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Pourquoi Tesla n’est pas encore une menace sérieuse pour l'industrie automobile allemande
©Joshua LOTT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Concurrent crédible ?

Dans un article publié par le site cleantechnica, l'ingénieur allemand Alex Voigt met en garde le secteur automobile de son pays face à la menace que représente Tesla pour ces constructeurs.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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L’automobile  fait rêver les clients dans ses performances extrêmes, mais ils persistent, lors de l’acte d’achat, à rester très conservateurs dans leurs comportements tant dans leurs options techniques que dans leur fidélité aux marques. Cette frilosité permet, sans risque, aux constructeurs de gérer la pénétration de l’innovation dans l’automobile de façon très prudente. Dans ce marché de masse très capitalistique, les progrès visibles sont incrémentaux d’autant plus que la concurrence entre constructeurs est figée par des pratiques de choix industriels, de prix et de distribution très similaires. De fait il n’y a pas de nouveaux entrants spectaculaires dans ce marché et, depuis l’irruption des constructeurs japonais et coréens dans les années quatre-vingt, et malgré la crise de 2008 qui a fragilisé temporairement de grands acteurs comme General Motors, « too big to fail », le marché est assez stable. De fait, quatre grands acteurs se partagent 40% du marché mondial, Volkswagen, l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, Toyota et GM. Le pari de Tesla est -il de nature à perturber cette situation ?

Dans un article publié par le site cleantechnica, l'ingénieur allemand Alex Voigt met en garde le secteur automobile de son pays face à la menace que représente Tesla pour ces constructeurs. En montrant que les ingénieurs de ces marques n'ont pas su rivaliser avec la marque automobile de Palo Alto, malgré 10 années de concurrence, l'ingénieur fait part de son inquiétude concernant la vulnérabilité des acteurs de son pays. Les géants automobiles allemands sont-ils effectivement en danger, pour les prochaines années ? 

Jean-Pierre Corniou : Bien évidemment, le cas Tesla est original, car c’est le seul acteur à être sorti du néant pour développer une offre réelle qui a trouvé un public malgré son caractère très haut de gamme. Mais jusqu’alors les grands constructeurs n’ont pas jugé la menace significative.  Les difficultés opérationnelles de passage à l’échelle de Tesla sur le Modèle 3, comme les difficultés financières  dus à ces problèmes industriels,  n’ont pu que les réjouir. lls se sentent protégés par leur extrême compétence en matière de production industrielle de masse et par leurs réseaux de distribution. Avec 100000 véhicules vendus, Tesla demeure en fait, jusqu’alors, un petit constructeur de niche. Mais son image, comme les ambitions de son fondateur, en font un acteur de premier plan. La question est bien aujourd’hui de savoir si Tesla est en mesure de se hisser dans le carré des grands en démocratisant la voiture électrique à batteries pour la rendre plus désirable que les véhicules thermiques des grandes marques, ce qui est la promesse d’Elon Musk. Cela signifie un choc en volume tel que les constructeurs japonais ou coréens ont su le créer, en leur temps, avec des véhicules fiables et moins coûteux que ceux des constructeurs installés. Cela implique une expertise industrielle que Tesla peine à acquérir même si le cap des 5000 Model 3 produits par semaine aurait été franchi cet été.
De plus, il faudrait aussi que les constructeurs leaders tardent à réagir en ne proposant pas des véhicules alternatifs séduisants sur ce marché du VE encore très minoritaire. Or la concurrence s’organise sur le créneau premium alors que le Model S tend à dater. De fait Tesla connait un fléchissement de ses ventes en Europe au premier semestre et n’est toujours pas parvenu à être profitable. L’arrivée effective du Model 3 est donc essentielle pour crédibiliser le pari d’Elon Musk.

Quels sont les innovations ou les avancées qui permettent à Tesla de maîtriser la concurrence sur leur segment ? Les constructeurs "classiques" ont-ils réellement les capacités de rivaliser en termes d'innovation ? 

Il faut admettre que Tesla a su séduire, après le marginal roadster, avec un modèle élitiste, lourd, coûteux et énergétivore, la Tesla S. Ce n’est évidemment pas l’image qui est propagée. Mais les deux modèles Tesla, la S et la X, ont des gabarits et des performances hors normes, servies par un design séduisant et des prestations luxueuses, parfois jugées inférieures, néanmoins, aux constructeurs allemands. Mais ce ne sont pas des modèles d’efficacité énergétique. Leur poids (plus de 2,5 tonnes) est un handicap qui implique une surmotorisation. C’est pourquoi la S et la X sont condamnées à rester des véhicules de niche vendus entre 100000 et 150000 €.
Tesla a su aussi organiser un réseau de bornes de recharges rapides, les superchargeurs, au nombre de 10000 dans le monde, et 400 en Europe, qui rendent les longs parcours possibles avecune charge de 40 minutes, d’autant plus que la charge est gratuite. Cette gratuité sera abandonnée pour la Model 3. Enfin, Tesla est le seul constructeur à être en mesure de mettre à jour les logiciels de son véhicule à distance. 
Le pari de la Tesla 3 sera le test vital pour le futur de la marque. C’est un modèle plus compact, 4,69 m, mais aux dimensions intérieures généreuses et à l’esthétique dépouillée et futuriste. Car au milieu de la planche de bord trône la tablette numérique, symbole de Tesla, qui contrôle toute la vie du véhicule, ce que n’osent pas encore faire les constructeurs automobiles traditionnels attachés aux boutons historiques. Si ce véhicule est produit en quantité et en qualité, il peut devenir un concurrent direct des leaders du marché, comme la Nissan Leaf. De plus le model Y, qui sera un SUV compact, annoncé pour mars 2019, viendra compléter la gamme sur un segment où la demande est forte. Tesla joue son futur sur une course de vitesse. L’entreprise doit démontrer sa compétitivité avec un modèle qui a vocation, par son positionnement prix, environ 40000 $, à devenir un modèle de volume en gamme moyenne. Mais le public fera-t-il encore confiance à une firme fragilisée par ses retards, son endettement et l’instabilité de son management si les constructeurs traditionnels sont en mesure de proposer un modèle équivalent ?  Les estimations de chiffres de vente de la Model 3 aux Etats-Unis semblent indiquer que cette voiture serait la plus vendue de sa catégorie avec 14000 unités en juillet. Ces données sont à confirmer.

En quoi la transformation du marché global, entre chute du diesel, progression des ventes, et émergence forte des voitures électriques, fait courir un risque substantiel pour tous les acteurs qui ne parviendront pas à être les leaders de ces nouvelles tendances ? 

Le marché n’est pas encore aussi friand de véhicules électriques  que ne le laisse entendre Alex Voigt, ni en Europe, ni aux Etats-Unis. La progression est lente et le marché se situe légèrement au-dessus de 1% même si le chiffre symbolique de un million de voitures vendues dans le monde a été atteint en 2017. IL n’y a en a eu que 25000 en 2017 en France. C’est la Chine qui est aujourd’hui leader en volume, et ceci se fait au profit des constructeurs nationaux, dont BYD est le leader. La Chine limite d’ailleurs les licences octroyées aux constructeurs étrangers aux seuls véhicules électriques. Le marché chinois des véhicules électriques a dépassé pour la première fois 3% au premier semestre 2018.
Il est certain qu’après avoir sous-estimé Tesla, et refusé de croire au succès du véhicule électrique, sauf l’Alliance Renault-Nissan dès 2009, les constructeurs conventionnels vont mettre leur savoir-faire dans ce créneau. Tous sont présents ou vont l’être en 2019/2020 avec une pluralité de modèles électriques, Jaguar, BMW, Audi, Porsche, Volkswagen, et même Toyota leader, et de loin, en matière d’électrification des véhicules avec ses 5 milllions d’hybrides vendus, qui compte mettre sur le marché 30% de sa gamme en électrique pur, grâce notamment à une nouvelle batterie révolutionnaire.
Mais ce sont plutôt les constructeurs chinois que doivent craindre les constructeurs européens, américains et japonais car d’ores et déjà une voiture électrique sur deux est chinoise. Ce n’est pas un hasard si BMW propose son SUV X3 électrique en priorité au marché chinois. Le gouvernement chinois entend faire de la voiture électrique sa priorité et pousser les constructeurs étrangers à s’engager dans cet objectif. C’est bien la Chine qui va pousser le monde à basculer vers l’électrique, même si Tesla a brillamment ouvert la voie.

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