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Le Vladimir Poutine et le président chinois Xi Jinping lors du sommet des dirigeants de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Samarkand, le 16 septembre 2022.
Le Vladimir Poutine et le président chinois Xi Jinping lors du sommet des dirigeants de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Samarkand, le 16 septembre 2022.
©Sergei BOBYLYOV / SPUTNIK / AFP

Menace

Et si la vraie menace pour la Russie n’était pas l’Occident, mais la Chine ?

André Grjebine

André Grjebine

André Grjebine est économiste et essayiste, ancien directeur de recherche à SciencesPo Paris.

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages économiques et philosophiques. Il collabore à plusieurs journaux français, dont Le Monde. Ses travaux actuels portent sur les facteurs de vulnérabilité des démocraties libérales, en France et dans les pays scandinaves.

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Deux visions de la politique se sont toujours opposées en Russie. Au niveau des intellectuels, les slavophiles et les occidentalistes. A celui des dirigeants, ceux qui ont pour ambition d’étendre leur emprise à la fois sur leurs sujets et sur des territoires toujours plus étendus. D’autres, plus rares, se sont proposés de moderniser et développer leur pays. A la fin du XVIIe siècle, Pierre le Grand a tenté de transformer la Russie en prenant exemple sur les pays européens, ce qui ne l’a pas empêché parallèlement de mener une politique expansionniste. Mikhail Gorbatchev a, lui aussi, compris que la Russie ne pourrait rester durablement une grande puissance qu’en réformant en profondeur son économie et en coopérant étroitement avec l’Occident. Il a été balayé avant de mener à bien les réformes envisagées.

Poutine s’est toujours positionné en artisan de la suprématie russe. Il entend être l’homme qui permettra à la Russie de prendre sa revanche sur les pays occidentaux en les humiliant à son tour, par Ukraine interposée, après que la Russie se soit sentie humiliée pendant des siècles et encore tout récemment lors de la désintégration de l’URSS qu’il considére comme la principale catastrophe du XXe siècle. De plus, à ses yeux, les démocraties libérales offrent un exemple désastreux aux populations des pays totalitaires qui peuvent être tentées de les imiter comme elles l’ont fait déjà en Ukraine et dans d’autres pays de l’ancienne URSS.

Sa volonté de puissance repose sur l’appareil policier (KGB devenu le FSB) dont il est issu et qu’il n’a cessé de renforcer et sur des dépenses militaires disproportionnées par rapport au PIB du pays. Moyennant quoi, l’économie russe ne dispose pas de l’infrastructure qui assure une puissance économique profitant en premier lieu à sa population. Elle dépend avant tout de ses rentes, en premier lieu du gaz naturel et du pétrole. Dans ce contexte, elle éprouve de plus en plus de difficulté pour rester au niveau des Etats-Unis et de la Chine en matière d’armement. Comme le montre Anne de Tinguy, la Russie a fait « le choix de l'apparence de grandeur au détriment de l'influence véritable. » (Anne de Tinguy, Le Géant empêtré, Perrin, septembre 2022.)

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C’est dans cet esprit que les deux principales puissances non démocratiques, pour ne pas dire totalitaires, la Russie et la Chine, ont récemment renforcé leur alliance. Elle doit servir à l’amorce d’un front des pays non démocratiques que tous les deux aspirent à constituer. Ils appelent à une remise en question de l’ordre international pour le remplacer par un ordre constitué d’espaces soumis chacun à la tutelle d’une superpuissance. Dans cet esprit, la Chine a peu protesté devant l’invasion de l’Ukraine et la Russie considère Taïwan comme une partie intégrante de la Chine. Mais, à plus longue échéance, rien ne dit que cette dernière ne changera pas de cap en prenant davantage en compte d’autres intérêts, en particulier sa situation démographique.

La population chinoise est presque dix fois plus importante que celle de la Russie (respectivement 1,44 milliards d’habitants et 146 millions). Son PIB est également dix fois plus important (environ 18.000 milliards de dollars courants en 2021 contre 1.800 milliards en Russie). Il n’est pas jusqu’au PIB/habitant de la Chine qui ne dépasse maintenant celui de la Russie. La Chine est en train de devenir la seule superpuissance capable de discuter d’égal à égal avec les Etats-Unis, en attendant de les dépasser. L’éventualité est d’autant plus probable qu’après avoir privilégié le développement économique à l’époque de Den Xiaoping, la Chine de Xi Jinping met l’accent sur des objectifs géostratégiques, fut-ce au prix d’un ralentissement de la croissance.

Dans ces conditions, on peut se demander si Poutine ne s’est pas trompé d’adversaire. Alors qu’il prétend récupérer des territoires qui ont jadis appartenu à la Russie, la Chine pourrait, elle aussi, revendiquer des territoires perdus jardis. Pour le moment, elle met l’accent sur Taiwan, notamment parcequ’il s’agit du premier producteur mondial de semi-conducteurs. Mais un jour viendra peut-être où elle se rappelera aussi qu’au XIXeme siècle, profitant de la faiblesse de la Chine à l’époque, la Russie l’a spoliée d’une partie de la Sibérie (près de 1 million de km², dont le port de Vladivostok). Les différences de population et de PIB pourraient l’y inciter.

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La très nombreuse population chinoise ne dispose que d’un espace relativement réduit : 147,7 habitants au km², la Russie 8,4. Les Russes devraient donc craindre que la Chine ne soit un jour tentée d’empiéter sur des territoires qui leur appartiennent : La Sibérie s’étend sur 13,1 millions de km² sur lesquels vivent moins de 40 millions d’habitants, sans compter qu’elle est riche en matières premières recherchées. Déjà, Iegor Gran rappelle « les ravages que les Chinois font dans les forêts en Sibérie » sans susciter la moindre réaction (Iegor Gran, Z comme zombie, POL, 2022, p.160). Dans une perspective à long terme, il aurait été judicieux pour les dirigeants russes de chercher à s’attirer les bonnes grâces des Etats-Unis et de l’Europe, afin de s’en faire des alliés pour l’avenir, plutôt que de les provoquer.

L’avenir dira si Poutine parviendra à sortir à son avantage de l’aventure dans laquelle il s’est lancé. Ce qui devait être un coup d’éclat devant susciter l’admiration des uns, une crainte redoublée des autres, est en train d’apparaître comme une opération qui ridiculise l’armée russe, déconsidére la Russie au niveau mondial, porte gravement atteinte à son économie, bref comme le dernier sursaut d’une puissance qui n’en est plus une. Quand la seule alternative à la défaite est d’agiter la menace nucléaire, c’est bien le signe d’un Etat devenu impuissant au point qu’il n'a plus comme perspective que le suicide collectif.

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