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Pourquoi Macron ne mettra finalement pas un terme au fantasme de l’entrepreneur délinquant
©LUDOVIC MARIN / AFP

Ca attendra...

Implicitement, les textes en vigueur présentent l'entrepreneur comme un délinquant. Macron avait donné l'illusion qu'il modifierait cette image. Le projet de loi sur le "droit à l'erreur" adopté hier en Conseil des Ministres montre qu'il faudra encore attendre.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Selon une bonne tradition post-marxiste, les pouvoirs publics ont ancré le principe de l'entrepreneur délinquant. Celui-ci est en effet accablé de réglementations aussi pléthoriques que contraignantes, qu'il leur est impossible d'appliquer dans leur totalité. Cet édifice, qui permet à l'administration fiscale, à l'URSSAF ou à l'inspection du travail de "coincer" les entrepreneurs à chaque contrôle, insécurise par principe tous ceux qui prennent des risques.
Le projet de loi sur le "droit à l'erreur"aurait pu rompre avec cette logique. Il n'en est rien.

L'entrepreneur délinquant, un fantasme créé par les pouvoirs publics

Depuis 1968, les pouvoirs publics français s'ingénient à criminaliser systématiquement la vie des entrepreneurs. La caricature de cette criminalisation organisée se trouve sans doute dans le recrutement. Alors que, depuis les années 70, la France connaît un chômage de masse, l'acte de recruter relève aujourd'hui de l'héroïsme. Il faut par exemple prouver qu'on ne discrimine pas les hommes et les femmes, les Français et les étrangers, les hétérosexuels et les homosexuels, les athées et les musulmans, quand on choisit un salarié. 
Le corpus de textes est tel que l'entrepreneur qui fait le choix insane de recruter s'expose en permanence à la critique (et à la sanction) d'avoir mal recruté. Dans le même temps, bien entendu, le même entrepreneur est sommé de participer plus activement aux politiques de l'emploi et à la lutte contre le chômage. 
Dans tous les domaines de la vie de l'entreprise, l'accumulation de textes contraignants et criminalisants donne une actualité à cette injonction paradoxale permanente: il faut retrouver la prospérité, le plein emploi, le bonheur, mais les chemins pour y parvenir sont sans cesse plus réglementés, avec des sanctions de plus en plus lourdes et des "limites de vitesse" de plus en plus importantes. 
La masse de texte à connaître a atteint un tel volume qu'aucun chef d'entreprise ne peut les maîtriser tous. C'est particulièrement vrai pour toutes les petites entreprises. Dans la pratique, l'entrepreneur est un délinquant en puissance. On trouvera toujours un point à épingler dans sa vie, une faute, une erreur à sanctionner.

L'entrepreneur délinquant, une construction savante qui a ses raisons

On ne s'étonnera donc pas de la mauvaise image de l'entrepreneur en France. Elle est le produit d'une construction patiente, concertée, des pouvoirs publics et, au premier chef, d'une redoutable administration préoccupée par un enjeu de pouvoir: le ministère des Finances. 
Tout contrôle fiscal digne de ce nom doit se traduire par un redressement. Tout contrôle URSSAF aussi. C'est une preuve d'efficacité des services, qui justifie les salaires mirobolants perçus par les fonctionnaires concernés. 
Pour réaliser ce principe universel, les pouvoirs publics ont mis en place une logique redoutable, qu'on appelle couramment une production législative (et réglementaire) de médiocre qualité. Dans la pratique, il s'agit de produire des textes flous, parfois contradictoires, qui donnent toujours une marge d'appréciation discrétionnaire aux fonctionnaires en charge de leur application. 
Grâce à ce système, l'inspecteur URSSAF ou fiscal qui passe dans une entreprise tient l'administré à sa main, et je dirais même à sa botte. Il dispose du pouvoir de vie et de mort sur l'entrepreneur, celui en particulier d'infliger ou non une sanction qui plombera à des degrés parfois mortels les comptes de l'entreprise. 
La combine est bien montée. Aucun chef d'entreprise victime d'un abus de droit (et l'affaire de la taxation à 3% des revenus distribués a montré que l'abus est chose courante) ne peut demander le licenciement pour faute grave du fonctionnaire qui le commet. Et lorsqu'il se voit infliger une pénalité de parfois 80% sur les sommes dues, qui le met à genou et tue économiquement l'entreprise, il doit entamer un long chemin judiciaire, très incertain, pour prouver sa bonne foi. 
Quelle jouissance, pour le fonctionnaire de Bercy, que d'être le diable dans l'enfer français de l'entreprise! Quelle revanche sur la vie que de pouvoir mettre au pas tous ces petits patrons, vulgaires et si peu diplômés, qui ont l'audace de vivre de leur travail sans passer de concours dans la fonction publique! 

Le grand ratage de Darmanin sur le droit à l'erreur

On aurait pu croire qu'Emmanuel Macron changerait les choses. Le texte, annoncé depuis juillet, mais reporté de trois mois, sur le "droit à l'erreur" aurait pu commencer la salutaire remise en cause de cette construction perverse qui tue l'initiative en France depuis 40 ans. Mais Bercy a vaincu...
Ainsi, non seulement le "droit à l'erreur" est très loin d'être théorisé dans les textes, mais l'administration conservera son droit de démontrer la mauvaise foi des entreprises. Il suffit de connaître quelques fonctionnaires pour savoir que le texte de Darmanin ouvre la porte à un déferlement de haine tout à fait prévisible contre les entrepreneurs. 
On nous dirait ici que l'administration doit apporter des preuves tangibles d'un fait objectif, nous pourrions l'entendre. Mais démontrer la bonne foi ou la mauvaise foi de quelqu'un est évidemment, d'un point de vue "philosophique", une imposture officielle. 
Les raisons de sanctionner un entrepreneur sont en effet contenues dans la masse de textes qu'il doit appliquer et qu'il ne connaît pas. Pour le vérifier, demandez à votre boulanger combien de codes il doit respecter: il n'en imagine pas le dixième. 
Pourtant, nul n'est censé ignorer la loi. 
Donc, par principe, l'administration ne peinera jamais à expliquer que l'entrepreneur qui n'a pas respecté ses obligations l'a fait de mauvaise foi: nul n'est censé ignorer la loi. 
Le quinquennat de Macron s'achèvera donc dans la parfait continuité de ce qui s'est fait avant lui. Les pouvoirs publics pourront continuer à aligner des chiffres éloquent de "lutte contre la fraude" organisée par les entrepreneurs. Et les salariés français seront confortés dans l'image de l'entrepreneur délinquant. 
Article initialement publié sur le site d'Eric Verhaghe 

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