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Pourquoi un Brexit pourrait être une chance pour l’Europe qui souhaite renouer avec ses origines démocrates-chrétiennes
©Reuters

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Avec l'adhésion de la Grande-Bretagne à l'Union, le projet européen entier s'est converti au néo-libéralisme. Un tournant majeur qui remis en cause les notions d'équilibre, de protection des peuples, et de solidarité entre les membres, constituants essentiels pour les "pères fondateurs".

Pascal Bruckner

Pascal Bruckner

Pascal Bruckner est un romancier et essayiste. Il est l’auteur, entre autres, de La tentation de l’innocence (prix Médicis de l’essai, 1995), Les voleurs de beauté (prix Renaudot, 1997), Misère de la prospérité (prix du Meilleur livre d’économie, prix Aujourd’hui, 2002), Le fanatisme de l’Apocalypse (prix Risques, 2011) et Un bon fils. Son œuvre est traduite dans une trentaine de pays.

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Jean-Dominique Durand

Jean-Dominique Durand

Jean-Dominique Durand est historien à l'université Jean Moulin Lyon III. Ancien conseiller culturel à l'ambassade de France auprès du Vatican, il est depuis mars 2014 adjoint au maire de la Lyon.

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Atlantico : Le Royaume-Uni vote ce jeudi 23 juin pour déterminer s'il restera membre de l'Union européenne. Si le pays quittait l'Union européenne, celle-ci ne serait-elle pas susceptible de renouer avec ses origines démocrates-chrétiennes du fait de la perte d'influence d'un certain libre-échangisme anglo-saxon ?

Jean-Dominique Durand : il est vrai que l'adhésion de la Grande Bretagne a accentué l'aspect libre-échangiste, au détriment d'une construction intégrée. e a notamment introduit des raisonnements égoïstes: l'adhésion à l'Europe doit rapporter des avantages à celui qui adhère, en oubliant la vision de solidarité qui imprégnait la vision européenne des fondateurs: solidarité entre les Etats en fonction de leur niveau de développement, mais aussi solidarité entre les régions, et encore solidarité avec l'Afrique (un aspect important de la Déclaration Schuman en 1950). On se souvient du cri de Mme Thatcher: "I want my Money back!" qui avait scandalisé François Mitterrand. L'esprit de solidarité n'a pas complètement disparu, mais on a vu comment les Grecs ont été traités. L'esprit des fondateurs s'est vraiment dilué dans le libéralisme. Pour ma part, je ne suis pas sûr que le Brexit, s'il se réalisait serait un drame. Il pourrait au contraire libérer de nouvelles énergies.

Pascal Bruckner : Les dirigeants et les économistes d'aujourd'hui réfléchissent déjà à des politiques alternatives où les Etats protègeraient les peuples. Le projet de Donald Trump est justement un projet qui remet l'État au centre de la nation américaine, contre les tentations néo-libérales. Car le projet néo-libéral a d'abord été un projet néo-féodal de soutien aux plus fortunés. Ce projet aura duré 30 ans, et il est remis en question partout.

Le capitalisme devra donc se reconstruire contre la déréglementation et la privatisation absolue du projet néo-libéral. Mais avec du recul, il y avait quand même une contradiction dans la position de la Grande-Bretagne : d'un côté ses dirigeants promouvaient le néo-libéralisme pour tout le monde, et dans leurs actions pour eux-mêmes ils étaient plutôt nationalistes puisqu'ils ont renégocié de nombreux traités européens, et demandé une diminution de leur contribution au budget de l'Union.

Je crois qu'effectivement, au-delà du coup de semonce anglais, c'est une époque qui se termine. Et l'Europe devra se reconstruire à partir d'un projet politique commun ou s'écrouler lentement.

Pendant les années 1980 et sous l'influence de personnalités telles que Ronald Reagan ou encore Margaret Thatcher, l'Europe s'est convertie au dogme néo-libéral. Cette conversion a par ailleurs été largement parachevée par la chute de l'URSS au début des années 1990. Concrètement, quelles ont été les conséquences de cette évolution, et quel impact a-t-elle eu sur les Européens ?

Jean-Dominique Durand : L'affirmation du dogme néo-libéral en Europe et aux États-Unis a transformé la construction européenne du point de vue économique. L'Europe de la Démocratie chrétienne a été fondée dans les années 1950-1970 sur l'économie sociale de marché, mise en œuvre par l'e ministre allemand, puis chancelier Ludwig Erhard et l'école des économistes rhénans. Face à l'URSS, il s'agissait de mettre en place une "économie humaine" fondée le marché, c'est à dire sur le libéralisme, mais corrigé par des protections sociales. Tout cela a été balayé par les théories néolibérale, favorisées aussi par la chute du système soviétique. Les pays libérés du communisme n'ont pas été influencés par la Démocratie chrétienne. Celle-ci s'y est d'autant moins implantée, que ces pays n'ont pas connu les transformations de l'Église portées par le concile Vatican II et présentent un catholicisme (et aussi un protestantisme) conservateur voire réactionnaire après avoir souffert des persécutions communistes. Voir aujourd'hui les oppositions des épiscopats de ces pays au pape François. Un libéralisme sans beaucoup de freins s'est ainsi emparé de l'Europe, avec la passivité des États fondateurs, notamment la France, l'Allemagne, la Belgique empêtrée dans ses conflits linguistiques, l'Italie.

Pascal Bruckner : Oui, les premiers pères de l'Europe étaient chrétiens-démocrates. Le problème est qu'ils se sont convertis à l'idéologie droit-de-l'hommiste dans les années 1980, en même temps que le projet néo-libéral. A partir de la chute du mur, l'Europe s'est aussi orientée vers un projet supra-national, qui devait se concrétiser par l'absorption des pays d'Europe de l'Est. Kundera en parle lorsqu'il évoque cette Europe "confisquée" qui doit revenir dans le giron commun, indépendamment de leur histoire. La grande utopie post-chute du mur consistait à dire que la prospérité, l'abolition des frontières et la démocratie allaient engendrer un monde nouveau en Europe et au-delà. C'est à partir de cette utopie qu'est arrivée la fin de l'histoire, nous pensions avoir trouvé la clé de la réconciliation entre les Hommes, et nous allions donc l'étendre à l'ensemble des pays du globe. 

Pourtant, cette utopie se fondait sur plusieurs illusions : le fait qu'il était possible d'amorcer une vision post-nationale, où les nations étaient abolies. Une sorte d'utopie de gauche en somme, libertaire, libre-échangiste et sous l'égide d'une langue anglaise utilitaire et appauvrie. Mais aussi l'utopie d'une Europe post-religieuse où l'incroyance des anglicans, des protestants et des catholiques devait devenir la règle de tous les peuples. Et une Europe post-historique où l'Histoire rentrait dans sa conclusion après les deux guerres mondiales et de la chute du mur. 

Cette utopie néo-libérale s'est en quelque sorte terminée le 11 septembre 2001. Les pirates de l'air nous ont dit à ce moment qu'il y avait encore des régions du monde où la transcendance divine et le sacrifice humain avaient un sens, et où la richesse ne remplissait pas la totalité des aspirations des hommes.

Avec les années 2000, on a vu la fin de la gourmandise de l’absorption des anciennes nations être remise en question. On se souvient qu'il avait été question d'absorber la Turquie, le Maroc, l'Azerbaïdjan dans l'Union européenne. Et le néolibéralisme n'a pas réussi à résister à toutes les crises : celle d'internet en 2000, des subprimes en 2008, des réfugiés... L'Europe sensée protéger était au contraire devenue une sorte de membrane molle. 

Dans quelle mesure l'Union européenne peut-elle être considérée comme un projet d'inspiration démocrate-chrétienne ? Quelles formes pourraient prendre le renouveau de la démocratie chrétienne européenne ?

Jean-Dominique Durand : L'idée d'Europe unie n'est pas une idée strictement démocrate chrétienne. Au XIX° siècle, le rêve d'une Europe fédérale se développe dans les milieux politiques libéraux et républicains. Victor Hugo en est l'un des porte-voix majeurs. Au XX° siècle, l'idée d'Europe est portée par la gauche modérée, par Edouard Herriot, par Aristide Briand. C'est surtout après la Deuxième Guerre mondiale que les partis démocrates-chrétiens, pour la plupart issus de la Résistance et de l'opposition aux totalitarismes, soutenus par la Papauté mais dans une démarche laïque, recherchent une solution pour asseoir la paix durablement. Leur réflexion est soutenue par le fait qu'ils sont au pouvoir en même temps en Allemagne, en France et en Italie, et très influents dans les pays du Benelux. Et par le fait qu'à la tête des trois premiers pays, se trouvent Konrad Adenauer, Robert Schuman et Alcide De Gasperi, trois catholiques fervents, mûris politiquement par la confrontation à deux guerres mondiales et aux dictatures, tous trois issus de zones frontalières (Rhénanie, Lorraine, Trentin) aux limites fluctuantes au gré des conflits. Leur projet, résumé par la Déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950 (mais rédigée par Jean Monnet, qui n'était pas démocrate-chrétien), est fondé sur l'idée qu'une paix durable ne peut pas être fondée sur des traités internationaux, mais sur la mise en oeuvre d'une véritable communauté de destin. C'est la proposition de mettre en commun le charbon et l'acier, produits indispensables pour conduire toute guerre. Cette gestion commune devrait créer des liens inextricables empêchant tout nouveau conflit. Le terme même de "communauté" qui s'impose jusqu'au Traité de Maastricht est un terme emprunté au vocabulaire chrétien : il entend souligner la force des liens qui doivent unir, et même porter à la réconciliation notamment entre la France et l'Allemagne, mais aussi à terme entre l'Allemagne et tous ses voisins.  

Pour les démocrates-chrétiens, l'aboutissement du processus d'union devrait être la réalisation d'une fédération européenne, dans le respect des spécificités nationales, mais avec des institutions communes fortes.

Mais aujourd'hui, la Démocratie chrétienne n'existe plus. Certains partis ont disparu (France, Italie), ou se sont transformés en partis conservateurs avec en leurs seins un courant héritier de la DC (Espagne, Allemagne). Le plus souvent, les démocrates-chrétiens se sont dilués dans des coalitions de centre gauche (le PD en Italie) ou de centre droit (Les Républicains en France), ou sont devenus des partis très minoritaires (Modem en France).

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