélèvement extérieur. Le problème c’est qu’aujourd’hui, les gains de productivité sont nuls. Donc cettevoie moins douloureuse est difficile à envisager. Les gains de productivité reviendront, mais pas tout de suite. Les pouvoirs publics ont déployé des mesures qui limitent l’inflation. Le bouclier tarifaire ou la ristourne sur les prix à la pompe abaissent l’inflation d’environ deux points de pourcentage. De ce point de vue, ce sont des mesures adaptées à la situation mais elles ne sont pas ciblées, contrairement aux chèques énergie et inflation...

Selon une étude de l’OFCE que vous citez, la résurgence de l’inflation a réduit le pouvoir d’achat moyen en 2021. Cependant, le premier décile de revenus a été épargné. Est-ce la solution la moins injuste socialement ?

Il y aura un sacrifice à accepter en termes de pouvoir d’achat. La solution la moins injuste est que ce sacrifice soit en pourcentage plus faible pour les bas revenus que pour les hauts revenus. C'est ce que fait le gouvernement et ce à quoi il réfléchit avec ses mesures ciblées. Le chèque alimentaire à l’étude serait a priori à destination des plus pauvres. Mais avec des mesures ciblées, on ne joue pas sur le niveau des prix. On ne peut pas être gagnant partout.

Quelle est la bonne démarche pour que les sacrifices nécessaires aujourd’hui débouchent une situation plus saine ?

Si on ne fait pas ces sacrifices, on passera par une case chômage assez douloureuse, il y aura aussi un effet accentué sur la. Donc ces sacrifices sont bénéfiques pour la croissance et l’emploi. Les aides publiques déployées durant la crise COVID sont vouées à disparaître. Et nous n’allons pas nous diriger vers une économie totalement soviétisée ou plein de tarifs et productions sont subventionnées. Ce ne serait pas une économie saine, cela coûterait aboutirait à un appauvrissement et couterait très cher aux finances publiques.

Faut-il renoncer à l’idée que l’Etat est capable et doit nous protéger tous et de tout ?

La France est déjà un pays dans lequel l’Etat intervient beaucoup plus que dans tous les autres pays développés. Nous sommes le pays à la dépense publique la plus élevée en point de PIB de tous les pays de l’OCDE. Nos dispositifs redistributifs, en dehors de contextes de crises, sont massifs. Et concernant les dispositifs face à la résurgence de l’inflation, nous sommes sans doute le pays qui en fait le plus. On peut toujours en faire davantage et accentuer notre position de premier de cordée en la matière, mais l’histoire nous montre qu’on le paie toujours très cher. Les pays très étatisés ont une croissance limitée et un plafond de verre sur le niveau de vie moyen. Il va falloir au contraire rechercher la qualité de la dépense publique pour pouvoir continuer à déployer des dispositifs redistributifs généreux comme on le fait en France.  Dans la fonction publique, la maîtrise de la dépense publique ne s’est faite sur les dernières décennies qu’en maîtrisant les rémunérations par tête. Il va falloir rechercher l’efficacité et les gains de productivité. Ces derniers pourront ainsi se répartir en économie, c’est-à-dire en désendettement, et en pouvoir d’achat pour les personnes concernés par la revalorisation de leur traitement. Certains gisements de gains de productivité peuvent être trouvés, c'est à ça qu’il va falloir s’atteler. 

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